Un certain regard. Dans «Calle Santa Fe», un documentaire pudique mais bouleversant, Carmen Castillo raconte à la fois son drame personnel et un pan de l'histoire du Chili, celle du putsch de Pinochet. Santa Fe (Rue Santa Fe) documentaire de Carmen Castillo. 2 h 40. Sortie prévue à l'automne.
Par Olivier SEGURET
elle était historienne, mais c'est justement l'histoire, la grande, la tragique, qui l'a rendue cinéaste, plus particulièrement documentariste, même s'il lui aura fallu plus de trente ans pour trouver la force de tourner la plus proche et toujours brûlante des histoires : la sienne. Carmen Castillo est ainsi retournée au Chili, qui l'a vu naître et qui faillit la voir mourir, ce 5 octobre 1974, dans la rue Santa Fe, qui traverse un faubourg populaire de Santiago. Elle était enceinte, tomba dans le coma, perdit tout son sang. Au réveil, à l'hôpital, l'enfant qu'elle portait était mort et le père de celui-ci aussi : Miguel Enriquez, chef de la toute fraîche résistance clandestine à la dictature de Pinochet, son fier et beau compagnon, dont elle ne se console pas, aujourd'hui encore, d'avoir perdu la compagnie.
Retenue et entêtée. Le long travail entrepris par Carmen Castillo pour reconstituer les circonstances de cette catastrophe personnelle superposée à une catastrophe politique est de ceux que l'on n'oublie pas. Avec une patience retenue et entêtée, elle collecte d'innombrables témoignages qui n'ont pas pour seule ambition d'honorer les morts mais au contraire d'édifier les vivants.
Ne pas s'imaginer pour autant que Calle Santa Fe ne carburerait qu'au chantage politico-affectif. C'est à l'inverse avec une terrible pudeur que la cinéaste enveloppe les témoignages les plus bouleversants, ne s'y attardant jamais, les absorbant illico dans son magnifique regard, les enchâssant tout aussi vite dans la longue théorie d'éclats humains qui sont autant d'anneaux vertébraux et qui font tenir son film fièrement, droitement, debout. Evidemment, entendre la mère de deux fils morts, Rafael et Eduardo, assassinés en pleine jeunesse et en pleine rue par les putschistes, expliquer comment ses enfants lui ont «beaucoup appris», et même, dit-elle, l' «ont fait mûrir» pourrait suffire à tirer les plus chaudes larmes à n'importe quel coeur. Mais Carmen Castillo ne s'en contente pas, et c'est l'une des grandes noblesses de son film. Elle pousse l'honnêteté jusqu'à se remettre en cause elle-même, jusqu'à interroger cette pulsion morbide qui lui fait ressasser le passé et jusqu'à accepter, finalement, la critique juste, mais sévère, de la jeunesse chilienne d'aujourd'hui, qui entend mener par elle-même ses propres combats. C'est beau, l'héroïsme, mais est-ce bien utile ?
Soin méticuleux. Certes, Calle Santa Fe n'est pas un clip ni un de ces «petits sujets» pour le 20 heures . Il dure 2 h 40 et il y aurait une vraie indécence à s'en plaindre, compte tenu du soin méticuleux que la réalisatrice emploie à balayer la totalité du spectre de la société chilienne de l'époque et d'aujourd'hui. On n'a de toute façon pas le temps de s'ennuyer : l'émotion, la rage, l'incrédulité et l'empathie ne cessent de rebondir l'une sur l'autre, donnant au film sa progression ascensionnelle. Un mot sur la cinéaste, puisqu'elle se filme elle-même filmant les autres, jusque dans les reflets d'un miroir parfois. On voudrait rendre justice et hommage à sa figure superbe, à son incurable et charismatique amertume, à son beau sourire triste... A tous points de vue : quelle femme!
elle était historienne, mais c'est justement l'histoire, la grande, la tragique, qui l'a rendue cinéaste, plus particulièrement documentariste, même s'il lui aura fallu plus de trente ans pour trouver la force de tourner la plus proche et toujours brûlante des histoires : la sienne. Carmen Castillo est ainsi retournée au Chili, qui l'a vu naître et qui faillit la voir mourir, ce 5 octobre 1974, dans la rue Santa Fe, qui traverse un faubourg populaire de Santiago. Elle était enceinte, tomba dans le coma, perdit tout son sang. Au réveil, à l'hôpital, l'enfant qu'elle portait était mort et le père de celui-ci aussi : Miguel Enriquez, chef de la toute fraîche résistance clandestine à la dictature de Pinochet, son fier et beau compagnon, dont elle ne se console pas, aujourd'hui encore, d'avoir perdu la compagnie.
Retenue et entêtée. Le long travail entrepris par Carmen Castillo pour reconstituer les circonstances de cette catastrophe personnelle superposée à une catastrophe politique est de ceux que l'on n'oublie pas. Avec une patience retenue et entêtée, elle collecte d'innombrables témoignages qui n'ont pas pour seule ambition d'honorer les morts mais au contraire d'édifier les vivants.
Ne pas s'imaginer pour autant que Calle Santa Fe ne carburerait qu'au chantage politico-affectif. C'est à l'inverse avec une terrible pudeur que la cinéaste enveloppe les témoignages les plus bouleversants, ne s'y attardant jamais, les absorbant illico dans son magnifique regard, les enchâssant tout aussi vite dans la longue théorie d'éclats humains qui sont autant d'anneaux vertébraux et qui font tenir son film fièrement, droitement, debout. Evidemment, entendre la mère de deux fils morts, Rafael et Eduardo, assassinés en pleine jeunesse et en pleine rue par les putschistes, expliquer comment ses enfants lui ont «beaucoup appris», et même, dit-elle, l' «ont fait mûrir» pourrait suffire à tirer les plus chaudes larmes à n'importe quel coeur. Mais Carmen Castillo ne s'en contente pas, et c'est l'une des grandes noblesses de son film. Elle pousse l'honnêteté jusqu'à se remettre en cause elle-même, jusqu'à interroger cette pulsion morbide qui lui fait ressasser le passé et jusqu'à accepter, finalement, la critique juste, mais sévère, de la jeunesse chilienne d'aujourd'hui, qui entend mener par elle-même ses propres combats. C'est beau, l'héroïsme, mais est-ce bien utile ?
Soin méticuleux. Certes, Calle Santa Fe n'est pas un clip ni un de ces «petits sujets» pour le 20 heures . Il dure 2 h 40 et il y aurait une vraie indécence à s'en plaindre, compte tenu du soin méticuleux que la réalisatrice emploie à balayer la totalité du spectre de la société chilienne de l'époque et d'aujourd'hui. On n'a de toute façon pas le temps de s'ennuyer : l'émotion, la rage, l'incrédulité et l'empathie ne cessent de rebondir l'une sur l'autre, donnant au film sa progression ascensionnelle. Un mot sur la cinéaste, puisqu'elle se filme elle-même filmant les autres, jusque dans les reflets d'un miroir parfois. On voudrait rendre justice et hommage à sa figure superbe, à son incurable et charismatique amertume, à son beau sourire triste... A tous points de vue : quelle femme!
Rue Santa Fe, le 5 octobre 1974, dans les faubourgs de Santiago du Chili, Carmen Castillo est blessée et son compagnon, Miguel Enriquez, chef du MIR et de la Résistance contre la dictature de Pinochet, meurt au combat. C'est le point de départ de "Rue Santa Fe", voyage sur les lieux du présent. Tous ces actes de résistance vallaient-ils la peine? Miguel, est-il mort pour rien? Au fil des rencontres, avec la famille, les voisins de la rue Santa Fe, les camarades, leurs vies, leurs visages, Carmen Castillo parcourt un chemin, qui va de la clandestinité a l'exil, des jours lumineux d'Allende aux longues années sombres de la dictature, avec tous ceux qui ont résisté à cette époque et ceux qui résistent encore aujourd'hui. Se tisse l´histoire d'une génération de révolutionnaires et celle d'un pays brisé. La quête du sens de ces vies engagées nous conduira dans les sous-sols d'un pays amnésique où les morts ne sont pourtant pas morts et où les jeunes inventent, une nouvelle fois, un rêve