dimanche, juillet 02, 2023

CHILI : «LE PARTI RÉPUBLICAIN A VENDU L’ILLUSION D’UN CHANGEMENT DANS LA STABILITÉ»

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JOSÉ ANTONIO K4ST, CHEF DU PARTI RÉPUBLICAIN,
APRÈS L'ÉLECTION DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
À SANTIAGO, AU CHILI, LE DIMANCHE 7 MAI 2023.
PHOTO ESTEBAN FELIX / AP 

Reportage / Chili : «Le Parti républicain a vendu l’illusion d’un changement dans la stabilité» /  À Villa Alemana, une des sept villes de la province de Valparaiso qui ont beaucoup «bougé» au cours des cinq derniers scrutins majeurs, la réalité semble plus complexe qu’attendu, entre défiance vis-à-vis des politiques et divisions profondes.
Près de deux mois ont passé depuis le vote pour le nouveau Conseil constitutionnel et les 51 élus se sont mis au travail début juin pour un «référendum de sortie» prévu en décembre prochain. Arrivé en tête, le Parti républicain (extrême droite, 23 sièges pour 35 % des voix) va devoir composer avec la droite pour réécrire le Texte fondateur, hérité de la dictature (1980), alors qu’il a longtemps été hostile à toute tentative d’en édicter un nouveau.


À Villa Alemana, dans la province de Marga Marga, à 120 kilomètres au nord-ouest de Santiago, la vie a repris son cours après le choc du 7 mai. Comme six autres municipalités de la région de Valparaíso, ce bastion de gauche a basculé de manière spectaculaire en optant à plus de 45 % pour le parti de José Antonio Kast après avoir plébiscité le principe d’une nouvelle Constitution en octobre 2020 (77,3 %) et voté pour Gabriel Boric au second tour de la présidentielle de décembre 2021 (56,7 %), deux scores quasi similaires à la moyenne nationale. «Plus qu’un mouvement de balancier de gauche à droite ou une adhésion aux thèses du Parti républicain, il y a surtout une défiance vis-à-vis des partis politiques aujourd’hui, désamorce Camila, une habitante croisée rue Buenos Aires, directrice d’école à Viña del Mar. Beaucoup expriment leur méfiance à l’égard des élus qui ne résolvent pas les problèmes auxquels ils sont confrontés. Si un camp n’y arrive pas, peut-être que l’autre y parviendra.»

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Dans cette métropole de 140 000 habitants, aux allures de station balnéaire sans la mer, la rage le dispute à l’indifférence. «Boric était supposé nous aider mais les choses sont devenues de pire en pire. Les salaires augmentent beaucoup moins vite que l’inflation. Je n’ai pas voté pour le Parti républicain pour l’insécurité mais pour dire ma colère», promet Jorge, sans emploi, qui vend des fringues et du miel sur un étal de fortune devant chez lui, rue de Tacna. Posé sur un skate, Pablo, son fils, chauffeur Uber de 21 ans, dégage en touche : «C’était obligatoire, j’y suis donc allé. Les parents ont un peu tenté de m’influencer mais j’ai gribouillé sur le bulletin. Pas mon combat.» Le vote obligatoire a rendu de fait le scrutin plus compliqué à lire, avec un taux d’abstention de 15 % malgré les amendes et près de 2,8 millions de bulletins blancs ou nuls. «Ce type de scrutin favorise une forte volatilité et non un basculement à gauche ou à droite de l’électorat. Il répond à des facteurs conjoncturels, bien souvent liés à des enjeux locaux. Les nouveaux électeurs ne sont pas toujours fixés politiquement. Peut-être que ces votants plus mobiles ont été affectés par le discours de l’extrême droite sur l’insécurité et l’immigration, mais ça n’a pas eu d’effet massif. Il faut aussi considérer qu’il n’y a pas eu de forte mobilisation, comme pour une élection présidentielle», allègue Marcel Aubry, politologue à la Faculté de gouvernement de l’Université du Chili, auteur d’une étude sur les 346 communes du pays concernant cinq des sept dernières consultations entre 2020 et 2023.

Dans une librairie de l’avenue Valparaíso, Javiera, docteure à la retraite, joue les vieilles dames indignées. Issue d’une famille de la grande bourgeoisie locale, elle ne rentre pas dans les cases élaborées par le professeur de Santiago. Elle a toujours voté à droite mais le 7 mai dernier elle a choisi de marquer le coup. «Le choix logique pour moi, c’était Chile Seguro [la droite traditionnelle, ndlr] mais j’ai voulu m’autoriser un coup d’irrévérence et j’ai voté pour le Parti républicain. C’était un coup ponctuel et comme ça, je sanctionnais et le gouvernement et mon camp qui ne tient pas une ligne assez dure. La suite ? On verra bien si les uns et les autres ont retenu la leçon.» Un peu plus loin, près de la station Sargento Aldea, Maya, 27 ans, femme de ménage dans un cabinet d’architecte de la ville, se pose le même genre de questions mais dans le camp d’en face. «J’ai voté pour Boric mais au final, rien ne change. Sur l’argent, on ne s’en sort pas. L’éducation continue d’être un problème et rien ne s’arrange sur les questions médicales et la malbouffe. Ici, si tu n’as pas d’argent, tu n’as pas intérêt à avoir des soucis de santé. Je continuerai à voter à gauche mais la plupart des électeurs vont au plus simple. L’extrême droite chilienne l’a bien compris.»

À l’autre bout de la ville, Camila, la directrice d’école, veut croire que le péndulo (la bascule politique) peut encore faire des siennes. «Pour beaucoup de Chiliens, la conscience politique est liée à ce qu’ils ont dans leur porte-monnaie et à ce qu’ils peuvent faire avec. Le Parti républicain a vendu l’illusion d’un changement dans la stabilité. J’espère surtout qu’avec le temps, nous saurons apprécier l’administration à sa juste valeur et non sur des a priori.»

À Villa Alemana, une des sept villes de la province de Valparaiso qui ont beaucoup «bougé» au cours des cinq derniers scrutins majeurs, la réalité semble plus complexe qu’attendu, entre défiance vis-à-vis des politiques et divisions profondes.