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HECTOR LLAITUL PHOTO AGENCIA UNO |
Figure de la lutte des Mapuches, Hector Llaitul affirme une perspective autonomiste, seule voie de sortie, à ses yeux, du conflit qui oppose ce peuple indigène à l’État chilien. ENTRETIEN.
PHOTO REVUE BALLAST |
comment analysez-vous les raisons politiques de l’état d’exception décrété par le gouvernement de Sebastian Piñera dans le Wallmapu ?
HECTOR LLAITUL Le mouvement est vaste et divers, il comprend de nombreuses expressions. Je représente l’une d’entre elles. La Coordination Arauco Malleco (CAM) est une voix autonomiste, révolutionnaire, et concrètement, c’est celle-là qui est entrée en confrontation avec l’État chilien.
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La situation actuelle était prévisible. Depuis plus de vingt ans, nous affirmons cette nécessité, comme peuple, de récupérer notre territoire et notre autonomie. En exprimant cette volonté, nous entrons en collision avec les intérêts du grand capital. Ici, la bourgeoisie a profité de la dictature pour imposer par la force, par le feu et par le sang un système dans lequel elle a fait de la terre, de l’eau des « ressources » à piller. Ils ont aiguisé leur stratégie de dépossession, envahi des territoires qui échappaient encore à leur contrôle. C’est là qu’est né le conflit : nous avons adopté une posture de défense de ce qui nous restait et dans certaines zones, là où la confrontation était la plus dure, la violence politique s’est alors installée.
Vous dites vous inscrire dans un processus de libération nationale. Quel en serait l’horizon ?
HECTOR LLAITUL Nous nous fixons comme objectif à long terme la reconquête de l’indépendance du peuple nation mapuche, tout en faisant entrave aux intérêts du grand capital. Ce qui se passe ici, c’est qu’un État capitaliste perpétue un format de reproduction du colonialisme que nous combattons. Le peuple mapuche est un peuple opprimé auquel des structures étatiques dénient le droit à jouir de son territoire occupé et usurpé, spolié et exploité, mais aussi son droit fondamental à la souveraineté, à l’autodétermination, à l’autonomie.
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Quel rôle jouent les grandes entreprises forestières dans ce conflit ?
HECTOR LLAITUL Nous faisons face aux acteurs d’un capitalisme sauvage qui n’a absolument aucune considération pour rien. Les exploitations minière et forestière sont les deux grands butins de la bourgeoisie qu’aucun gouvernement démocratique n’a repris. Et si l’exploitation minière est soumise à certaines réglementations et contributions, les forestiers, eux, échappent à tout contrôle. Ces entreprises intégrées au capitalisme mondialisé tirent leur prospérité d’une propriété usurpée.
Quelles formes de lutte adoptez-vous ?
HECTOR LLATUL Nous sommes entrés dans un processus de lutte pour la reconstruction de la nation mapuche. La spoliation et l’usurpation, la déprédation générées par les politiques extractivistes ne détruisent pas seulement la terre et l’eau, mais aussi tout un peuple. Nous voulons reconstruire un monde distinct, hors de l’État, du système existant. Nous ne demandons pas nos terres : nous les reprenons. Et une fois récupérées, soustraites à la coupe néfaste du capitalisme, le résultat est celui d’une transformation radicale. Deux visions du monde s’entrechoquent ici. Avec, d’un côté, une culture capitaliste, eurocentrique qui représente pour nous une culture de la mort, parce qu’elle détruit la sphère sociale et politique, mais aussi la terre, simplement vue comme pourvoyeuse de « ressources ». Nous y opposons la sauvegarde absolue de ce à quoi nous sommes liés par une forme de fraternité et que nous appelons, en langue mapuche, « itrofil mongem ». Cette expression désigne « tout ce qui vit ». Dans les endroits que nous reprenons, nous travaillons à rétablir l’itrofil mongem, les plantes, les animaux, les eaux. Nous luttons pour la vie qui habite nos territoires. Quitte à détruire des machines, des installations industrielles, à mettre le feu, à entrer dans l’affrontement. Saboter l’ennemi, le capital, c’est ouvrir un espace de reconstruction politique. Il s’agit pour nous de rétablir un monde.