Plusieurs familles d’Indiens Mapuches ont réinvesti en Patagonie des terres acquises par le groupe Benetton dont ils avaient été expulsés en 2002. La justice leur interdit de construire en dur et de faire du feu.
De Santa Rosa-Leleque (province de Chubut), Le jour se lève au son des “hey-hey-hey-hey” que les fidèles lancent, tendant les bras vers les montagnes de l’est, où le soleil commence à poindre. Ils célèbrent la cérémonie face au pillán kutral, “cœur de la communauté”, comme le définissent les Mapuches. Une expression qu’on pourrait traduire approximativement par “feu sacré”.
À Santa Rosa-Leleque, le pillán kutral est allumé depuis le 14 février, date à laquelle trente hommes, femmes et enfants, ont franchi la clôture de barbelés pour récupérer 535 hectares de terrain qui appartenaient à leurs ancêtres. Le feu, qui abrite les esprits des ancêtres, est entretenu dans un cercle de pierres et sur deux mois de cendres. On lui doit un respect absolu : il est interdit d’y jeter des mégots, des sachets de thé ou des ordures. Il donne uniquement lumière et chaleur. Pour cuisiner, il y a le feu normal, délimité par un muret de briques.
Cet élément fondamental de la religion mapuche n’a pas été épargné par le conflit qui oppose cette communauté à la Compagnie des terres du Sud argentin, la société derrière laquelle s’abrite le groupe Benetton pour maintenir clôturés les 965 000 hectares qu’il a acquis en Patagonie.
À la mi-avril, la justice a interdit à la communauté de faire du feu tant
que le conflit n’aurait pas été réglé devant les tribunaux. La décision du juge d’Esquel, Omar Magallanes, fait suite à une demande des avocats de Benetton. La même mesure interdit aux dix familles de la communauté de construire des logements. Santa Rosa Leleque est donc un campement de tentes igloo trop minces, les températures descendant toutes les nuits au-dessous de zéro.
que le conflit n’aurait pas été réglé devant les tribunaux. La décision du juge d’Esquel, Omar Magallanes, fait suite à une demande des avocats de Benetton. La même mesure interdit aux dix familles de la communauté de construire des logements. Santa Rosa Leleque est donc un campement de tentes igloo trop minces, les températures descendant toutes les nuits au-dessous de zéro.
Pour l’instant, la seule construction est un ranchito [maison en terre à armature de bois] où les Mapuches conservent de la farine, du vermicelle, des confitures, des tortas fritas [sortes de bugnes] et les colis alimentaires que leur ont donnés des gens des villages voisins et des touristes généreux. A 700 mètres de là se dresse la maison communautaire, encore inachevée, parce que la justice winka [blanche], comme on l’appelle à Leleque, en a décidé ainsi. Il y a quelques jours, le juge de paix d’El Maitén, Guillermo Palmieri, a franchi les barbelés avec son attaché-case. Ce dernier contenait les 30 avis d’interdiction [de faire du feu] émis à l’encontre de chacun des habitants de Santa Rosa.
En interdisant le feu, “ils espèrent qu’on se lassera et qu’on finira par partir, explique Rosa Nahuelquir. Il a commencé à neiger et nous n’avons même pas pu finir de construire la maison. Mais, s’ils croient qu’ils vont nous faire peur, ils se trompent.” Elle et son mari Atilio Curiñanco se battent depuis 2002, année où le couple a été expulsé par la justice de ces terres qu’ils revendiquent comme étant les leurs. Des terres qui, sans exagérer, sont le plus bel endroit du monde : montagnes couronnées de neige, torrents, terres qui n’attendent que d’être cultivées ou de servir de pâturages, le rêve d’Atilio.
Pour les Mapuches les arbres sont sacrés Le matin de bonne heure, lui et Luis Millán, armés d’une pioche et d’une pelle, vont s’occuper de l’irrigation. Ils marchent vers les montagnes, suivant le lit d’une rivière asséchée depuis 2002, quand les forces de l’ordre ont démantelé le système d’irrigation, comme tout ce qu’avait construit le couple Nahuelquir-Curiñanco. Ce cours d’eau irriguait des terres idéales pour les cultures. “Si ces militaires s’imaginent que nous allons céder”, commente Atilio entre deux coups de pelle.
Avec son compagnon, il installe quelques pierres et la rivière se divise en deux, ce qui va permettre de semer sur plusieurs hectares. “Tu veux de l’eau fraîche? me propose Atilio. Il n’y a pas plus pur. Elle vient tout droit de la montagne.”
À Santa Rosa règne le plein emploi. Quand il ne faut pas irriguer, il faut aller chercher du bois. Pour les Mapuches, les arbres sont sacrés, donc pas question de les abattre. Ils ne coupent du bois que sur les arbres tombés. S’ils sont obligés de tuer un arbre – ou n’importe quel être vivant –, ils demandent d’abord l’autorisation à la mapu [terre]. Et récupérer leur territoire revient à renouer avec la spiritualité.
Du matin au soir, les Mapuches rendent un culte à la terre. Et, quand ils dorment, la mapu leur parle en peuma (rêve) et leur dit ce qui est. Ses messages sont si clairs qu’il ne viendrait à l’idée de personne de lui désobéir. Le mapudungun est la langue que la terre a donnée aux humains pour qu’ils puissent communiquer avec elle. Beaucoup sont convaincus que les malheurs du peuple mapuche ont commencé quand ils ont cessé de communiquer avec la terre, quand ils se sont “winkaïsés”. Pour franchir la clôture de barbelés, il faut se plier en deux, mettre un pied ici, puis un pied là. Pour éviter qu’on ne les accuse de détérioration, les Mapuches ne forcent pas les cadenas ni ne sectionnent les barbelés. Parmi les participants, une petite vieille toute menue, au visage parcheminé. Pas besoin de lui demander son âge pour savoir qu’elle a vécu l’époque des premières expulsions, vers 1937. “Dites-nous, Papay [mamie], qui vivait à Santa Rosa avant les expulsions ?” La vieille dame soupire : “Avant, quand il n’y avait pas de barbelés…”
Sebastián Ochoa Página 12
HistoireAvec 1,5 millions de personnes, les Mapuches sont la première communauté autochtone d’Amérique du Sud. 250 000 vivent en Argentine, le reste au Chili. Ni les Incas, ni les conquistadors espagnols n’ont réussi à les soumettre. Au XIXe siècle