vendredi, mars 05, 2021

CHILI: 50 ANS APRÈS, LA SOIF DE JUSTICE DES PRISONNIÈRES VIOLÉES SOUS LA DICTATURE

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« Cela leur faisait particulièrement plaisir de détruire des femmes » : les viols et les humiliations sexuelles contre les femmes ont été monnaie courante sous la dictature d’Augusto Pinochet (1973-1999), une forme de torture que la justice chilienne commence à peine à reconnaître.

Le Journal de Montréal 

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« ici résonnent nos cris et nos pleurs », raconte Beatriz Bataszew, une psychologue de 66 ans, en montrant le premier étage d’une maison de l’est de Santiago qui fut pendant des années un centre de torture clandestin.

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« Nous les femmes, nous étions un os dur à ronger, c’est pour cela que nous devions être punies avec beaucoup plus de rage que les hommes », dit cette ex-militante du Mouvement de la gauche révolutionnaire (MIR) qui y a été détenue pendant sept jours après son arrestation en septembre 1974. 

La maison était baptisée « Venda Sexy ». À l’intérieur, les prisonniers avaient les yeux bandés en permanence et la musique résonnait à plein volume pour couvrir « les cris des torturés », raconte Beatriz Bataszew. Les femmes étaient détenues au premier étage, jusqu’à 25 dans une pièce. 

Cristina Godoy-Navarrete, médecin retraitée de 68 ans, a été une des premières envoyées à Venda Sexy. « On t’emmenait dans un souterrain où il y avait les équipes pour t’administrer de l’électricité (....) et le chien entraîné » pour violer les femmes, explique-t-elle au téléphone depuis Londres où elle vit en exil depuis 1974. 

Aujourd’hui, devant la maison, redevenue une habitation privée, même si elle est reconnue comme un lieu de mémoire, un monument a été improvisé avec les photographies des détenues mortes ou disparues.

Souris dans le vagin

En dix-sept ans de dictature, environ 40 000 personnes ont été torturées au Chili et 3200 ont été assassinées ou sont toujours portées disparu. 

En 2005, la Commission nationale sur les prisons politiques et la torture a recueilli les témoignages de 35 000 personnes, dont 13 % de femmes. Outre les atteintes physiques et psychologiques, presque toutes ont déclaré avoir été victimes de violences sexuelles. 

La plupart ont été détenues pendant les trois premiers mois de la dictature, elles avaient entre 21 et 30 ans. Parmi elles, 229 étaient enceinte, dont quinze ont accouché emprisonnées. 

Dans leur récit, les victimes ont décrit les impulsions de courant électrique sur les parties génitales, les viols par des chiens dressés pour cela, jusqu’à l’introduction de souris dans le vagin. D’autres ont raconté avoir été contraintes d’avoir des relations sexuelles avec leur père ou leur frère.

Erika Hennings, une professeure retraitée de 69 ans, a été détenue 17 jours dans un centre de torture baptisé « Londres 38 » à Santiago. Avec elle, son mari, Alfonso Chanfreau, un étudiant en philosophie et dirigeant du MIR, toujours porté disparu. 

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« On m’a torturée devant (lui) car j’étais sa femme », explique celle qui avait alors 22 ans. « Ils voulaient toucher Alfonso avec ce spectacle de sa femme soumise », raconte-t-elle. « Pour la première fois, j’ai été en contact avec le mal et la cruauté ». 

« Violence spécifique »

Le 5 novembre 2020, la justice chilienne a établi pour la première fois une distinction entre les crimes d’enlèvement et séquestration, et celui de torture avec violences sexuelles. 

Trois anciens agents de la police politique de la dictature ont été condamnés pour ces deux chefs, car les faits rendaient nécessaire « la détermination d’un délit pénal distinct de celui de l’enlèvement aggravé », « une forme spécifique de violence contre les femmes », selon le jugement.

« C’est une grande avancée, c’est la première fois qu’est reconnu le fait qu’il y a eu des violences de genre », explique Patricia Artes, porte-parole du collectif Memorias de Rebeldia Feminista (Mémoire de rébellion féministe). Même si pour elle il est « difficile» de se féliciter d’un jugement 50 ans après les faits. 

« J’espère que cela va créer un précédent afin que ces crimes (...) soient considérés comme un crime contre l’humanité », renchérit Cristina Godoy-Navarrete. 

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Shaira Sepulveda, 72 ans, a été détenue dix jours dans un autre centre de torture de la capitale, la Villa Grimaldi, où fut également torturée Michelle Bachelet, devenue par la suite présidente du Chili, et aujourd’hui Haute-Commissaire de l’ONU aux droits humains. 

« J’espère qu’un jour nous obtiendrons justice parce qu’elles le méritent », dit-elle en montrant 190 fleurs plantées à Villa Grimaldi, en mémoire de prisonnières disparues ou assassinées, dont 35 sur les lieux.

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