dimanche, février 02, 2025

CHILI : LE GOUVERNEMENT DE GABRIEL BORIC RÉFORME LE SYSTÈME DES RETRAITES HÉRITÉ DE LA DICTATURE

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DEVANT UNE SUCCURSALE D’UN ADMINISTRATEUR DE FONDS DE PENSION PRIVÉ,
DANS LE CENTRE-VILLE DE SANTIAGO, LE 30 JANVIER 2025.
PHOTO RODRIGO ARANGUA/AFP

Chili : le gouvernement de Gabriel Boric réforme le système des retraites hérité de la dictature / Le président de gauche défendait, depuis plus de deux ans, une réforme introduisant plus de solidarité dans l’organisation des pensions. Les employeurs devront désormais cotiser pour la retraite des salariés. / C’était l’une des grandes promesses du président chilien, Gabriel Boric (gauche), au pouvoir depuis mars 2022, dont les grandes ambitions sociales ont largement été entravées faute de majorité législative. Le Parlement a approuvé une réforme du système des retraites, mercredi 29 janvier, avec 110 voix pour et 38 contre à la Chambre des députés, après le feu vert du Sénat deux jours plus tôt.

Par Flora Genoux (Buenos Aires, correspondante)

Temps de Lecture 3 min.

Le projet, porté par le président avec une présentation au Parlement il y a plus de deux ans, en novembre 2022, constitue la plus importante modification apportée au système à capitalisation individuelle privé, mis en place en 1981 sous la dictature d’Augusto Pinochet (1973-1990). La junte instaurait alors au Chili un modèle néolibéral qui prévaut toujours plus de quatre décennies plus tard, et délaissait le schéma de retraites par répartition.

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Changement majeur : les employeurs devront contribuer aux retraites – en plus de l’assurance-invalidité, comme c’est déjà le cas –, à hauteur de 8,5 % du salaire au total, un versement administré en partie par une nouvelle sécurité sociale. Actuellement, le système est à capitalisation individuelle : les travailleurs versent obligatoirement 10 % de leur salaire à des entreprises privées, des administratrices de fonds de pension (AFP), ensuite chargées de faire fructifier cette épargne sur les marchés financiers. Dans le cadre de la réforme, le versement de ces 10 % de la part des salariés est maintenu. La loi prévoit une mise en place progressive du nouveau schéma de cotisation sur neuf ans.


Recherche du compromis

Par ailleurs, le système approuvé propose une augmentation de la retraite solidaire – introduite en 2008 –, qui prévoit actuellement le versement d’une pension totale ou complémentaire de la part de l’Etat. Aujourd’hui de 214 296 pesos (environ 210 euros), elle doit s’élever à 250 000 pesos et être mise en place de façon graduelle, jusqu’à trente mois après la promulgation de la loi. Une compensation est également prévue pour les femmes, plus présentes au sein du marché du travail informel (qui pèse pour 27 % de l’emploi au Chili, expliquant en partie les faibles retraites) et aux carrières davantage interrompues, notamment par la maternité et les soins apportés aux proches. Selon le gouvernement, cette vaste réforme devrait susciter une augmentation des pensions de 14 % à 35 %, bénéficiant à 2,8 millions de personnes dans ce pays de 19 millions d’habitants.

Dans la foulée de l’approbation de son projet au Parlement, le président Gabriel Boric s’est félicité d’un « chemin vers une vieillesse plus digne (…), une grande victoire pour le Chili, un impératif éthique et un acte de justice ». Pour lui, cette réforme, qui représente une « nouvelle pièce dans l’architecture de la sécurité sociale du Chili », a le « visage d’une femme » : Jeannette Jara, la ministre du travail, qui a porté ce dossier. « On a pu faire un pas très, très important, remarquable », a-t-elle estimé. Elle a également souligné que la recherche du compromis avait été « très difficile », tandis qu’une grande partie de l’opposition de droite a fini par voter en faveur de cette réforme.

C’est que le système actuel est très décrié par les Chiliens. Une large majorité appelait de ses vœux un changement, montrent les sondages. Les retraites se caractérisent par un taux de remplacement net particulièrement bas : 37,3 % pour les hommes et 34,4 % pour les femmes (avec un âge légal de départ à la retraite de 65 ans et 60 ans, respectivement). Selon les chiffres du gouvernement, 74 % des retraités chiliens perçoivent une pension inférieure au salaire minimum. Le rejet d’un système considéré comme injuste a fait l’objet de différentes manifestations, notamment en 2016 avant d’être relayé lors du mouvement contre les inégalités de 2019.

Cependant, afin de faire approuver sa réforme, le gouvernement a dû céder sur un aspect crucial : la pérennité des fonds de pension. « Ce n’est pas exactement ce que souhaitait le gouvernement, mais, comme président, j’ai décidé de privilégier les accords à la logique du “tout ou rien” », a justifié Gabriel Boric, mercredi 29 janvier, alors qu’il avait initialement défendu la suppression des « AFP ». Celles-ci devront toutefois faire face à la concurrence de nouvelles entités étant autorisées à entrer sur le marché. Gabriel Boric a ainsi renoncé à un système avec un poids plus important de l’Etat.

Les plus modestes

« Cet accord est plus proche de la position de l’opposition que de celle du gouvernement (…). Il consolide le système de capitalisation individuelle », estime Hugo Castro Moreno, consultant financier et expert des fonds de pension. Il souligne que les augmentations bénéficieront d’abord aux retraités les plus modestes. Après l’approbation du texte, l’association des AFP du Chili – qui regroupe 6 entités du pays – a cependant fait part de sa crainte de l’apparition d’une « concurrence déloyale » et regretté : « La solidarité ne doit pas se financer avec la rémunération des travailleurs. »

Ces dernières années, les présidents Michelle Bachelet (centre gauche, 2006-2010 ; 2014-2018) et Sebastian Piñera (droite, 2010-2014 ; 2018-2022), avaient échoué à réformer le système.

Avec une réforme certes délayée mais approuvée, Gabriel Boric cherche à défendre le bilan de son gouvernement, en vue de l’élection présidentielle du mois de novembre cette année. La Constitution lui interdit cependant d’être candidat pour un deuxième mandat d’affilée. Arrivé au pouvoir avec la promesse d’une refonte du modèle – soins, éducation, impôts –, il a limité ses conquêtes sociales à la réduction de la semaine de travail à quarante heures et à l’augmentation du salaire minimum.

Flora Genoux (Buenos Aires, correspondante)

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LA MINISTRE CHILIENNE DU TRAVAIL ET DE LA SÉCURITÉ SOCIALE,
JEANNETTE JARA, ET LA PRÉSIDENTE DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS,
KAROL CARIOLA, LORS DE LA SÉANCE DE RÉFORME DES RETRAITES,
AU SIÈGE DU CONGRÈS NATIONAL, À VALPARAÍSO,
AU CHILI, LE 29 JANVIER 2025.
PHOTO DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS DU CHILI / EFE