samedi, octobre 06, 2007

LA LITTÉRATURE HISPANO-AMÉRICAINE RACONTÉE PAR JORGE EDWARDS

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CONFÉRENCE - Invité par l’institut Cervantès et l’ambassade du Chili au Liban

Jorge Edwards. Un nom hispanique accordé à un patronyme anglo-saxon, pour l’une des plus éminentes plumes chiliennes.

Chilien à cent pour cent, « même s’il est arrivé à certains journalistes de me présenter comme un écrivain anglais né au Chili et féru de littérature française », s’est-il amusé à signaler, en introduction à la conférence – ou plutôt à la causerie – qu’il a donnée jeudi soir au théâtre Béryte de l’Université Saint-Joseph devant un auditoire composé largement d’ambassadeurs, de diplomates latino-américains et d’hispanophiles convaincus. Invité à Beyrouth à l’initiative de l’institut Cervantès et de l’ambassade du Chili au Liban, cet écrivain qui compte parmi les grandes figures de la littérature hispano-américaine a ravi son auditoire par la simplicité, ponctuée de traits d’humour, avec laquelle il a évoqué son expérience littéraire.

Plutôt qu’une conférence académique sur le thème de la littérature hispano-américaine, ce « grand écrivain, critique littéraire, journaliste et diplomate », ainsi que l’a présenté son ami l’ambassadeur du Chili, Felipe du Monceau de Bergendal, a préféré égrener des souvenirs personnels, des anecdotes et des récits vivants qui, bien mieux qu’une compilation érudite, dressent les contours de la grande aventure littéraire en Amérique du Sud au siècle dernier (le XXe, en l’occurrence).

C’est par des scènes d’enfance, par exemple, que cet habile conteur a dressé le tableau d’une société chilienne, de la première moitié du XXe siècle, engoncée dans une conception négative des écrivains, ces « inutiles », selon les propos mêmes de la famille de l’auteur, qui comptait déjà en son sein un excentrique oncle écrivain.

Poète clandestin

Ce sera ce parent, ce Joaquin Edwards Bello, qui sera – grâce à ses œuvres que lui lisait en cachette une tante – parmi les inspirateurs du futur auteur. Lequel lui consacrera d’ailleurs, des années plus tard, une biographie romancée.

Mais d’autres facteurs vont également participer à sa vocation littéraire. Parmi lesquels « ce monde d’histoires » qui l’entourait. « Mon grand-père et ma mère étaient d’excellents conteurs, se souvient le conférencier. Une des jeunes filles à la cuisine aussi. Un des pères jésuites du collège San Ignacio de Loyola où j’étais scolarisé, également. Lui, en particulier, avait toujours des histoires terrifiantes à nous raconter. »

Tout cela, conjugué à «une grande curiosité», va susciter chez le jeune Edwards un amour précoce des lettres. « J’ai publié pour la première fois – dans le journal du collège – à l’âge de 11 ans, et à l’adolescence je suis devenu un poète clandestin », indique-t-il.

Car dans la haute bourgeoisie chilienne à laquelle il appartient, il était hors de question dans les années cinquante de se dédier véritablement à la littérature. Jorge Edwards fera donc des études de droit. Diplômé de Princeton, il rejoint le circuit diplomatique pour mieux se consacrer à... l’écriture. «Parce que, dit-il, je pensais que les diplomates ne travaillaient pas vraiment et que j’aurais ainsi le temps d’écrire. Je ne savais pas que les diplomates font beaucoup de choses. Durant ma période diplomatique, j’ai, par exemple, visité tous les salons VIP des aéroports», lance-t-il ironiquement. Qui a dit qu’on ne pouvait pas être écrivain et diplomate à la fois ?

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À Paris, où, dans les années soixante, il est nommé à l’ambassade du Chili pour seconder Pablo Neruda, Edwards, qui avait déjà publié des recueils de nouvelles, se lance dans l’écriture de romans avec El peso de la noche (La lourdeur de la nuit), paru en 1965. À partir de ce livre, il se consacrera à l’observation de la réalité de son entourage et à la description critique de la bourgeoisie chilienne. À Paris, outre sa rencontre avec Neruda, qu’il admirait depuis toujours et qui deviendra son ami, Jorge Edwards fera également la connaissance de Mario Vargas Llosa, de Carlos Semprùn et de Carlos Fuentes, trois écrivains avec qui il partage un même désir de renouveler la littérature hispano-américaine.

« Contrairement à la littérature régionaliste de nos prédécesseurs, faite de longues descriptions rurales et imitant le langage des paysans, nous cherchions une vision du passé, de l’histoire, dans notre monde urbain. Nous étions attirés par les personnages marginaux, les vieux, les pauvres, les fous, les brebis noires, les inutiles. Et nous avions la ferme intention d’introduire le rythme et la poésie dans notre prose», soutient-il.

Mais le rapport de ce jeune groupe des années soixante aux écrivains antérieurs n’était pas seulement basé sur le rejet. «Nous avons fait une relecture de ces écrivains du passé, surtout ceux qui étaient considérés comme baroques, fantaisistes, nébuleux ou décadents et qui n’étaient pas enseignés à l’école, comme Jorge Luis Borgès par exemple...»

Persona non grata

Sa biographie ayant été longuement relatée par l’ambassadeur du Chili en préambule de sa causerie, l’écrivain diplomate n’a abordé que très brièvement les péripéties de sa carrière diplomatique. Et notamment, son expulsion de Cuba par Fidel Castro au tout début des années soixante-dix, pour avoir appuyé les intellectuels rebelles au régime, alors qu’il y avait été envoyé par le gouvernement chilien en mission spéciale pour rétablir les relations diplomatiques bilatérales interrompues !

Cet épisode le poussera à écrire le livre Persona non grata, reprenant les termes mêmes dont l’avait gratifié le dictateur cubain.

En 1973, il abandonne ses responsabilités diplomatiques pour se consacrer pleinement à l’écriture. « Car écrire est une passion, une vocation et pas une profession », souligne-t-il, critiquant par là les rêves de richesse de la jeune génération d’écrivains, qui ne pensent qu’en termes « de succès éditorial », alors qu’« à mon époque, il suffisait que les trois camarades à qui je lisais un poème de ma composition m’applaudissent pour que je défaille de bonheur », raconte encore cet écrivain, dont l’œuvre est aujourd’hui consacrée par plus d’un prix, dont le prestigieux prix Cervantès en 1999.

Quelques titres de la bibliographie de Jorge Edwards

Membre de l’Académie chilienne de la langue, membre correspondant de la Real Academia Española (l’Académie royale espagnole), fait chevalier des Arts et des Lettres par le gouvernement français, Jorge Edwards fait désormais partie du panthéon de la littérature hispano-américaine.

Parmi ses œuvres les plus importantes, toutes catégories confondues (romans, essais, recueils de nouvelles), il faut signaler :

– El peso de la noche (Le poids de la nuit, 1965. La décadence d’une famille de la classe moyenne) ;
– Persona non grata (1973) ;

– El museo de cera (Le musée de cire, 1981. Une allégorie politique) ;

– El anfitrion (L’amphitrion, 1987. Une adaptation moderne de la vie de Faust) ;

– Adios Poeta (Adieu poète, 1990. Une biographie très personnelle de Pablo Neruda) ;

– El whisky de los poetas (Le whisky des poètes, 1997. Un recueil regroupant certains de ses textes journalistiques).

Zéna ZALZAL