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Il y a des planètes en dehors de notre Système solaire. C’est l’incroyable découverte qu’a faite Didier Queloz alors qu’il était tout jeune chercheur. L’astrophysicien suisse, lauréat du prix Nobel de physique en 2019, revient pour le journal chilien La Tercera sur l’avancée majeure qu’ont permis ses travaux. Et sur son rôle pour promouvoir la science aujourd’hui.
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En 1994, Didier Queloz était étudiant et préparait une thèse sous la direction de l’astrophysicien Michel Mayor lorsqu’il fit une découverte qui allait révolutionner notre compréhension de l’Univers. Il scrutait le comportement des étoiles depuis un observatoire du sud-est de la France lorsqu’il remarqua que la lumière de l’une d’entre elles baissait périodiquement ; un signe possible de l’influence gravitationnelle exercée par une planète [gigantesque].
Un an plus tard, Didier Queloz et Michel Mayor suscitaient la stupéfaction de la communauté scientifique internationale en prétendant avoir détecté la première planète en dehors du Système solaire (ils l’ont baptisée 51 Pegasi b). [Il s’agit d’une planète géante, au même titre que Jupiter, qui] tourne autour d’une étoile semblable à notre Soleil. Ce type d’objet a depuis reçu le nom d’“exoplanète” ou “planète extrasolaire”. Vingt-cinq ans plus tard, Didier Queloz revient sur la portée de cette découverte, qui lui a valu le prix Nobel de physique en 2019 [aux côtés de son mentor, Michel Mayor].
LA TERCERA : On a longtemps pensé que l’Univers se limitait à notre galaxie et que les trous noirs n’étaient qu’une construction théorique. Mais il a été prouvé que l’Univers est beaucoup plus grand et que les trous noirs existent vraiment. Il en a été de même avec les exoplanètes. Selon vous, en quoi votre découverte est-elle importante ?
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La découverte d’exoplanètes a eu de nombreuses conséquences, dont la plus importante a été de stimuler la quête d’autres formes de vie dans l’Univers, ainsi que la recherche sur l’origine de la vie.
L’existence d’une planète semblable à Jupiter orbitant très près d’une étoile [en dehors de notre Système solaire] n’était prédite par aucune théorie. Vous vous faites une idée de ce que vous allez trouver en vous fondant sur ce que vous savez, et vous vous rendez compte que l’inconnu est bien plus grand que vous ne l’imaginiez. Personne n’avait imaginé qu’une planète pouvait être si différente de celles que nous connaissions, alors nous avons dû reconstruire la théorie. La première chose, qui a été très difficile, a été de nous assurer que nous avions raison. Puis nous avons dû nous battre contre tous les autres scientifiques ou presque, et essayer de les convaincre que c’était la seule explication possible. La science ne se base pas [seulement] sur des théories, mais sur des faits.
Quand avez-vous mesuré l’impact de votre découverte ? Lorsque vous avez reçu le prix Nobel, en 2019 ? Ou peut-être n’en avez-vous pas encore pris toute la dimension ?
J’ai été très surpris de trouver “quelque chose”. Il me paraissait impossible que ce soit une planète. J’ai passé beaucoup de temps à m’assurer que cet objet était bien réel. J’ai envoyé à Michel Mayor un résumé de mon travail, en lui disant à la fin que j’avais peut-être découvert une planète parce que je n’avais pas d’autre explication. Michel a suivi le même processus : au début, il ne m’a pas cru, puis il est parvenu à la conclusion que c’était la seule explication possible.
Ensuite, nous avons formulé des hypothèses, puis nous les avons confirmées, et c’est à ce moment que nous avons pris conscience que nous avions mis le doigt sur quelque chose de très important et que nous devions le dire. Je savais que c’était vraiment important, mais j’étais si jeune à l’époque que cela me faisait peur. Il m’a fallu quelques années pour vraiment apprécier cette découverte. Les premières années ont été compliquées parce que les gens nous attaquaient, on ne nous croyait pas, et ça a été très dur pour le jeune scientifique que j’étais.
J’ai surtout essayé de survivre. Et lorsque vous êtes aussi jeune et que vous vous rendez compte que vous avez fait la plus grande découverte de votre vie au tout début de votre carrière, vous vous retrouvez dans une situation plutôt étrange. J’aurais pu arrêter de travailler, mais je ne l’ai pas fait parce que j’aime la science. Mais je sais aussi que je ne pourrai pas faire mieux, alors je dois vivre avec.
Croyez-vous que nous pourrons un jour photographier une exoplanète, ou mieux encore, y aller ?
Connaître certaines des principales caractéristiques des exoplanètes nous permet déjà d’en avoir une sorte d’“image”, mais nous ne pouvons pas encore avoir de photos parce qu’elles sont très loin de nous. Nous ne pouvons pas encore les photographier comme nous photographions la Terre depuis la Lune, mais personne ne nous empêche de le faire. Il faut juste utiliser un télescope de la bonne taille.
Si vous avez un télescope de la taille de la ville de Santiago, vous pourrez prendre une photo. Le problème est qu’aujourd’hui nous ne savons pas fabriquer ce type d’instrument. Mais il y a mille ans, nous ne savions pas non plus fabriquer un télescope aussi grand que celui de San Pedro d’Atacama. On ne peut pas prévoir l’évolution des technologies, et en théorie rien n’empêche de prendre des photos de planètes. Nous n’avons pas d’images de la plupart des planètes, mais nous en savons beaucoup sur elles : nous connaissons leur masse, leur taille, leur orbite, parfois leur température et la composition de leur atmosphère. Nous sommes donc capables de détecter des choses et de les comprendre sans photos, mais ce n’est qu’une question de temps avant que nous ne puissions en avoir.
Maintenant, aller sur place va être plus compliqué parce qu’on se heurte à certaines limites de la physique. L’une d’elles est que la lumière a une vitesse qu’on ne peut pas dépasser, ce qui restreint le champ du possible : même si on voyage très près de la vitesse de la lumière, toutes les étoiles restent très éloignées. Ce que disent les lois de la physique, et que l’on constate tous les jours dans nos expériences, c’est que plus un objet approche de la vitesse de la lumière, plus sa masse augmente. Les concepts de masse et de temps ne sont pas ce que nous percevons, ce sont des choses beaucoup plus compliquées. Nous ne pouvons pas aller sur d’autres planètes parce que nous ne disposons pas d’une source d’énergie suffisante pour atteindre la vitesse de la lumière et accélérer ou décélérer. Et même si nous l’avions, si nous pouvions voyager à une vitesse de 10 % de celle de la lumière, étant donné que l’exoplanète la plus proche se trouve à 4 années-lumière de nous, il faudrait quarante ans pour y aller et quarante autres pour revenir. Le plus long voyage [habité] dans l’espace que nous ayons fait a duré quatre jours : c’est lorsque nous sommes allés sur la Lune. Nous n’avons jamais pu aller plus loin.
À cause de ces contraintes, je crois que nous ne pourrons pas nous rendre sur une autre planète avant un millier d’années. Mais je suis sûr que nous aurons beaucoup de photographies avant cela. Si on extrapole à partir des progrès qui ont déjà été faits, qu’on compare le petit instrument qu’avait Galilée en Italie au XVIe siècle à ceux qu’il y a aujourd’hui au Chili et qu’on pense que seulement quatre cents ans les séparent, qui sait ce que les quatre cents prochaines années nous réservent ? Si nous réussissons à régler le problème du réchauffement climatique, il ne fait aucun doute que nous serons témoins de nouvelles découvertes.
Croyez-vous qu’il y ait des formes de vie intelligentes quelque part dans l’espace ?
Oui. Je vois “la vie” comme une série de réactions chimiques, très complexes certes, mais des réactions chimiques. Si elles se produisent sur Terre, je ne vois pas pourquoi elles ne se produiraient sur d’autres “Terres” puisque la chimie est partout la même. Ce que nous ne savons pas, c’est comment ces réactions se sont combinées pour donner naissance à une forme de vie. Et nous l’ignorons parce que nous n’avons pas pu percer le mystère de l’origine de la vie sur Terre. Mais beaucoup de progrès ont été faits ces dix dernières années, surtout dans le domaine de la biochimie.
Les biochimistes comprennent mieux aujourd’hui les premières étapes du développement de la vie. Des astronomes, des géophysiciens, des chimistes, des géologues et des biochimistes collaborent à des expériences pour tenter de déterminer ce qui s’est passé avant que la vie apparaisse sur Terre et le nombre minimum de réactions chimiques nécessaires pour qu’elle le fasse. C’est un grand mystère. Toutes les formes de vie sur Terre sont composées des mêmes “briques de vie”, qui sont 20 acides aminés. La question est : pourquoi ceux-là et pas d’autres ?
Certains chercheurs pensent que certaines conditions doivent être réunies pour construire ces acides aminés, et qu’elles ne sont pas si extraordinaires : il faut une planète, de l’eau, de la lumière ultraviolette, une activité volcanique et une atmosphère. Rien de très spécial. Ensuite la chimie fait son œuvre et crée des acides aminés. Si on aide un peu la chimie en lui offrant certaines choses, par exemple des lacs ou des rivières, ces acides aminés finissent par s’assembler d’une certaine manière et créer une forme de vie.
La vie est fascinante. Une fois que la réaction chimique qui lui donne naissance s’est produite, elle prend les rênes et on ne peut plus l’arrêter. Elle continue toute seule, elle n’a besoin de rien. Si elle a suffisamment de matière première à sa disposition, elle va évoluer encore et encore et finir par créer une forme de vie complexe qui continuera elle aussi d’évoluer. On ne sait pas exactement comment cela se passe, mais je pense que la première étincelle de vie doit surgir quasiment partout où les conditions requises sont réunies.
On ne sait pas encore non plus quelles sont ces conditions, mais lorsque nous irons sur Mars, nous l’étudierons en détail car elle offre une image intéressante de notre passé. Les premiers milliards d’années sur Mars ont été assez semblables à ceux sur Terre, et nous savons que les premières traces de vie sur notre planète datent de cette période. Nous espérons que la vie est apparue sur Mars comme elle est apparue sur Terre, et lorsque nous aurons compris comment elle l’a fait, nous pourrons prévoir l’impact que peut avoir la vie sur une planète.
La conséquence la plus visible sur Terre a été la transformation radicale de son atmosphère. Le fait que nous ayons de l’oxygène sur notre planète est le résultat de la vie. Ce n’est pas la seule conséquence, mais ce qui importe ici est que tout ce qui se passe sur une planète la fait réagir, et ces modifications deviennent des parties de son histoire. Les astronomes veulent savoir quelles sont les différences et les points communs entre la Terre et les planètes qu’ils observent, étudier leur atmosphère, voir s’il y a une activité volcanique. Or, il est possible de faire cela à distance, de même que l’on prévoit la météo sur Terre juste en utilisant des satellites et des images. Bien sûr, le niveau de détail ne sera pas le même dans un premier temps, mais il le sera un jour. Voilà pourquoi je suis convaincu que nous trouverons de la vie. Je ne peux pas croire que nous soyons les seuls produits de la chimie, la seule forme de vie dans tout l’Univers. Il y a trop d’étoiles, de planètes et de galaxies pour que nous soyons seuls.
Le Chili possède l’un des ciels les plus purs et certains des plus grands télescopes au monde. Y êtes-vous déjà allé ? Que pouvez-vous nous dire de nos télescopes ?
Je suis allé plusieurs fois au Chili, et j’ai dû y passer au moins deux ans en tout pour participer à la construction d’instruments et à l’installation de télescopes. Je connais la cuisine chilienne et j’ai appris suffisamment d’espagnol pour me débrouiller. Je ne suis pas allé partout, mais je connais les observatoires de La Silla et d’Alma. Le Chili est un pays extraordinaire, avec des caractéristiques géographiques très particulières : il est baigné par un océan très froid, on y trouve des montagnes très hautes et les nuages ne dépassent pas une certaine altitude. Votre pays rivalise avec les endroits où il y a des volcans, comme Hawaii, des lieux très précis. Vous avez beaucoup de chance d’avoir un pays comme celui-ci. Mais vivre dans l’Atacama n’est pas très agréable, c’est très sec (il rit).
Le prix Nobel vient généralement couronner la carrière d’un scientifique, or vous êtes très jeune.
Pas tant que ça ! J’ai 55 ans. Je ne suis pas le seul, d’autres ont reçu un prix Nobel alors qu’ils étaient jeunes. Cela vous met dans une situation très curieuse : lorsque vous êtes titulaire d’un Nobel, beaucoup plus de gens prêtent attention à ce que vous dites. Pas seulement dans la communauté scientifique, mais dans la société en général. Vous pouvez parler de questions de politique globale avec des gouvernements et de la façon dont on peut soutenir la science.
D’une certaine manière, je me sens investi de la mission d’aider les jeunes scientifiques, même si ce n’est que modestement, parce qu’ils ont besoin d’aide. Je dois convaincre les gouvernements de l’importance de donner des moyens à la science pour le bien de la société et de son avenir, et je peux contribuer à influencer un peu les politiques mondiales concernant les changements que nous vivons actuellement, sur le dérèglement climatique, l’atmosphère. Je le faisais déjà avant, mais le prix Nobel a donné plus d’importance à ma voix et cela me semble une bonne chose. Je peux être utile, et j’essaierai d’utiliser ce prix du mieux que je le pourrai.
Comment voyez-vous la suite de votre carrière ? Reste-t-il des défis à relever une fois que l’on a obtenu un Nobel ?
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Nous avons beaucoup de jeunes scientifiques vraiment brillants, et de plus cette nouvelle génération n’a pas peur d’aborder ces questions. Nous devons veiller à inclure les minorités dans la communauté scientifique et à faire disparaître les inégalités entre les hommes et les femmes. Il y a beaucoup de problèmes à régler. L’avenir de la science ce n’est pas moi, même si vous me trouvez jeune. L’avenir de la science et de toutes les sciences basées sur une pensée rationnelle, ce sont les jeunes qui vont apporter des idées nouvelles et originales. Et c’est à ce niveau que je peux peut-être aider.
Francisca Carriel
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L'ÉCLIPSE DU SOLEIL A ÉTÉ TOTALE AU-DESSUS DU CHILI LE 2 JUILLET 2019 CRÉDITS : STAN HONDA / AFP | DATE : 03/07/2019 |