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Livres / Dans ses nouvelles, l’écrivaine et journaliste chilienne restitue sans filtre la précarité et l’énergie de sept jeunes filles confrontées aux vicissitudes du monde adulte.
Par Ariane Singer (Collaboratrice du « Monde des livres »)
6Temps de Lecture 2 min.
PARUTION « LES BÂTARDES » |
Les filles formées à l’école de la rue ont plus d’histoires à raconter que celles des quartiers chic. C’est l’impression que donne ce premier recueil de nouvelles de l’écrivaine et journaliste chilienne Arelis Uribe, née en 1987 à Santiago. Les « bâtardes » du titre sont une brassée de filles aux âges divers – de la préadolescence aux premières années de l’âge adulte – issues des classes moyennes populaires du Chili. Protagonistes et narratrices de chacun des sept textes du livre, elles relatent leur quotidien en marge de ce qu’elles pensent être la « vraie » vie.
Destins tracés d’avance
Dans « Italia », une jeune enseignante métisse issue d’un milieu peu favorisé de la banlieue de Santiago se retrouve ainsi projetée dans un univers féerique, après s’être éprise d’une lycéenne blanche d’un quartier huppé de la capitale. « Dans ces histoires, je prenais la place de l’héroïne, et c’était moi qui me faisais redresser les dents à 8 ans, qui allais au restaurant depuis toujours (…). C’était moi qui jouais avec des oncles cinéastes ou professeurs à [l’université] la Chile plutôt que vendeurs de glaces ou chauffeurs de taxi, moi qui avais une chambre pour moi toute seule et nageais les samedis de janvier dans la piscine en ciment du jardin. » Mais cet émerveillement sera de courte durée et c’est finalement tout le destin tracé d’avance de la bien née Italia, promise à un avenir brillant mais sans surprise, qui poussera son amante à la fuir.
D’une écriture brute, à la fois distante et intimiste, Arelis Uribe dépeint sans filtre la précarité, matérielle et affective, de ces filles. Telle cette modeste assistante sociale (« Le Kiosque »), envoyée dans un collège en plein pays mapuche : un établissement si défavorisé, avec ses élèves déjà mères et ses infrastructures de fortune, qu’il n’entre dans aucune des cases prévues par l’équivalent de l’éducation nationale.
Complexes de classe
Aucune noirceur, aucun misérabilisme dans ces portraits de dures à cuire retroussant inlassablement leurs manches pour affronter une réalité peu amène. Arelis Uribe croque avec tact la façon dont ses héroïnes se forgent une carapace dès la sortie de l’enfance. Ainsi en va-t-il de cette étudiante qui rentre seule chez elle à l’aube, morte de peur, et adopte, le temps de son trajet, une chienne errante sur le point de mettre bas (« Bêtes ») ; protégée par l’animal, elle devra à son tour tenter de le sauver des assauts d’un berger allemand, dans une surprenante explosion de rage.
Ainsi les héroïnes d’Arelis Uribe apprennent-elles à survivre aux vicissitudes du monde adulte. Comme ces deux cousines, très proches, que la brouille entre leurs mères sépare malgré elles pendant les années cruciales de l’adolescence, avant qu’elles ne se retrouvent par hasard (« Ville inconnue »). Elles font également leurs premiers pas amoureux au rythme des évolutions technologiques – des premiers services de messagerie aux SMS des téléphones plus sophistiqués.
Avec une grande justesse, l’écrivaine saisit leurs apprentissages et leurs trébuchements, leurs premiers émois et leurs inévitables déceptions. Ses histoires soulignent la persistance des complexes de classe et d’appartenance ethnique, au sein d’une population où il est toujours mal vu d’aimer plus pauvre ou plus foncé que soi. A travers ces figures hautes en couleur de filles à fleur de peau, riches de leurs contrastes et de leurs ambitions, Arelis Uribe creuse ces fragilités avec panache.
Ariane Singer(Collaboratrice du « Monde des livres »)
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