ELISA LONÇON ANTILEO PHOTO ELVIS GONZALEZ |
Issue du peuple mapuche, Elisa Loncon a été élue, en juillet dernier, présidente de la Convention constituante chargée de donner corps à une loi fondamentale tournant le dos à celle léguée par Pinochet. Cette professeure incarne la confluence des mouvements sociaux qui s’est produite en octobre 2019, avant de trouver une traduction institutionnelle. ENTRETIEN
PHOTO REVUE BALLAST |
Comment évaluez-vous le travail accompli par la Convention constituante, depuis son installation au Chili le 4 juillet ?
ELISA LONCON La Convention n’existait pas : nous avons dû créer l’organe, l’institution, définir des normes, un mode de fonctionnement. Cette entité nouvelle, nous l’avons mise en marche. Une nouvelle forme démocratique s’invente là : aucune force n’est majoritaire seule ; pour avancer, nous sommes obligés de surmonter nos divergences. Nous voulons que la future constitution reflète les transformations dont ce pays a besoin pour garantir le respect des droits des citoyens, des peuples et de la nature : c’est le mandat que nous ont confié les électeurs. Au sein de l’Assemblée comme à l’extérieur, nous avons installé un langage, des relations de dialogue, de dialogue interculturel, et nous en appelons à toutes les institutions de ce pays pour qu’elles choisissent elles aussi cette voie du dialogue pour résoudre les problèmes du Chili.
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Votre élection a eu une valeur symbolique : vous êtes une femme, issue du peuple mapuche. Que dit ce symbole des mutations de la société chilienne ?
ELISA LONCON Dans une situation de crise politique comme celle que nous devons affronter au Chili, un dialogue s’est engagé entre les mouvements sociaux pour bâtir une unité ancrée dans des demandes sociales spécifiques. C’est là qu’a pris corps l’idée d’une nouvelle Constitution. Et ces mouvements sociaux, tout en continuant à assumer, chacun, ses revendications propres, ont commencé à cheminer ensemble. Cet élan s’est reflété dans la composition de cette Convention constitutionnelle, dans un contexte de crise abyssale d’une démocratie représentative qui tient les mouvements sociaux à distance et fait bien peu de cas des droits citoyens et des demandes sociales. Jusque-là, les personnes élues étaient moins guidées par le bien commun et la citoyenneté que par la défense d’intérêts particuliers.
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Le mouvement mapuche, qui revendique depuis très longtemps les droits de ce peuple originaire, est entré en scène dans ce dialogue entre mouvements sociaux et les étudiants, les femmes, les travailleurs ont fait leur la bannière mapuche dans leurs luttes contre l’oppression ; c’était aussi un signe de reconnaissance de la juste lutte menée par les nations originaires. C’est ainsi que fut proposée ma candidature à la direction de cette Convention constitutionnelle. J’ai été élue avec l’appui de la gauche, des secteurs indépendants – majoritaires –, des féministes, des dissidents sexuels. Voilà ma lecture de ce processus historique, né de la confluence de mouvements mobilisés autour d’une même revendication, celle d’écrire une nouvelle Constitution.
TABLEAU LEON GOLUB |
« Les attaques racistes et sexistes sont violentes à mon encontre. Le peuple s’est dit favorable à 80 % à la nouvelle Constitution. Cette expression citoyenne doit se manifester fermement. »
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Que pensez-vous de l’état d’urgence décrété dans la zone Sud, prolongé à la veille des élections, et du cycle de répression dans la région de l’Araucanie contre les Mapuches ?
ELISA LONCON Je crois que c’est une décision malheureuse, à contre-courant des besoins du pays, qui aspire au dialogue. C’est un mauvais signal politique : il témoigne de l’absence de propositions de ce gouvernement en crise, incapable de répondre aux demandes politiques, culturelles et territoriales des peuples originaires et du peuple mapuche en particulier. Sa seule réponse tient dans la militarisation, dans la présentation de ce conflit comme un problème de « terrorisme », de violence. Ces jours-ci, un jeune Mapuche a encore été tué. Depuis 1999, 18 jeunes Mapuches sont morts dans ce conflit. Ils sont morts en raison de l’inefficacité des gouvernements qui refusent de reconnaître les droits du peuple mapuche. Cette politique répressive n’est pas sans rapport avec la campagne électorale en cours : la droite pense recueillir davantage de suffrages en maintenant l’état d’exception, qui restreint les libertés fondamentales, viole les droits humains, bloque la libre circulation des personnes.
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Si le processus électoral, qui doit désigner un nouveau président et un nouveau Parlement, devait donner la victoire aux opposants à l’idée même d’une nouvelle loi fondamentale, qu’adviendrait-il de ce processus constituant ?
ELISA LONCON Le prochain gouvernement, quel qu’il soit, devra dialoguer avec cette Convention ; il devra la soutenir dans son travail pour donner au Chili une nouvelle Constitution ; il devra opter pour le dialogue et la coopération. Certains secteurs de la droite chilienne ont fait beaucoup de mal, en diffusant des mensonges sur le rôle et le travail de cette Convention, avec une campagne de désinformation et de violentes attaques à caractère raciste et sexiste à mon encontre. Les Chiliens se sont prononcés à 80 % en faveur de cette nouvelle Constitution. C’est cette expression citoyenne qui doit se manifester fermement pour garder vivant ce processus.
Comment expliquez-vous l’ascension d’une figure politique comme celle de José Antonio Kast, qui incarne le rappel à l’ordre, la haine de l’altérité, la nostalgie de la dictature ?
ELISA LONCON Le surgissement de ce candidat ne s’explique que par les intérêts économiques et politiques de l’élite chilienne, qui use des médias qu’elle possède pour positionner l’un de ses membres en la personne de Kast. Une campagne de désinformation, de mensonge, de manipulation s’est déployée pour le placer en tête des sondages et bloquer les changements auxquels aspire le Chili. Or, les choses ont déjà changé, le pays est différent depuis le soulèvement social de 2019 qui a permis d’ouvrir ce processus constituant. La parité, la perspective d’un état plurinational, la décentralisation, les droits de la terre mère sont au centre du débat politique désormais. Un nouveau Chili prend corps : ce sera un pays qui ne laissera plus personne de côté, qui respectera la dignité humaine et saura garantir des réparations à toutes les personnes dont les droits humains ont été violés tout au long de son histoire, qui se projettera comme une société moins polarisée, attachée au vivre-ensemble, soucieuse du défi posé par le changement climatique. C’est dans cette direction que nous avancerons.
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« NON À LA MILITARISATION DU TERRITOIRE MAPUCHE » |
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