mardi, novembre 29, 2022

M. ALLENDE TENTE D'ÉVITER LA PARALYSIE DE L'ÉCONOMIE CHILIENNE

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CAPTURE D'ÉCRAN

M. Allende semble avoir décidé de satisfaire les revendications des grévistes. Revenant sur l'attitude de fermeté qu'il avait adoptée quelques jours plus tôt à l'égard des camionneurs, dont la grève, qui paralyse le ravitaillement du pays, était qualifiée de " politique " et de nature à " porter atteinte à la sécurité de l'État ", le président de la République chilienne s'est résolu, dans la nuit du mardi au mercredi 18 octobre, à céder sur beaucoup de points du litige qui l'opposait à la fédération des transporteurs routiers, contrôlée par le parti démocrate-chrétien, principale formation de l'opposition. [Pour mémoire ]

Par CHARLES VANHECKE. ARCHIVES LE MONDE

Publié le 19 octobre 1972

COUPURES DE PRESSE
CHILI 1972

Vendredi dernier, le chef de l'État avait déclaré que les véhicules des camionneurs en grève resteraient réquisitionnés tant que le mouvement se poursuivrait. Si l'on en croit une déclaration des transporteurs publics, il vient d'accepter que les camions soient restitués à leurs propriétaires. M. Allende aurait également retiré la plainte du gouvernement auprès des tribunaux qui avait permis l'arrestation des principaux dirigeants de la fédération des transporteurs. Ceux-ci ont d'ailleurs été relâchés mardi.

Enfin, le chef de l'Unité populaire a fait une autre concession en vue de désamorcer le conflit à l'origine de la grève des camionneurs, qui a entraîné, par " solidarité ", celle des commerçants : en reconnaissant le " caractère privé " des entreprises de transport, il paraît bien avoir renoncé à créer, dans le sud du pays, une organisation publique de transports routiers, dont les autres organisations de transport privées redoutaient la concurrence.

La menace de la fédération des transports

LA GRÈVE DES CAMIONNEURS

La situation intérieure incitait M. Allende à se montrer conciliant : l'opposition avait menacé, et menace toujours, de se déchaîner. Après avoir lancé les commerçants dans la grève, le parti démocrate-chrétien avait invité ses militants à " se mobiliser " contre le gouvernement et lancé une sorte d'appel à la paralysie générale, en demandant aux paysans, aux médecins, aux ingénieurs, aux employés d'administration et aux étudiants du secondaire de débrayer à leur tour. Cet appel n'a été, mardi, que partiellement suivi par les employés de banque et les élèves des lycées Mais le mouvement risquait néanmoins de faire tache d'huile. Les médecins et dentistes ont, en effet, décidé un arrêt de travail de quarante-huit heures à partir de ce mercredi. Si leur grève s'était prolongée, elle aurait eu des effets désastreux sur l'opinion. Déjà irritée par de longs mois de pénurie alimentaire, les Chiliens se voient depuis la semaine dernière, privés d'essence par suite de la grève des " poids lourds ", qui entraîne de surcroît une raréfaction des produits de première nécessité, bien qu'à la différence des autres magasins les épiceries et les pharmacies restent ouvertes.

Mardi soir, une nouvelle menace a achevé sans doute de convaincre

M. Allende de céder : la fédération des transports publics avait annoncé qu'elle se joignait au mouvement de protestation. Les Chiliens risquaient donc d'être privés des autobus qui servent à beaucoup d'entre eux pour aller au travail. Les négociations engagées entre le gouvernement et les transporteurs ont abouti à un accord général, dont les points principaux ont été lus à la radio par le président de la fédération des propriétaires d'autobus.

Cet accord va-t-il détendre la situation intérieure ? Il n'est pas sûr que l'opposition renonce à l'offensive déclenchée ces jours derniers. Elle entend, en effet, profiter de l'erreur commise par l'Unité populaire, et qui a mis le feu aux poudres : l'annonce qu'une organisation de transport, appartenant à l'État, serait créée dans le sud du pays. On sait que le programme de l'Unité populaire prévoit l'étatisation d'une grande partie de l'économie (80 %, selon l'hebdomadaire chilien Ercilla).

Il était certes compréhensible qu'un gouvernement de gauche, arrivant au pouvoir dans un pays largement dominé par les féodalités financières et économiques, voulût s'assurer le contrôle des secteurs-clés de l'économie. Mais le gouvernement de M. Allende se heurtait à un obstacle majeur, qui n'a pas été suffisamment souligné par les hommes politiques étrangers soucieux de s'inspirer de l'expérience chilienne : l'Unité populaire est arrivée au pouvoir avec 36% des voix, donc en position minoritaire, avec un programme de " socialisation " qu'elle entendait mettre en œuvre dans un Chili où le socialisme ne peut pas être imposé de façon autoritaire.

Or, le gouvernement n'a pas toujours réussi à bien gérer les entreprises passées sous son contrôle, ainsi que le parti communiste l'a révélé dans de nombreuses autocritiques. La réforme agraire n'a pas donné tous les fruits escomptés. Si la production agricole a augmenté de 4 % l'an passé, elle est loin de pouvoir satisfaire la consommation intérieure, qui a été brutalement relancée par des augmentations de salaires l'an passé. En outre, le gouvernement chilien n'a peut-être pas assez tenu compte des possibilités de blocus auxquelles il devrait faire face à l'extérieur. Or, on voit bien qu'en dépit de la prudence au moins verbale observée par M. Allende à l'égard des États-Unis, ceux-ci, ou du moins les sociétés américaines qui avaient des intérêts au Chili, ont déclenché une véritable " guerre économique " contre ce pays. A la coupure des lignes de crédit (M. Allende a révélé que 270 millions de dollars de crédits qui devaient être accordés par des banques privées américaines, seulement 32 millions ont été débloqués) s'ajoute l'embargo mis par la Kennecott sur les cargaisons de cuivre venant de la mine d'El Teniente qu'elle exploitait avant la nationalisation de juillet 1971.

Mise en garde contre l' " alarmisme"

UNE DU QUOTIDIEN 
« EL MERCURIO » DU 
JEUDI 12 OCTOBRE 1972

La pénurie de devises et les insuffisances de la production interne ont conduit le président chilien à annoncer la semaine dernière, à Valdivia, qu'une " économie de guerre " s'imposait désormais au Chili. La viande de bœuf n'est désormais vendue que pendant les week-ends. Pour éviter que les plus pauvres ne souffrent des mesures de rationnement, quinze articles de première nécessité seront commercialisés à des prix extrêmement bas. Les importations de viande de bœuf et de beurre sont suspendues. Mais il n'est pas du tout certain que l'austérité annoncée suffise à juguler l'inflation, qui a atteint le taux de 99,8 % au cours des neuf premiers mois de 1972.

C'est cette situation pour le moins périlleuse que l'opposition entend mettre à profit. En même temps que la démocratie-chrétienne lançait ses troupes dans la grève, plusieurs attentats, sans doute imputables à des groupes d'extrême droite, ont été commis ces dernières heures : pour la deuxième fois, une bombe a explosé mardi le long de la voie ferrée Santiago-Valparaiso ; sur la route qui relie ces deux villes, des inconnus ont tiré des coups de feu contre un camionneur non gréviste ; à Talcahuano, dans le sud du pays, la police est intervenue pour empêcher une cinquantaine d'ouvriers et d'étudiants de mettre à sac des magasins fermés. À Santiago, un cocktail Molotov a été lancé contre un autobus.

Grèves, attentats, " guerre du cuivre " menée par la Kennecott : cette concordance donne à croire aux milieux gouvernementaux que les " forces de réaction", tant à l'intérieur qu'à l'extérieur, se sont donné le mot pour tenter de renverser le gouvernement de M. Allende. Celui-ci a déclaré mardi devant les employés de la corporation du cuivre que "le pays était au bord de la guerre civile ". C'est la deuxième fois, à notre connaissance, que le président chilien utilise cette expression en public. Tandis que le parti démocrate-chrétien refusait de répondre à une invitation de M. Allende, qui lui demandait de négocier avec lui, le chef de la zone d'urgence de Santiago décidait d'établir le couvre-feu à partir de minuit dans la capitale. Alors que toutes les stations de radio du pays ont été provisoirement placées sous contrôle de l'État, les autorités militaires ont réuni mardi soir les correspondants de la presse étrangère pour leur demander d'éviter la divulgation de " nouvelles alarmantes " sur la situation chilienne. " Nous tenons à vous avertir des risques que vous courez dans vos interprétations ", a déclaré le général Alvarez Aguila, qui a précisé que les agences de presse qui enfreindraient la loi pourraient être fermées.

Par CHARLES VANHECKE

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