jeudi, mars 04, 2021

DÉBUT DE LA FIN DE LA RESTAURATION OLIGARCHIQUE AU CHILI

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«NOUVELLE CONSTITUTION»
GRAFFITI CAIOZZAMA

Au mois d'octobre 2019 des milliers d'étudiants du secondaire de la capitale chilienne se révoltent contre la hausse de 30 pesos – moins de 4 centimes de francs suisses – du billet du métro, en enjambant les tourniquets pour accéder au transport public. Les jours suivants on a vu d'un côté une impressionnante répression policière contre les étudiants mobilisés et une protection des stations du métro de la part de l'État chilien, et d'un autre côté une solidarité de la population envers les étudiants. Le 18 octobre des manifestations ont lieu dans les principales villes du pays, contre la hausse des services publics et la politique sociale et économique du gouvernement. Le lendemain l'état d'urgence et le couvre-feu est décrété dans tout le pays. Le 25 octobre 2019 a lieu la plus grande manifestation que le Chili a connue, plus d'un million de manifestants à Santiago et autant dans les régions. 

Avec notre correspondant à Santiago, Lucio Parada 

PROPAGANDE ÉLECTORALE 

« N'AYEZ PAS PEUR »

Ce ne sont pas 30 pesos, ce sont 30 ans crient les gens dans la rue, en allusion aux trente ans depuis le retour à la démocratie. Trente ans de transition démocratique, de consolidation du modèle néolibéral, avec une inégalité sociale très importante. La place où les manifestations ont lieu dans la capitale chilienne, est renommée comme Place de la Dignité par les manifestants en référence à cette dignité qu'il faut récupérer après tant d'abus de la part des gouvernements et de la caste économique et financière qui dirige le pays. 

La contradiction du moment est : néolibéralisme versus démocratie ; et en finir avec le modèle passe par plus de démocratie. La rue demande « Nueva Constitution Ya! » [Nouvelle Constitution maintenant!]  pour finir avec la Constitution Politique écrite en 1980 par la dictature, dans laquelle le principe de subsidiarité stipule que l'État ne peut pas intervenir là où le marché privé voit une opportunité. 

Sous la pression constante des manifestants toujours mobilisés dans l'ensemble du pays, le Président Piñera somme les partis politiques de trouver un accord pour sortir de cette crise, et au petit matin du 15 novembre 2019 les partis au pouvoir et d'opposition, à l'exception du Parti communiste du Chili, ont signé un accord mettant en place un référendum sur la nécessité d'une nouvelle constitution. Bien que la demande populaire d'une nouvelle constitution fasse partie des exigences des communistes depuis la fin de la dictature, ils ne sont pas conviés à la discussion mais juste pour la signature. N'étant pas d'accord avec cette exclusion, ainsi que celle des mouvements sociaux présents dans la rue, et l'imposition d'un quorum de 2/3 pour écrire la nouvelle constitution, le parti n'avale pas l'accord et demande une véritable Assemblée Constituante. 

Les manifestations continuent à mobiliser autant de monde pendant l'été austral, laissant libre cours à la répression policière avec un bilan de près de trente morts dans la rue et près d'un millier de blessés oculaires dus aux tirs de chevrotine et de grenades lacrymogènes par la police directement sur les manifestants. Il y a eu plus de 2500 blessés et 5000 arrestations, dont certains attendent encore aujourd'hui en prison préventive avant de passer devant un juge. À la rentrée de l'année 2020, la manifestation du 8 mars a été largement suivie dans tout le pays, demandant la démission du Président Piñera sans soutien social ni politique, avec pas plus de 6% dans les sondages. Alors la pandémie du Covid 19 est arrivée au Chili. 

Afin de mettre les manifestants en sourdine, le gouvernement se presse pour décréter la quarantaine obligatoire dans tout le pays ce qui n'empêche pas de situer le pays dans le groupe de tête des pays avec le plus d'infectés par habitants ce qui a coûté le poste au ministre de la santé quelques semaines plus tard. Le système sanitaire au Chili a collapsé marquant encore une fois l'inégalité dans l'accès aux services publics. 

Le référendum prévu pour le mois d'avril de 2020 a été reporté au 25 octobre et le résultat a été clair. Avec une participation de 51%, les chiliens se sont prononcés à 78% pour un changement de constitution et à 79% pour que ce soit une assemblée élue exclusivement à cet effet qui se penche dessus. 

Toujours sous le régime d'état d'urgence et de couvre-feu nocturne, le pays est appelé le dimanche 11 avril prochain à voter pour quatre élections : les 155 membres de la Convention Constitutionnelle, les gouverneurs des 16 régions du pays, les maires des 346 communes et les membres d'autant de conseils municipaux. 

« MOI J'APPROUVE,
CONVENTION CONSTITUANTE »

DESSIN CAIOZZAMA

La coalition de droite au pouvoir part unie pour ces élections, tandis que du côté de l'opposition, les partis de centre gauche, de la Démocratie Chrétienne jusqu'aux socialistes se sont rassemblés autour de la coalition « Lista del Apruebo » [Liste moi j'approuve], et le Parti communiste et autres partis à gauche se retrouvent dans la coalition « Apruebo Dignidad» [J'approuve dignité]

Des 155 membres de la Convention Constitutionnelle à élire, 17 devrons être originaires des peuples autochtones et une correction est prévue pour atteindre la parité de sexe, ce qui constitue une première mondiale. D'un autre côté on a exclu de participation les chiliens résidents à l'étranger. 

La nouvelle constitution chilienne est appelé à mettre fin à la restauration oligarchique imposée à feu et à sang dès le 11 septembre 1973 par la dictature militaire, avec la complicité des civils et la bénédiction des États Unis. Au niveau économique le pays doit reconduire une nationalisation de l'industrie minière. Aujourd'hui seulement un tiers des exploitations minières sont en main de l'État et ceci grâce à la politique du gouvernement populaire de Salvador Allende. Ceci est fondamental pour avancer vers un nouveau modèle de développement économique ayant pour objectif la qualité de vie des personnes et ses droits fondamentaux. 

Il faut tenir compte aussi que le Chili aura des élections législatives et présidentielles au mois de novembre de cette année et pour la première fois c'est un militant du Parti communiste du Chili qui sort en tête des sondages d'opinion. En effet Daniel Jadue, Maire de la commune de Recoleta dans la ville de Santiago, bénéficie d'une grande popularité pour avoir mené une politique locale en faveur de ses administrés, s'opposant au pouvoir politique centralisé et aux grands groupes économiques. Il est à l'origine d'initiatives comme les pharmacies populaires, immobilières populaires et autres librairies, magasins de disque et de lunettes toujours populaires. 

Le groupe parlementaire communiste est aussi à l'origine d'initiatives populaires, toujours pas approuvées, comme une taxe sur les super riches, la réduction de la durée du travail hebdomadaire à 40 heures ou d’une loi d’amnistie pour les prisonniers de la révolte sociale de 2019. 

L'explosion sociale du mois d'octobre de 2019 qui a marqué le réveil des chiliens, avec ses morts, mutilés, blessés et prisonniers, fera que le Chili ne sera plus pareil, avec ses abus et inégalités sociales. Le Chili a besoin d'un État présent, maître de son économie, afin de subvenir aux besoins de la population en matière de santé, éducation, logement, retraites et autres droits sociaux.