lundi, août 19, 2024

LES POÉTESSES OUBLIÉES #5. GABRIELA MISTRAL, UNE CONSCIENCE AU MILIEU DE LA NUIT

 
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GABRIELA MISTRAL À VENISE, EN 1952.
PHOTO BRIDGEMAN IMAGES
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L'HUMANITÉ

Poésie / Les poétesses oubliées #5. Gabriela Mistral, une conscience au milieu de la nuit / Cet article fait partie de la série / Les poétesses oubliées (6 épisodes) / Première femme latino-américaine à obtenir un prix Nobel en poésie, la journaliste, enseignante et diplomate chilienne bénéficie aujourd’hui d’un regain de popularité inédit auprès des jeunes générations, après avoir été invisibilisée par le régime de Pinochet.

par Bérénice Paul

4min

Quand on évoque la littérature chilienne, on pense immédiatement au fameux poète communiste et diplomate chilien Pablo Neruda, récompensé du prix Nobel de littérature en 1971. Saviez-vous pourtant qu’une autrice du nom de Gabriela Mistral s’était vue couronnée de la même récompense vingt-six avant lui ? C’était en 1945. À l’époque, l’autrice, également enseignante et diplomate, de son vrai nom Lucila Godoy Alcayaga, est considérée comme l’une des grandes plumes de la poésie chilienne.

Elle est, en effet, le premier écrivain latino-américain à recevoir un prix Nobel en littérature. Cette reconnaissance internationale n’empêche cependant pas l’autrice, disparue en 1957, à l’âge de 67 ans, de sombrer dans l’oubli pendant des décennies. L’œuvre de Gabriela Mistral a été redécouverte ces dernières années à la faveur des mouvements de protestation sociopolitiques. Si bien qu’elle est aujourd’hui devenue une icône féministe et LGBTQIA+, au côté de son pair Pablo Neruda.

5000 Pesos

Anti-oligarchique, anti-impérialiste et émancipatrice

On la retrouve partout au Chili. Ses poèmes sont enseignés à l’école, son visage figure sur les billets de 5 000 pesos. De nombreuses rues, places, établissements scolaires portent son nom. Une entreprise de pisco, la liqueur nationale, a même fait d’elle un argument marketing.

Si Gabriela Mistral n’échappe pas à la marchandisation capitaliste qui sied à notre époque, cette dernière apparaît, aujourd’hui, pour ce qu’elle fut autrefois : anti-oligarchique, anti-impérialiste et émancipatrice, comme le rappelle l’historien Jaime Petit-Brehuil, auteur d’une thèse sur ses engagements politiques.

5000 Pesos
La vie de l’autrice fut, en somme, le reflet de ses engagements. Jamais mariée, Gabriela Mistral fonde, en 1919, la revue féministe Mireya. Trois ans plus tard, mandatée par le ministère de l’Éducation du Mexique, Gabriela Mistral met au point un système de bibliothèques et d’écoles dans le cadre de la nouvelle politique d’éducation du Parti révolutionnaire mexicain. Elle participe également activement à plusieurs cercles féministes d’avant-guerre, dont le Cercle saphique.

Toutes ces facettes ont été, par la suite, gommées par la dictature de Pinochet dans les années 1970-1980, pour ne garder qu’une image très lisse de l’autrice. Ses poèmes furent édulcorés afin de conserver les parties uniquement jugées acceptables par le pouvoir. Depuis une dizaine d’années, émergent de nombreux textes inconnus du grand public. Gabriela Mistral y affiche des préoccupations progressistes, notamment sur les droits des femmes.

Dans son recueil Lecturas para mujeres (1923), la poétesse traite de la condition des femmes en Amérique latine en évoquant la vie quotidienne des Chiliennes les plus modestes. Dense et prolifique, l’œuvre de Gabriela Mistral intéresse de plus en plus les maisons d’édition, qui ont commencé à éditer ou rééditer ses écrits. Moins connue en France, où ses poèmes ont été peu traduits, la poétesse bénéficie, depuis peu, d’un regain d’intérêt.

En 2021 et 2023, les éditions Unes publient l’intégralité des recueils Tala (Essart) et Pressoir. Un premier pas vers la reconnaissance nécessaire pour découvrir l’œuvre d’une artiste aussi fascinante que complexe.


Extrait du poème Hymne à l’arbre

Arbre, qui n’est pas autre chose

Que le tendre sein d’une femme,

Puisque chacune de tes branches

Berce un être dans chaque nid ;

Fais-moi une vaste ramure,

Aussi vaste qu’il leur faut,

Dans le bois humain, à tous ceux

Qui n’ont pas de branche pour foyer.

Arbre, qui partout où respire

Ton grand corps débordant de force,

Dressé perpétuellement le même geste protecteur :

Fais qu’à travers tous les états

Et les âges plaisir, douleur,

Mon âme ait un invariable,

Universel geste d’amour. 

 GABRIELA MISTRAL (1889-1957), POÉTESSE CHILIENNE.
 PRIX NOBEL DE LITTÉRATURE EN 1945. PARIS,
 INSTITUT D'ÉTUDES HISPANIQUES. JANVIER 1946.
 PHOTO LAPI/ROGER VIOLLET 

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