Onze des plus grands journaux d’Amérique latine – pour la plupart conservateurs – ont réalisé une enquête dans quatorze pays. Leur but ? En savoir plus sur les réseaux chavistes.
Le phénomène Chávez est en marche. Du Mexique à l’Argentine, le pouvoir vénézuélien est en train de tisser des alliances grâce à son capital de sympathie ou, tout simplement, grâce à son argent. Dans certaines régions, son action est visible ; dans d’autres, il s’agit encore d’un balbutiement. Tous les jours, sous une forme plus ou moins différente, un nouveau cercle bolivarien ouvre ses portes dans un pays latino-américain. Et un seul nom est au cœur de tous les débats politiques : celui d’Hugo Chávez. Le socialisme du XXIe siècle est sa marque de fabrique ; l’expérience cubaine des années 1960 et 1970, le précédent historique sur lequel il s’appuie pour diffuser sa révolution. La manne pétrolière et les ambitions internationales du leader sont les deux piliers du chavisme.
Le GDA [Grupo de Diarios de América, qui rassemble onze des plus grands journaux latino-américains] a enquêté sur les réseaux de Caracas en Argentine, au Brésil, au Chili, en Uruguay, en Bolivie, au Pérou, en Equateur, en Colombie, au Mexique, à Porto Rico, au Costa Rica et au Venezuela, et découvert une véritable matrice chaviste, destinée à attirer les volontés. C’est sans doute en Argentine que la machine Chávez est le mieux rodée. La preuve ? Les innombrables rassemblements populaires en faveur du leader vénézuélien et la présence quasi permanente de questions le concernant dans l’agenda gouvernemental.
Selon le journal brésilien O Globo, les deux pays ont beau se disputer le leadership régional, le commerce et les investissements justifient l’intérêt du Brésil pour son voisin. En dépit des voix qui s’élèvent – notamment dans l’opposition – pour demander au gouvernement de prendre ses distances vis-à-vis de Caracas, les chiffres montrent que les relations du Brésil avec le Venezuela, en particulier dans le domaine commercial, sont en pleine expansion. Selon José Francisco Marcondes, président de la chambre de commerce Brésil-Venezuela, de 2003 à 2006 les Vénézuéliens sont passés du 23e au 10e rang des principaux acheteurs de produits brésiliens, et les relations commerciales ont connu une croissance supérieure à 600 %. Le président vénézuélien a réussi à transformer le carnaval de Rio en une véritable vitrine de son gouvernement : en 2006, l’école de samba Unidos de Vila Isabel a remporté le premier prix de cette grande fête populaire. Elle avait choisi pour thème la latinité, un thème qui n’était qu’un prétexte pour parler du Venezuela d’Hugo Chávez. Et, grâce au parrainage de Petroleos de Venezuela-PDVSA (de près de 1 million de reais [380 000 euros]), le défilé de l’école était des plus luxueux.
Au Chili, selon le journal El Mercurio, les chavistes préfèrent se faire appeler les bolivariens et restent en marge du pouvoir officiel (les relations entre les deux gouvernements restent strictement protocolaires). En mai 2006 a eu lieu le premier sommet chilien du Congrès bolivarien des peuples (CPB), l’organe le plus actif du chavisme : trente-sept organisations sociales et politiques y participaient. Le CPB-Chili a déjà organisé six voyages et envoyé plus de 500 personnes à Cuba dans le cadre de la “Misión Milagro” [mission Miracle]. Cet accord passé entre Chávez et Fidel Castro prévoit d’envoyer à Cuba en dix ans 600 000 Latino-Américains atteints de maladies des yeux pour y être opérés. Tous les pays de la région sont concernés.
Développer la radio et la télévision communautaires
Selon l’équipe d’investigation d’El Mercurio, le Venezuela a fait l’acquisition il y a quelques mois d’un hebdomadaire gratuit bolivien qui devrait lui permettre de jouer un rôle dans la presse de ce pays, même faible. Le pays apporte également une aide technique à l’unique chaîne de télévision d’Etat, Canal 7. Par ailleurs, selon les termes d’un accord de coopération dans le domaine des télécommunications, le Venezuela va aider la Bolivie à développer la radio et la télévision communautaires, ce qui lui permettra de faire passer des messages politiques aux populations les plus déshéritées de Bolivie. L’année prochaine, une centaine d’émetteurs supplémentaires devraient être installés dans le cadre de ce plan. De plus, comme le reconnaît le député du Mouvement vers le socialisme (MAS) Antonio Peredo, Chávez apporte une aide technique à La Paz pour la reconstruction de YPFB [l’entreprise de pétrole nationale] par l’entremise de la gigantesque compagnie pétrolière vénézuélienne PDVSA. En Bolivie, le transport et la sécurité du président Evo Morales sont assurés par le Venezuela.
Pour le journal équatorien El Comercio, malgré les attentes suscitées dans le domaine des échanges internationaux, les bénéfices de la relation nouée avec le Venezuela se font attendre. En 2006, le déficit commercial de l’Equateur vis-à-vis du Venezuela était de 113 millions de dollars. Et le président Rafael Correa a beau avoir des affinités avec Chávez sur le plan politique, idéologique et personnel, son gouvernement ne soutient pas pour autant aveuglément Caracas. Au beau milieu de la polémique lancée par le Venezuela et par Cuba sur l’éthanol, le pays a signé des accords avec le Brésil pour soutenir le biocarburant.
El Universal, au Mexique, a mis en lumière les différences de perception concernant la révolution bolivarienne chez les dirigeants politiques, les entreprises et la population en général. D’après une étude du Conseil mexicain des questions internationales, seulement 25 % des dirigeants mexicains considèrent le Venezuela comme un pays ami, contre 45 % des Mexicains. Et, tandis que 30 % des dirigeants mexicains estiment que le Venezuela constitue une menace pour le Mexique et que 24 % le considèrent comme un rival, seulement 6 % et 14 % des Mexicains partagent respectivement cet avis. Le journal péruvien El Comercio rapporte quant à lui une anecdote qui en dit long sur les méthodes chavistes. En début d’année, quelques heures avant de prendre ses fonctions, le président de la région de Puno [sud-est du Pérou], Hernán Fuentes, avait rencontré les patrons de petites et moyennes entreprises. Virly Torres, chargé du commerce à l’ambassade vénézuelienne, l’accompagnait. Hernán Fuentes a annoncé qu’il demanderait aux gouvernements vénézuélien, cubain et chinois de soutenir les PME et de compenser les insuffisances de sa région dans le domaine de la santé et de l’éducation. Torres ne s’est pas fait prier et a immédiatement offert la collaboration de son pays. Ainsi, de manière informelle, le Venezuela a réussi à imposer sa présence dans un pays où ses initiatives n’ont pas les faveurs du gouvernement central.
Une alliance pétrolière avec les pays des Caraïbes
Autre soutien de la propagande chaviste, le programme d’alphabétisation pour adultes Yo Sí Puedo, qui, depuis 2004, grâce au financement vénézuélien, concerne l’ensemble du continent. Ce programme a été créé par la pédagogue cubaine Leonela Relys et repose sur un important contenu audiovisuel, avec 65 leçons de trente minutes. Grâce à cette méthode, il est possible d’apprendre à lire et à écrire en seulement trois mois. Elle est enseignée par des membres de la municipalité, des instituteurs ou des voisins, tous formés par des spécialistes cubains. Ce programme a été développé au Pérou, en Argentine et dans d’autres pays de la région.
Selon le journal uruguayen El País, après des débuts idylliques entre le gouvernement de Tabaré Vázquez et celui d’Hugo Chávez, l’Uruguay commence à vouloir se détacher du dirigeant vénézuélien. Chávez a tout de même réussi à ouvrir une banque le 30 août 2006, la Banque nationale du développement économique et social (Bandes), en rachetant l’ancienne coopérative Cofac.
Le journal portoricain El Nuevo Día rapportait les propos de Chávez évoquant l’alliance pétrolière avec les pays des Caraïbes : “Un empire composé de l’Amérique latine et des Caraïbes serait plus grand que celui de La Guerre des étoiles, et rien ne pourrait l’arrêter.” Avec cette alliance signée en juin 2005 par quatorze pays du bassin des Caraïbes afin de faire baisser les prix du carburant dans la région, le gouvernement vénézuélien offre et garantit des réductions de prix, des facilités de paiement et des crédits à long terme sur les livraisons de pétrole et leurs dérivés.
A l’époque, Chávez comparait cette construction politique à un empire. Depuis, son emprise sur la région n’a fait que croître.
Daniel Gallo, avec les journalistes des autres journaux du GDA
La Nación
Le phénomène Chávez est en marche. Du Mexique à l’Argentine, le pouvoir vénézuélien est en train de tisser des alliances grâce à son capital de sympathie ou, tout simplement, grâce à son argent. Dans certaines régions, son action est visible ; dans d’autres, il s’agit encore d’un balbutiement. Tous les jours, sous une forme plus ou moins différente, un nouveau cercle bolivarien ouvre ses portes dans un pays latino-américain. Et un seul nom est au cœur de tous les débats politiques : celui d’Hugo Chávez. Le socialisme du XXIe siècle est sa marque de fabrique ; l’expérience cubaine des années 1960 et 1970, le précédent historique sur lequel il s’appuie pour diffuser sa révolution. La manne pétrolière et les ambitions internationales du leader sont les deux piliers du chavisme.
Le GDA [Grupo de Diarios de América, qui rassemble onze des plus grands journaux latino-américains] a enquêté sur les réseaux de Caracas en Argentine, au Brésil, au Chili, en Uruguay, en Bolivie, au Pérou, en Equateur, en Colombie, au Mexique, à Porto Rico, au Costa Rica et au Venezuela, et découvert une véritable matrice chaviste, destinée à attirer les volontés. C’est sans doute en Argentine que la machine Chávez est le mieux rodée. La preuve ? Les innombrables rassemblements populaires en faveur du leader vénézuélien et la présence quasi permanente de questions le concernant dans l’agenda gouvernemental.
Selon le journal brésilien O Globo, les deux pays ont beau se disputer le leadership régional, le commerce et les investissements justifient l’intérêt du Brésil pour son voisin. En dépit des voix qui s’élèvent – notamment dans l’opposition – pour demander au gouvernement de prendre ses distances vis-à-vis de Caracas, les chiffres montrent que les relations du Brésil avec le Venezuela, en particulier dans le domaine commercial, sont en pleine expansion. Selon José Francisco Marcondes, président de la chambre de commerce Brésil-Venezuela, de 2003 à 2006 les Vénézuéliens sont passés du 23e au 10e rang des principaux acheteurs de produits brésiliens, et les relations commerciales ont connu une croissance supérieure à 600 %. Le président vénézuélien a réussi à transformer le carnaval de Rio en une véritable vitrine de son gouvernement : en 2006, l’école de samba Unidos de Vila Isabel a remporté le premier prix de cette grande fête populaire. Elle avait choisi pour thème la latinité, un thème qui n’était qu’un prétexte pour parler du Venezuela d’Hugo Chávez. Et, grâce au parrainage de Petroleos de Venezuela-PDVSA (de près de 1 million de reais [380 000 euros]), le défilé de l’école était des plus luxueux.
Au Chili, selon le journal El Mercurio, les chavistes préfèrent se faire appeler les bolivariens et restent en marge du pouvoir officiel (les relations entre les deux gouvernements restent strictement protocolaires). En mai 2006 a eu lieu le premier sommet chilien du Congrès bolivarien des peuples (CPB), l’organe le plus actif du chavisme : trente-sept organisations sociales et politiques y participaient. Le CPB-Chili a déjà organisé six voyages et envoyé plus de 500 personnes à Cuba dans le cadre de la “Misión Milagro” [mission Miracle]. Cet accord passé entre Chávez et Fidel Castro prévoit d’envoyer à Cuba en dix ans 600 000 Latino-Américains atteints de maladies des yeux pour y être opérés. Tous les pays de la région sont concernés.
Développer la radio et la télévision communautaires
Selon l’équipe d’investigation d’El Mercurio, le Venezuela a fait l’acquisition il y a quelques mois d’un hebdomadaire gratuit bolivien qui devrait lui permettre de jouer un rôle dans la presse de ce pays, même faible. Le pays apporte également une aide technique à l’unique chaîne de télévision d’Etat, Canal 7. Par ailleurs, selon les termes d’un accord de coopération dans le domaine des télécommunications, le Venezuela va aider la Bolivie à développer la radio et la télévision communautaires, ce qui lui permettra de faire passer des messages politiques aux populations les plus déshéritées de Bolivie. L’année prochaine, une centaine d’émetteurs supplémentaires devraient être installés dans le cadre de ce plan. De plus, comme le reconnaît le député du Mouvement vers le socialisme (MAS) Antonio Peredo, Chávez apporte une aide technique à La Paz pour la reconstruction de YPFB [l’entreprise de pétrole nationale] par l’entremise de la gigantesque compagnie pétrolière vénézuélienne PDVSA. En Bolivie, le transport et la sécurité du président Evo Morales sont assurés par le Venezuela.
Pour le journal équatorien El Comercio, malgré les attentes suscitées dans le domaine des échanges internationaux, les bénéfices de la relation nouée avec le Venezuela se font attendre. En 2006, le déficit commercial de l’Equateur vis-à-vis du Venezuela était de 113 millions de dollars. Et le président Rafael Correa a beau avoir des affinités avec Chávez sur le plan politique, idéologique et personnel, son gouvernement ne soutient pas pour autant aveuglément Caracas. Au beau milieu de la polémique lancée par le Venezuela et par Cuba sur l’éthanol, le pays a signé des accords avec le Brésil pour soutenir le biocarburant.
El Universal, au Mexique, a mis en lumière les différences de perception concernant la révolution bolivarienne chez les dirigeants politiques, les entreprises et la population en général. D’après une étude du Conseil mexicain des questions internationales, seulement 25 % des dirigeants mexicains considèrent le Venezuela comme un pays ami, contre 45 % des Mexicains. Et, tandis que 30 % des dirigeants mexicains estiment que le Venezuela constitue une menace pour le Mexique et que 24 % le considèrent comme un rival, seulement 6 % et 14 % des Mexicains partagent respectivement cet avis. Le journal péruvien El Comercio rapporte quant à lui une anecdote qui en dit long sur les méthodes chavistes. En début d’année, quelques heures avant de prendre ses fonctions, le président de la région de Puno [sud-est du Pérou], Hernán Fuentes, avait rencontré les patrons de petites et moyennes entreprises. Virly Torres, chargé du commerce à l’ambassade vénézuelienne, l’accompagnait. Hernán Fuentes a annoncé qu’il demanderait aux gouvernements vénézuélien, cubain et chinois de soutenir les PME et de compenser les insuffisances de sa région dans le domaine de la santé et de l’éducation. Torres ne s’est pas fait prier et a immédiatement offert la collaboration de son pays. Ainsi, de manière informelle, le Venezuela a réussi à imposer sa présence dans un pays où ses initiatives n’ont pas les faveurs du gouvernement central.
Une alliance pétrolière avec les pays des Caraïbes
Autre soutien de la propagande chaviste, le programme d’alphabétisation pour adultes Yo Sí Puedo, qui, depuis 2004, grâce au financement vénézuélien, concerne l’ensemble du continent. Ce programme a été créé par la pédagogue cubaine Leonela Relys et repose sur un important contenu audiovisuel, avec 65 leçons de trente minutes. Grâce à cette méthode, il est possible d’apprendre à lire et à écrire en seulement trois mois. Elle est enseignée par des membres de la municipalité, des instituteurs ou des voisins, tous formés par des spécialistes cubains. Ce programme a été développé au Pérou, en Argentine et dans d’autres pays de la région.
Selon le journal uruguayen El País, après des débuts idylliques entre le gouvernement de Tabaré Vázquez et celui d’Hugo Chávez, l’Uruguay commence à vouloir se détacher du dirigeant vénézuélien. Chávez a tout de même réussi à ouvrir une banque le 30 août 2006, la Banque nationale du développement économique et social (Bandes), en rachetant l’ancienne coopérative Cofac.
Le journal portoricain El Nuevo Día rapportait les propos de Chávez évoquant l’alliance pétrolière avec les pays des Caraïbes : “Un empire composé de l’Amérique latine et des Caraïbes serait plus grand que celui de La Guerre des étoiles, et rien ne pourrait l’arrêter.” Avec cette alliance signée en juin 2005 par quatorze pays du bassin des Caraïbes afin de faire baisser les prix du carburant dans la région, le gouvernement vénézuélien offre et garantit des réductions de prix, des facilités de paiement et des crédits à long terme sur les livraisons de pétrole et leurs dérivés.
A l’époque, Chávez comparait cette construction politique à un empire. Depuis, son emprise sur la région n’a fait que croître.
Daniel Gallo, avec les journalistes des autres journaux du GDA
La Nación