[ Cliquez sur l'image pour l'agrandir ]
PHOTO TWITTER À l’issue d’un scrutin-marathon, une femme de 39 ans, María Elisa Quinteros succède à Elisa Loncon à la présidence de l’Assemblée constituante. Son vice-président, militant de la diversité sexuelle, a 32 ans. Elle est chercheure en santé publique, lui est médecin rural. Autant dire que la réforme du système de santé sera au cœur de la prochaine Constitution. Sans oublier l’écologie. Ce vendredi 7 janvier, manifestations dans tout le pays contre de nouvelles concessions d’extraction de lithium que le président sortant veut offrir aux multinationales.
2022, on y va ! Cet article vous est offert par les humanités, média alter-actif. Pour persévérer, explorer, aller voir plus loin, raconter, votre soutien est très précieux. Abonnements ou souscriptions ICI.
GABRIEL BORIC DESSIN PANCHO CAJAS |
Les accouchements sont parfois compliqués. La nouvelle Assemblée constituante du Chili (ou Convention constitutionnelle), chargée de préparer une constitution pour le futur, débarrassée de l’héritage de Pinochet, devait accoucher de nouvelles instances de direction, six mois après l’élection à la présidence de l’universitaire mapuche Elisa Loncon et du vice-président Jaime Bassa.
Il y aura fallu près de 20 heures de session et 9 tours de scrutin parmi les 155 membres élus de cette Assemblée constituante. Commencée le 4 janvier à 9 h 30 du matin, la séance à dû être interrompue au milieu de la nuit, sans qu’aucune majorité claire ne se dessine. La composition-même de cette Assemblée constituante explique en grande partie la difficulté. Les partis politiques traditionnels y sont minoritaires. Il faut donc dégager un consensus entre certaines de ces forces politiques et d’autres, émergentes (une « nouvelle gauche »), les candidat.e.s indépendant.e.s issu.e.s de la « société civile », et les représentant.e.s des peuples autochtones, qui disposent de 17 sièges réservés.
Lire aussi : Au Chili, ces apiculteurs font manifester leurs abeilles
Comme écrit précédemment (ICI), Cristina Dorador semblait tenir la corde. Cette biologiste de renom, écologiste convaincue, a pourtant échoué (de peu) à recueillir les 78 suffrages nécessaires pour obtenir la majorité. Le Parti socialiste a fait obstruction en tentant d’imposer sa candidate, Ramona Reyes, jusqu’à ce que les constituant.e.s apprennent que celle-ci est impliquée dans une affaire de corruption. Mais l’obstruction est aussi venue d’une partie des représentants des peuples autochtones, et jusqu’au 8ème tour, Eric Chinga, candidat indépendant, représentant du peuple Diaguita, a maintenu sa candidature pour faire obstacle à Cristina Dorador.
CAPTURE D'ÉCRAN |
Face à l’impasse, Elisa Loncon et son vice-président, Jaime Bassa, ont pris la sage décision de suspendre la session. Le temps de se reposer et aussi de trouver, en coulisse, un accord consensuel. Le matin venu, Cristina Dorador retirait sa candidature, tout comme Barbara Sepúlveda, du Parti communiste, qui a déclaré: « Si nous voulons construire des majorités, nous devons faire preuve de générosité politique ». Quelques-unes des principales forces en présence (le Parti communiste, le Front de gauche, les Indépendants et les représentants des peuples indigènes) sont alors parvenues à s’entendre autour de la candidature de María Elisa Quinteros, élue indépendante. Pour obtenir la majorité, au 9ème tour de scrutin, elle a en outre bénéficié d’une voix déterminante venue du centre-droit, celle de Luciano Silva, professeur d’éducation générale et pasteur évangéliste, membre du parti Rénovation nationale, qui a salué en María Elisa Quinteros « une personne de consensus ».
Âgée de 39 ans, María Elisa Quinteros est odontologue. Formée à l’université de Talca, dans la région du Maule, au centre du Chili, elle a travaillé pendant 8 ans au sein du département de la santé de Hualañé, une petite ville de 10.000 habitants, avant de retrouver l’université de Talca comme chercheure au département de santé publique. Membre du conseil d'administration de la société chilienne d'épidémiologie, elle est également active au sein de la Fondation Afluentes (très engagée sur le plan environnemental) et du Réseau environnemental de la région du Maule.
Dans la foulée, l’Assemblée constituante devait également choisir sa nouvelle présidence. Et là, dès le premier tour de scrutin, 102 voix (sur 155) se sont portées sur Gaspar Dominguez, 32 ans, lui aussi élu indépendant, homosexuel revendiqué et militant pour la diversité sexuelle. Il exerce comme médecin rural dans la région des Lacs, au centre du Chili.
Comme le souhait Elisa Loncon, l’Assemblée constituante est donc à nouveau présidée par une femme. Et l’âge de son vice-président confirme la place prise par la jeunesse dans la construction d’un nouveau Chili. Mais il y a plus. María Elisa Quinteros et Gaspar Dominguez sont tous les deux fortement engagé.e.s sur les questions de santé publique, et c’est là un chapitre important pour la nouvelle Constitution, dans un pays où le système de santé reste profondément inégalitaire. «Ceux qui ont de l'argent vont dans des cliniques privées et sont pris en charge tout de suite, explique Angélica. Alors qu'à l'hôpital public, j'ai dû attendre deux ans avant de pouvoir me faire opérer de la vésicule. Ceux qui peuvent payer ont accès à la santé, les autres meurent en attendant des soins», témoignait ainsi, dans Libération, Angélica Rojo, ancienne ouvrière textile. Une « fracture » entre classes sociales qui, là aussi, remonte à l'époque de Pinochet et sa série de réformes néolibérales.
Est-ce à dire que la question écologique va passer à la trappe ? Certes non. Tout comme Cristina Dorador, María Elisa Quinteros est en pointe sur le sujet. Au sein de l’Assemblée constituante, elle a voté toutes les motions en faveur d’une meilleure prise en compte de la nature dans les projets constitutionnels, ainsi que sur la défense de l’eau comme bien public.
Lire aussi : LE LITHIUM, LE PREMIER CONFLIT
FLYER PCCh |
Et face aux ultimes manœuvres de la droite pour favoriser l’extraction minière privée, la résistance s’organise. Fin décembre, le président sortant Sebastián Piñera et son ministre des Mines et de l’Énergie, Juan Carlos Jobet, ont tenté de faire passer à la hussarde de nouvelles adjudications minières, qui porteraient la production chilienne annuelle de lithium (lire ICI) de 148.000 tonnes actuellement à… 400.000 tonnes d’ici 2050 ! Pour les vautours de la planète, tant qu’il y a du grain à moudre et du profit à glaner, quelles qu’en soit les conséquences écologiques, tout est bon à saccager. Alors que des scientifiques dénoncent un processus d’adjudication pour le moins hâtif (réalisé en moins de 3 mois), Gabriel Boric demande la suspension de toute nouvelle demande d’exploitation minière jusqu’à son entrée en fonction : « Le lithium est le minérai de l'avenir, utilisé dans des millions d'appareils électroniques. Le Chili ne peut pas commettre l'erreur historique de privatiser à nouveau ses ressources, et pour cela nous allons créer la Compagnie nationale du lithium ».
Plusieurs organisations syndicales, écologiques et citoyennes, appellent à des manifestations dans tout le pays, ce vendredi 7 janvier. Mot d’ordre : « A recuperar nuestros recursos » (Récupérer nos ressources).
Jean-Marc Adolphe
[ Cliquez sur l'image pour l'agrandir ]
LES UNES DE LA PRESSE INTERNATIONAL AU LENDEMAIN DE L'ÉLECTION |