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L’AUTEUR MARCELLE AUCLAIR, C. 1920. PHOTO BERENICE ABBOTT |
TOYA / La novela del amor doliente. Marcelle Auclair publia cet ouvrage, son premier roman, à Santiago, pendant l’année 1923. Née à Montluçon en 1899, cette écrivaine française vit au Chili depuis l’année 1906. Elle retourne en France en 1924. Réécrit en français et intitulé Toya, cet ouvrage est publié par Gallimard en 1927. Il est réédité en 2022 par Les Lapidaires (préface de Laurence Campana). La trame (le journal intime de Victoria Urquiza Iturbe) se déroule dans un milieu social aisé. Propriétaires fonciers de souche castillane et basque, domestiques soumis, vie quotidienne régie par la religion, malgré son atmosphère conservatrice cet ouvrage montre, néanmoins, entre lignes, quelques brins de contestation, prélude d’une éventuelle rébellion. [Livres]
Georges Aguayo
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COUVERTURE DE TOYA / MARCELLE AUCLAIR / GALLIMARD / PARUTION 01-01-1927 |
Marcelle Auclair écrira plus tard les biographies de Sainte Thérèse d’Avila et de Jean Jaurès. Elle deviendra aussi traductrice en français de l’œuvre de Federico Garcia Lorca. Membre de l’équipe fondatrice (1937) du magazine féminin Marie Claire, en 1962 elle publie : Le livre noir de l’avortement. Une compilation des témoignages qui, concernant ce problème sociétal, donne la parole à des voix qui jusque-là restaient silencieuses.
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COUVERTURE DE TOYA / MARCELLE AUCLAIR / LES LAPIDAIRES / PARUTION 29 AVRIL 2022 |
Ses grands-parents et son père l’appelèrent Victoria. Sa mère ne put pas faire valoir le choix qu’elle avait fait pour sa fille. Qu’elle en rêvât même ! Ce prénom antipathique et autoritaire est donc resté. Sa grand-mère paternelle portait le même. Cette femme habituée à commander déclara à sa naissance : elle portera mon prénom et sera belle. La réalité en voulut une autre chose. Certes, elle s’appelle Victoria, mais elle est laide. Une bien triste destinée, en effet. Les années passent. Quand elle atteint l’âge d’être scolarisée, ses parents l’inscrivent dans une école catholique. Elle n’est pas à l’aise dans cet établissement, car, ses condisciples ne l’aiment pas et elles pensent que c’est une hypocrite. Elles ont quelques arguments pour dire cela. Son livret scolaire est médiocre, mais elle a une bonne note en conduite. À cause de celle-ci, même si elle n’a jamais dénoncé personne, ses condisciples disent que c’est une rapporteuse. Toujours complexée par son physique, même si elle ne regarde jamais le visage, les miroirs sont interdits dans l’école, elle sait très bien qu’elle est laide. Pour se débarrasser de tous ces tracas, et enfin pouvoir avoir la paix, un jour elle implore à la Vierge de la rendre belle. Son confesseur désapprouve cette demande, afin de punir sa vanité, il lui inflige une pénitence. Son père étant décédé assez tôt, sa mère, femme un peu grassouillette, mais dotée d’une certaine beauté, mène une vie oisive et insouciante. Souvent elle reçoit ses amies à la maison. Dans l’imposante salle à manger de la maison, elles prennent une abondante collation. Mais zut ! Certaines ont quelques difficultés pour manger, à cause du mauvais état de leurs dents. Parfois, à sa mère ça lui arrive d’avoir des accès de tendresse. Avec sa sœur Silvia, elles reçoivent donc sa déclaration d’amour. Elle les embrasse et les serre si fort qu’elle les étouffe presque. Victoria n’aime pas ces débordements d’affection ; plutôt exceptionnels, puisqu’une gouvernante s’occupe de deux filles. Les domestiques occupent, en fait, une place très importante dans la famille, surtout la pâtissière… Chagrinée toujours par sa laideur, Victoria a la tendance à rester dans les coins ombragés. Elle aimerait bien avoir des amis, mais sa maladresse et la peur du ridicule l’empêchent d’en avoir. — Néanmoins ; lorsqu’elle se lève d’une chaise, elle craint que sa culotte tombe… — Dans sa solitude, elle ne peut guère compter avec le réconfort de sa mère. Avec celui de sa grand-mère non plus, cette dernière, femme très mondaine et superficielle, préfère plutôt la beauté de Silvia. Pourquoi ne sourit-elle pas à Pancho Vergara ou à Cucho Fernández ? À ton âge, tu devrais déjà avoir un petit ami, lui dit souvent madame Victoria. À vrai dire, elle est déjà amoureuse de Pancho Vergara, mais lorsqu’elle le rencontre ses jambes tremblent et elle ne sait pas quoi lui dire. Cette situation gênante ne l’empêche pas toutefois d’avoir quelques fantasmes. À partir de l’âge de vingt ans, elle se rapproche quelque peu de Silvia et elle s’occupe de la maison, également. Son confesseur a pu discipliner la sensualité de ses quinze ans, la mauvaise humeur, elle n’essaie guère d’être gentille, a pris la place de sa passion pour Pancho Vergara. Quand elle va à l’église, elle prie pour les âmes des parents décédés, mais la présence massive des vieillards décrépits l’insupporte, car, après tout, elle a envie de vivre.
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COUVERTURE DE LA VIE DE SAINTE THÉRÈSE D'AVILA/ MARCELLE AUCLAIR / EDITIONS DU SEUIL 1950 |
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MARCELLE AUCLAIR, «UN MIROIR, UN SOURIRE», MARIE-CLAIRE, 1er FÉVRIER 1942 |
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COUVERTURE DE LA VIE DE JEAN JAURÈS OU LA FRANCE D'AVANT 1914 MARCELLE AUCLAIR / EDITIONS DU SEUIL 1954 |
La gêne occasionnée par sa présence serait atténuée par son savoir-faire dans la matière. Quand elle lui pose la question, Silvia lui répond qu’une personne, jeune et dynamique, est déjà engagée pour ce poste. Après le déménagement, Victoria reçoit un petit héritage, avec cet argent, elle achète des meubles et fait tapisser les murs de ses chambres. Celles-ci donnent sur un jardin ; une délicate attention de Silvia qui sait combien elle aime la végétation… Pour faire le ménage, elle engage une jeune fille. Excellente compagnie, car très vite Palmira lui raconte ses histoires d’amour, elle peut vivre, ainsi, par procuration toutes les émotions de la vingtaine. Même si elle pense que le célibat la protège des malheurs du mariage, elle n’a toujours pas renoncé à l’amour. En attendant, elle remplit ses devoirs familiaux convenablement, le moment venu, elle sera une tante affectueuse, gâteuse même. Bref : elle doit se préparer à vieillir en douceur. Une vraie sottise… N’est-ce pas ? Elle est encore trop jeune pour se resigner à cette situation. Au bout d’un certain temps, elle demande à Silvia de lui confier à nouveau la gestion de la maison. Sa sœur se méfie un peu de son humour fantaisiste, mais finit par accepter. Un après-midi, elle travaillait dans le jardin, Silvia s’approche d’elle et la prend par la taille : « Laisse ça et bavardons un peu. » Victoria la suit en silence, sans dire un mot, elle n’est pas habituée à tant d’intimité. « Apprends-moi à tricoter, s’il te plaît, j’aurai besoin de gilets pour bébé », lui dit sa sœur. Femme laide et mal-aimée, Victoria s’en réjouit avec cette nouvelle, comme n’importe quelle femme, elle aimerait aussi être mère. Pendant tous les mois suivants, elle suit de près la grossesse de Silvia. Après sa naissance, elle prend soin de Decito. Bien qu’agréables, ces nouvelles tâches ne la comblent pas, toutefois, elle est trop jalouse de Silvia, le bonheur de sa sœur la dérange. Quand elle fait de la couture, ça lui arrive de se piquer les doigts avec l’aiguille, quand elle voit le couple ensemble. Silvia est une bonne mère, elle ne lui confie pas complètement la garde du bébé. Cessant toute activité mondaine, elle reste à la maison avec son mari. Afin que la jeune famille vive leur bonheur tranquillement, Victoria se replie dans ses chambres. Elle adopte une petite chatte pour se consoler de son malheur ; cet animal devient le réceptacle de toutes ses frustrations, mais comme elle n’en est pas très fière, un jour elle le jette violemment par terre.
Quand elle va dans les magasins, elle examine soigneusement la qualité et les prix des produits. Dans une boutique de fleurs, elle voit comme de jolies jeunes femmes se font arnaquer par les vendeurs. Cette mésaventure ne lui arrivera jamais à elle, douée pour toutes les choses inutiles, elle sait acheter. Mais comme les fleurs, qu’elle vient d’acheter, ne lui sont pas destinées, tout à coup, elle en ressent une jalousie atroce. Elle ne se sent pas à sa place dans la maison de Silvia et Hernán. Quand ils se promènent dans le jardin, ils essayent d’être gentils, mais, dès qu’ils s’éloignent un peu, débarrassés de sa présence agaçante, ils s’embrassent sur la bouche. Hernán reçoit souvent des invités. Quand ils viennent, Victoria s’en charge d’organiser les repas. Un jour Silvia lui annonce la visite d’un riche propriétaire terrien, un parent éloigné qui malgré ses nombreuses occupations voyage beaucoup. Benítez est gentil et poli, à table il semble satisfait du dîner. Hernán lui dit alors que tout le mérite revient à Victoria, car c’est elle qui gère la maison. Elle trouve cette scène ridicule, mais, toujours contradictoire, elle s’en veut, toutefois, de ne pas avoir mis une jolie robe. Au bout d’un certain temps les choses commencent à préciser un peu : Benítez voudrait se marier avec elle, Victoria prend sa demande au sérieux, à trente-sept ans, elle ne veut pas rater sa dernière chance. Mais toujours fidèle à elle-même, elle ne veut pas paraître trop désireuse de se marier. Quand ils sont proches, son prétendant s’appelle Julio, mais il devient Benítez quand il s’y éloigne. Son beau-frère Hernán continue à la troubler, en fait. Quand elle est trop près de lui, elle respire la bouche ouverte pour ne pas sentir l’odeur de ses cheveux. Quoique neuf, elle trouve que son espace privé est vieux et démodé. Elle pense à la maison où elle vivrait avec Julio Benítez, elle s’imagine une chambre avec un lit double, mais sans Julio Benítez, toujours dans l’attente d’un amant, à la place d’un homme en pyjama, elle veut un papillon triomphant. Victoria rend visite à Benítez dans son domaine situé à Bellavista, l’endroit est magnifique, un joli parc entoure la maison. Ses domestiques semblent méfiants, elle doit être à la recherche d’un mari… Benítez vient de réceptionner des machines américaines. Dans le pays les choses se passent toujours comme ça : on commande les meubles en Angleterre, les robes en France, mais les machines aux États-Unis. Pendant qu’ils se promènent dans le jardin, Silvia et Hernán se tiennent la main, devinant qu’ils vont s’embrasser, elle retient ses sanglots, soudain, elle s’aperçoit que Julio est à ses côtés. Julio Benítez finit pour la demander formellement en mariage, sans exiger, toutefois, une réponse immédiate. Sa demande a lieu dans le jardin, comme, tout de suite après, Hernán s’approche d’eux, Victoria s’évanouit. On lui applique des compresses froides sur le front, et on la fait boire une gorgée de cognac. Cette balade après le déjeuner, sous le soleil, dut lui faire du mal. Julio fait preuve d’une extrême sollicitude, mais ses petits soins ne sont nullement efficaces, elle reste alitée pendant tous les jours suivants. Elle a une crise de foie, paraît-il. Un médecin a diagnostiqué cette maladie et c’est très bien ainsi ! Tandis qu’elle s’en remet ; elle arrive à la conclusion qu’un mariage de raison l’aiderait à enterrer une passion illicite. Mais, après mûre réflexion c’est non, Silvia se chargea de communiquer son refus définitif à Benitez, qui en est très peiné. Victoria songe à son attirance pour Hernán et à son dégoût pour Benítez. Si ce dernier ne lui avait pas proposé le mariage, entre eux une amitié aurait pu fonctionner, après tout, elle ressentait une certaine tendresse pour lui. Le fait de regarder à Hernan ou de penser à lui, cela lui suffit pour être heureuse. Bonne sœur, elle est contente, toutefois, que Silvia et Decito puissent le rendre heureux. Sa capacité à être généreuse est admirable. Palmira vient de rompre avec son fiancé, elle devient sa partenaire dans le malheur. Sauf qu’un jour elle lui dit qu’elle va partir, Victoria, qui n’est pas d’accord avec son départ, lui en fait des reproches. Palmira considère que la maison est hantée, et que si elle ne part pas, elle n’aura jamais de mari. Victoria parvient à la retenir avec quelques cadeaux. Après cette conversation, elle tombe malade, son médecin lui prescrit des médicaments, mais elle ne les prend pas. Elle ne dort pas assez et devient désagréable avec tout le monde. Hernán commence à faire la fête et rentrer tard à la maison ; arrêtant ses bonnes intentions initiales, Victoria essaie de le distancer de son épouse. Entre-temps, Palmira, sa partenaire d’infortune, jusque-là, elle prend un nouvel amant. Un soir, Victoria, qui les espionne, voit comment elle l’emmène dans sa chambre. Elle s’approche de la porte pour écouter ce qui se passe de l’autre côté. Sa curiosité a des limites, néanmoins, sa dignité lui interdit de regarder par le trou de la serrure. Comme de toute façon, elle reste sa patronne, si Palmira passe la nuit avec son amant, le lendemain, elle se venge en l’accablant de travail. Une chose presque inévitable arriva, Palmira tombe enceinte, elle adopte alors une attitude très moralisatrice, la jeune fautive doit quitter la maison, pour apaiser sa conscience, avant que Palmira parte, elle lui donne quelques sous, toutefois. Quant à sa famille, les choses tournent pour le couple. Hernán ne sort plus le soir, mais ses amis viennent boire et jouer aux cartes à la maison. Las de cette situation, Silvia leur demande, pendant une soirée, d’écouter la musique de Liszt et la poésie d’Amado Nervo. N’appréciant guère ce changement, ils ne reviennent plus. Hernán ne se déclare pas vaincu, pour autant, il modifie encore une fois ses habitudes, maintenant il découche. Les disputes du couple deviennent féroces. Lorsque Hernan lui parle mal, par ricochet, elle s’en réjouit et aimerait même qu’il la frappe... Silvia lui fait un aveu de taille : la maternité ne la rend pas heureuse, le physique d’une femme se dégrade trop, quand elle se dispute avec Hernán, elle aimerait moins son fils, en plus. Un soir Hernán rentre à la maison complètement ivre, tenue négligée, l’air égaré. Victoria lui lave le visage dans la salle de bains, après cela, elle se rend chez Silvia. Sa sœur lui dit que ce n’est pas la première fois qu’il revient dans cet état à la maison, pour cette raison elle verrouille la porte de sa chambre. Hernán peut terminer sa soirée dans la baignoire si ça lui chante. Victoria revient alors vers Hernán, qui la touche avec ses grandes mains en lui disant : tu es pour moi comme un frère… Tandis que le couple se déchire, Victoria leur sert d’intermédiaire. Quand Hernán est ivre, elle devient sa confidente, elle ne s’en plaint pas du tout, car cette situation le rapproche de lui. Lorsqu’il part en voyage, elle attend les lettres, qu’il envoie à Silvia, avec impatiente, elle se met en colère, si sa sœur ne les lit pas dès leur arrivée. Après une absence de quinze jours, Hernán rentre enfin à la maison, au lieu de rester avec son mari, Silvia se rend à un thé dansant, habillée avec une robe fraîchement arrivée de Paris, les bras bien dénudés ! À son retour la dispute conjugale est d’une violence inouïe. Ensuite le couple s’enferme dans sa chambre pendant tout le restant de la soirée. Le lendemain, » ils reviennent réconciliés dans la salle à manger. À partir de ce jour-là Victoria a beau être une fine psychologue, cette habilité est devenue inutile. Lors des vacances estivales, comme elle a peur de rester toute seule à Santiago, elle part avec le couple à la campagne. Son séjour, dans le domaine familial, étant contraint et forcé, elle a une humeur exécrable. Le couple ne lui en tient pas rigueur, ils tolèrent son attitude déplaisante. Ils ont bien d’autres choses à faire… Hernán surveille les labeurs agricoles, Silvia fait de la couture. Victoria demande aux domestiques des nouvelles de Palmira. « Oh, madame, Palmira perdit son bébé et elle est morte aussi. À cause de sa conduite, son père refusa qu’elle reçoive des soins médicaux ». Comme elle aimait Palmira, en apprenant cette nouvelle, elle se culpabilise beaucoup. Parfois ça lui arrive de traverser un champ où se trouvent deux taureaux attachés à un piquet. Un jour, chose prévisible, les deux bêtes se détachent et foncent vers la maison. Malgré le fait qu’elle les voit venir, elle ne prévient pas sa sœur, Silvia est renversée par les animaux. À cause de cet accident malheureux, Victoria perd connaissance pendant quatre heures. Lorsqu’elle se réveille, on la met au courant que sa sœur est hospitalisée dans une clinique de la capitale, mais qu’elle va bien, Victoria prend la décision de partir à Santiago le jour même. Se sentant déjà coupable de la mort de Palmira et de son bébé, elle veut se suicider. Une tante prend de la morphine, obtenir cette substance serait une tâche facile, sous l’effet de la drogue, elle aurait une mort douce et sans douleur. Ses intentions suicidaires restent sans suite, toutefois, elle ne passe pas aux actes. Hernán et Silvia planifient un voyage aux États-Unis d’une durée de six mois environ.
Sa sœur voudrait qu’elle veille sur Decito, qu’elle soit comme une seconde mère pour lui. Victoria est ravie, mais, manque de chance, Decito tombe malade deux semaines après le départ de ses parents. Se sentant encore une fois coupable, elle décide de garder cette information pour elle. Le médecin lui dit que le germe du typhus peut rester latent un mois, mais fort heureusement Decito guérit. Cet enfant devient très important pour elle. Trop peut-être, de retour à la maison, ses parents font enlever le petit lit de sa chambre ; Decito doit dormir dans sa chambre à lui. Et ce n’est pas tout, suivant les conseils du médecin, le couple partit avec leur fils à la côte. Pour la consoler, Silvia lui assure qu’elle sera de retour à la maison pour son anniversaire. Sachant que l’enfant reviendra, Victoria se résigne à ce départ. Mais comme sa résignation n’est pas totale, la maison lui semble trop vide, elle a peur, elle broie du noir. Elle reprend alors sa pratique religieuse. Bien que les prières ne remplaceront jamais Decito, elle continue de s’adresser à Dieu régulièrement. Ne pouvant pas lui offrir une âme en paix, elle lui offre ses peines, ainsi que ses efforts pour n’aimer que lui. La date prévue pour ce retour tant attendu arrive enfin, Victoria attend son neveu avec des cadeaux et des gourmandises. Une attente vaine, hélas. Vers cinq heures de l’après-midi, elle reçoit un message contenant les vœux d’anniversaire de Silvia et une excuse : des visiteurs sont venus chez eux sans prévenir. Inconsolable, Victoria pense que sa sœur a raison : avec un mari et une vie mondaine bien remplie, elle n’a que faire des sensibilités d’une sœur trop maniaque. Victoria rumine des idées bizarres. Le déclin physique des êtres humains (prothèses, plaies, pus) le fascine, mais comme la Croix-Rouge ne l’intéresse pas, elle préfère se réfugier dans la prière. Un abri qui en réalité ne lui sert pas à grand-chose, lorsqu’elle regarde une orange pelée elle pense aux fesses d’un ange ! Ne sachant plus si elle est folle ou maudite, elle demande à son directeur de conscience de lire son journal. Après l’avoir lu, le prêtre n’aime pas qu’elle couche son vécu sur le papier. Pourquoi se souvenir de misères que la mémoire ne peut point contenir ? Dans ses rêves cela lui arrive de voir une Vierge Marie, vêtue comme une femme ordinaire, qui lève le doigt pour souligner la gravité de ses fautes. Un douze juillet de 1920, Victoria, très fiévreuse, ne peut parler ni avaler quoi que ce soit. Les médecins décident de l’opérer le lendemain. En attendant l’opération, comme son état de santé semble critique, son directeur de conscience vient la voir. Après son départ, elle lui demande à Sainte Philomène de l’aider. Miracle ! L’abcès, qu’elle avait dans la bouche, éclate de lui-même. Derniers mots de son journal intime : dorénavant, elle va se consacrer exclusivement à Dieu. Son état de santé ne lui permettant pas d’entrer dans un couvent, elle mènera une vie monacale à la maison. Cette promesse elle la respecte scrupuleusement. Énorme déception : Decito, son neveu bien-aimé, se moque d’elle cruellement.
Commentaire et résume du texte de Georges Aguayo
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