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LOGO RFI Culture / Festival de San Sebastian: avec «El lugar de la otra» (À sa place), la Chilienne Maite Alberdi interroge l'identité / Le documentaire de Maite Alberdi, «Memoria infinita», avait été l'une des belles surprises des Rencontres cinémas d'Amérique latine de Toulouse en mars dernier, et «El lugar de la otra», que l'on pourrait traduire par La place de l'autre, long-métrage proposé en sélection officielle à San Sebastian, est à nouveau une belle découverte. Premier film de fiction de la réalisatrice, servi par un casting impeccable et un scénario malin, qui ne peut être enfermé dans une case, le film questionne l'identité et la place de la femme dans le Chili des années cinquante. [« Ce n'est que du Cinéma »]
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De notre envoyée spéciale à San Sebastian,
5 mn
COUVERTURE DE «LAS HOMICIDAS / WHEN WOMEN KILL» |
le film est adapté du livre d'Alia Trabucco, Las homicidas (2020), qui raconte quatre agressions commises par des femmes. Le scénario est donc adapté d'une histoire vraie, celle de Maria Carolina Geel, de son nom de plume, une écrivaine qui assassina son amant dans les années 1950 dans le salon de thé du célèbre hôtel Crillon de Santiago. L'affaire défraya la chronique et la presse à sensation. « Je n'ai pas pu tirer de ce livre un documentaire, explique la réalisatrice que l'on connaît comme une documentariste avisée, tous les personnages de l'époque ayant disparu ». Il lui a fallu avoir recours à la fiction, un genre nouveau pour elle, mais profondément nourri d'un travail d'investigation dans les sources littéraires et juridiques de l'époque.
Un «documentaire d'époque»
Il faut souligner le travail du chef opérateur, Sergio Armstrong, auquel on doit aussi les images de Neruda, Emma ou encore Je tremble O Matador. Le cadre est soigné, de même que les costumes et les décors — qu'il a fallu reconstituer le plus souvent, le Chili ayant peu le goût du patrimoine, souligne Maite Alberdi ; et les deux actrices qui interprètent la greffière (Elisa Zulueta) et l'écrivaine (Francisca Lewin) sont tout à fait convaincantes. La première dans son cheminement et la seconde dans son mystère. Maria Carolina Geel a toujours refusé d'expliquer son geste et le scénario respecte ce choix. L'équipe du film, Maite Alberdi et ses co-scénaristes, Inès Bortagaray et Paloma Salas, ont lu toute l'œuvre de Geel et le dossier judiciaire. Une œuvre qui interroge sur la problématique du genre et la place de la femme dans le Chili des années cinquante.
D'emblée, la question de l'identité est posée. Qui est la criminelle, Georgina Silva Jimenez ou Maria Carolina Geel ? Et qui est Mercedes, l'assistante du juge (auquel on a prêté la moustache de Salvador Allende), que l'on devine intéressée et troublée par l'affaire. Cette mère de famille de classe moyenne modeste, mère de deux garçons turbulents, vit dans un appartement exigu qui sert également de studio photo à son mari qui semble avoir peu de talent pour la photographie. Elle, Mercedes, si, elle a l'œil expert et attentif. Et elle porte sur l'accusée un vrai regard, qui tente de comprendre et auquel fait écho la dernière chanson du film, interprétée par Billie Holiday, I'll be seeing you.
D'autres vies sont possibles
Petite femme terne au début du film, « personne ne la voit », fait remarquer son interprète Elisa Zulueta, Mercedes change de stature au fil de la narration, lorsqu'elle découvre le cadre de vie, la garde-robe, la riche bibliothèque de Maria Carolina Geel. Par petites touches, elle prend de la couleur (du rôle du rouge à lèvres comme nouvelle peau) et de l'assurance : elle prend la pose devant la glace, apprend à se regarder, découvre que d'autres vies de femmes sont possibles.
Divorcée, Maria Carolina Geel refusa d'épouser l'amant qu'elle finira par assassiner. La (véritable) lettre dans laquelle elle lui explique qu'elle ne veut être réduite au rôle d'épouse est lue dans le film. Elle est forte. Et la scène dans laquelle elle jette dans la boueuse rivière Mapocho la cireuse qu'il lui a offerte, dramatiquement cocasse. La cireuse, un instrument qui réduit la femme à sa supposée condition de ménagère. Les larmes aussi de Mercedes lorsque son mari lui en offre une. Elle, que sa famille appelle « la juge », alors qu'elle n'est « que » greffière.
Mercedes enfile littéralement le costume de l'écrivaine. Elle dévore ses livres — la poétesse Gabriela Mistral (Nobel de littérature en 1945) ou encore Maria Luisa Bombal (qui elle aussi défraya la chronique judiciaire) —, avance dans sa quête d'elle-même. Elle ose aussi la photographie : elle a l'instinct du cadre et du portrait, à la différence du photographe officiel, son mari. D'ailleurs le Rolex est à elle, lui rappelle-t-elle, un cadeau de son père. Il est beau le portrait qu'elle fait de l'écrivaine dans sa cellule et celui qu'elle saisit de la femme du peuple emprisonnée pour avoir égorgé son gendre maltraitant.
FILM «À SA PLACE»: FRANCISCA LEWIN PHOTO DIEGO ARAYA CORVALÁN |
Le film interroge également une justice de genre et une justice de classe. Maria Carolina a été condamnée à une peine de trois ans de prison qui sera réduite à la demande de Gabriela Mistral. Les femmes étaient en général condamnées dans ces affaires de crimes passionnels à de faibles peines ou même graciées, explique la réalisatrice, en raison de leur supposée faiblesse ou hystérie. Une manière de les invisibiliser, selon Maite Alberdi. De cette expérience de la détention, Geel fera un livre, Cárcel de mujeres, qui connaîtra un certain succès. « Même en détention, elle a fait preuve d'une grande liberté intellectuelle », explique la réalisatrice qui revendique un film sur la quête de liberté de chacun, la manière dont on construit cette liberté. Le film, qui fait écho à des questionnements toujours très contemporains, sort dans les prochains jours au Chili et on espère vivement le voir sur les écrans en France.
► Le site du festival de San Sebastian
Le rideau s'est levé vendredi 20 septembre sur la 72ème édition du festival de San Sebastian
C'est la comédienne australo-américaine Cate Blanchett qui a ouvert le bal, recevant le prix Donostia du festival. L'acteur Javier Bardem, qui avait reçu l'an dernier le prix mais n'était pas venu à San Sebastian par solidarité avec la grève du syndicat des comédiens aux États-Unis, a également récupéré le sien. Carton plein donc pour les hommages avec, en cerise sur le gâteau, Pedro Almodovar dont le dernier long métrage La habitación de al lado, est projeté jeudi 26 septembre. Côté films, la profusion habituelle, tant au niveau des différentes sections du festival, que du public toujours fidèle qui attend les derniers films de François Ozon, Costa Gavras ou encore Joshua Oppenheimer, et de découvrir de nouveaux talents. Comme chaque année, le cinéma latino-américain est présent en force et un focus sur l'Argentine, dont la culture est largement sacrifiée par la politique d'austérité du gouvernement Milei, est proposé. Après Toulouse et Cannes, San Sebastian donne la parole aux cinéastes. Côté polémique, un peu de tensions à l'annonce de la projection du dernier film d'Albert Serra, Tardes de soledad, qui suit les pas d'un toréador. Sa sélection a soulevé la critique du mouvement animaliste alors que justement cette année, le Grand prix national de tauromachie a été supprimé en Espagne. La tauromachie ne fait pas partie de mon univers, a rétorqué José Luis Rebordinos, directeur du festival, mais « J'ai vu le film et il me paraît très intéressant, parce que c'est une approche artistique du monde de la tauromachie ». Gageons qu'on en reparlera.
FILM «À SA PLACE»: FRANCISCA LEWIN PHOTO DIEGO ARAYA CORVALÁN |
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