mardi, mai 31, 2022

AU CHILI, L’ÎLE DE CHILOÉ, HAVRE TOURMENTÉ DE LA PHOTOGRAPHE CÉLINE VILLEGAS


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PHOTO CÉLINE VILLEGAS

EN IMAGES Au sud du longiligne territoire chilien se détache l’île de Chiloé. De 2014 à 2016, la photographe franco-chilienne Céline Villegas a exploré ce fragment de terre. A la fois en quête de ses habitants et d’une part d’elle-même. Ce travail, exposé à partir du 1er juin au Festival photo du Guilvinec, L’Homme et la mer, esquisse un portrait sentimental de ce paradis aux deux visages.

Par Flora Genoux (Buenos Aires, correspondante)

Partout, l’océan. Il est là, devant les yeux, avançant ou se retirant au gré des marées, laissant à nu un sable humide moucheté de coquillages blancs. Bruine, gouttelettes ou pluie franche s’abattent régulièrement sur l’archipel. Le Pacifique est dans le quotidien des 170 000 habitants de l’île Chiloé, au large de la côte sud du Chili, qui vivent de ses remous. Les artisans pêcheurs attrapent dans leurs filets des merluzas (colins) ou plongent les mains dans l’eau glaciale pour capturer des palourdes.

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Il est aussi sur toutes les tables, dans les fours ou les marmites des familles qui concoctent des ragoûts ou des empanadas à base de cholgas, piure, jaiba, les fruits de mer et crustacés locaux. Enfin, loin des ports et des baies, l’océan fouette la côte de ses vagues grondantes. Sauvage, déchaîné, indompté.

« Pour moi, photographier ce lieu, c’est une manière de photographier mon pays. Chiloé concentre différents aspects du Chili : son rapport à la mer, à la rudesse des éléments », observe Céline Villegas, photographe franco-chilienne de 41 ans, dont le travail sera exposé du 1er juin au 30 septembre dans le cadre du Festival photo du Guilvinec (Finistère), L’Homme et la mer.

CAP SUR L’ÎLE DE CHILOÉ AU CHILI

Des airs de Bretagne

Sa série La Isla dresse un portrait intime de l’île, à la recherche « d’un bout de [son] territoire, un bout de [son] identité », dans ce pays si longiligne, au pied de la cordillère des Andes, léché par les vagues du Pacifique sur 6 000 kilomètres. Fille d’un exilé ayant fui la dictature chilienne (1973-1990), née à Lyon, installée aujourd’hui à Paris, elle n’a pu fouler la terre paternelle qu’en 1992, peu après le retour de la démocratie.

Lors de son tout premier séjour à Chiloé, à l’adolescence, Céline Villegas a été déroutée : cet archipel du bout du monde avait, lui semblait-il, des airs d’une terre qui lui était familière, la Bretagne. Les deux pays de la jeune fille, la France et le Chili, se télescopent, rassemblent deux océans, deux langues et offrent la même sensation d’état sauvage.

PHOTO CÉLINE VILLEGAS

La logeuse de la photographe Céline Villegas au repos. 

Vingt ans plus tard, entre 2014 et 2016, la voilà de retour à Chiloé pour un « un voyage émotionnel », guidée par l’errance et la solitude sur ce fragment de terre habité à la fois par « la mélancolie » et « l’émerveillement », comme le soleil chasse la pluie dans la même journée.

Chevaux, moutons et vaches dans les algues, sur une plage déserte… L’île semble suspendue hors du temps et de la modernité, à plus de 1 000 kilomètres de Santiago et de ses gratte-ciel, centres commerciaux et embouteillages. Sa logeuse se repose après avoir cuisiné… Une image au creux de la sieste raconte la promesse d’un ragoût savoureux, de l’eau qui bout, toujours prête pour le thé quand le crachin, dehors, trouble déjà le regard.

Le visage le plus « désolé » des lieux

Ici comme ailleurs, la culture des colons espagnols s’est mêlée à celle de la population indigène mapuche qui a donné son nom à l’archipel : Chiloé, ou « le lieu des sternes », ces oiseaux blancs à la tête noire qui survolent ses côtes. Parc national, marché d’artisans, maisons colorées sur pilotis, atypiques églises en bois : l’Isla grande de Chiloé, l’île principale, clame à raison ses atouts ­touristiques. Mais ce n’est pas la carte postale pour le visiteur du week-end que capture la photographe qui préfère explorer, en bus, le visage le plus « désolé » des lieux.

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L’artisanat ancestral apparaît de façon détournée avec cette laine de mouton qui sèche au soleil et qui servira ensuite à tricoter des chaussettes ou une couverture. Pointe aussi le contraste entre la tradition – la pêche artisanale – et les nouvelles pratiques, telles que l’élevage de saumons, bien plus rémunérateur mais fortement critiqué par les associations écologistes en raison de ses conséquences sur l’environnement.

Plus loin, hors cadre, un pont se construit : il doit relier Chiloé au continent et pourrait bouleverser son identité insulaire à l’horizon 2025. En attendant, c’est le poème de Pablo Neruda qui retentit, ode à l’océan qui balaie le pays dans Canto general. Les vers passent par Chiloé, traversée par « tout le sifflement du sel, toute la folle lune ».

« La Isla », de Céline Villegas, au Festival photo du Guilvinec, L’Homme et la mer, du 1er juin au 30 septembre.
PHOTO CÉLINE VILLEGAS

Paysage côtier où pousse la nalca, considérée come la plus grande herbacée du monde. 
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Filets de saumon vendus dans un marché couvert. A Chiloé, on déplore la multiplication des élevages intensifs, plus rentables que la pêche artisanale, mais dévastateurs pour les écosystèmes. CÉLINE VILLEGAS
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Vue depuis un restaurant sur pilotis de la ville de Castro. 
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Le fils d’un pêcheur de machas, sorte de palourdes chiliennes ramassées à la main dans les eaux froides du Pacifique. 
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Une employée d’une des nombreuses cantines de fruits de mer de la commune de Castro.

PHOTO CÉLINE VILLEGAS

Plage sauvage.

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Peau de mouton séchant au soleil, avant le tissage de la laine. Un artisanat qui fait la renommée de Chiloé.

Par Flora Genoux (Buenos Aires, correspondante)

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