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AFFICHE DU FILM MIS HERMANOS |
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L'HUMANITÉAu Chili, « les enfants pauvres et indigènes sont abandonnés par l’État », estime la réalisatrice Claudia Huaiquimilla / Une prison pour mineurs au Chili où des adolescents incarcérés sont victimes d’un système qui les conduits à leur perte. Dans Mis Hermanos, Claudia Huaiquimilla met en lumière leur humanité et leur diversité. / Culture et savoir
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LA RÉALISATRICE CHILIENNE CLAUDIA HUAIQUIMILLA À LA PHOTO ERIC CABANIS / AFP |
mis Hermanos est une fiction basée sur des faits réels. En 2007, la tragédie du centre de détention de Puerto Montt, où plusieurs enfants meurent des suites d’un incendie, met en lumière les conditions de vie d’adolescents laissés à l’abandon par l’institution. Un cas loin d’être isolé puisque, entre 2005 et 2020, près de 1 800 jeunes décèdent dans ces « prisons » gérées par l’État chilien.
► À penser en dessin : FENÊTRE SUR COUR
Claudia Huaiquimilla, enseignante et réalisatrice issue de la communauté mapuche, s’empare de ce sujet dans un film âpre. Sans misérabilisme, elle dépeint la tragédie humaine provoquée par la violence institutionnelle à travers le parcours d’Ángel et Franco, deux frères âgés de 14 et 17 ans.
Mis Hermanos est né d’une rencontre avec un enseignant lors de la sortie de votre précédent film, Mala Junta…
Nous avons rencontré le professeur d’un centre de détention pour mineurs lors d’une séance pour des étudiants. Nous ne savions pas à quoi ressemblent ces endroits. Je n’avais pas conscience qu’il s’agissait de véritables prisons. L’un d’eux était même un centre de torture sous la dictature de Pinochet.
J’y ai découvert la réalité de ces jeunes filles et garçons curieux du monde extérieur, pour qui ces séances sont l’occasion de parler librement, de s’évader, de se sentir considérés. J’ai été marquée par leur complicité et leur fraternité. Ces jeunes ont les mêmes pulsions que n’importe quel adolescent, sauf qu’ils sont enfermés.
J’ai aussi été frappée par l’engourdissement provoqué par l’excès d’anxiolytiques et d’antidépresseurs. Ils sont drogués pour supporter l’enfermement. Leurs témoignages ont construit mon scénario.
Le scénario s’inspire aussi d’une histoire vraie, qui s’est déroulée dans un centre de Puerto Montt, au sud du Chili…
Une nuit de 2007, un groupe de dix adolescents a organisé une émeute pour exiger de meilleures conditions de détention et s’échapper avant l’arrivée des pompiers. La fumée toxique s’est propagée et ils sont morts asphyxiés. C’est la première prison où nous sommes allés dans le cadre de la tournée de Mala Junta. À l’extérieur, les photos du mémorial créé par les familles des jeunes défunts se sont effacées.
Le film n’est pas une enquête mais plutôt une manière de savoir qui étaient ces garçons afin de faire vivre leur histoire pour que cela ne se reproduise plus.
1 796 jeunes sont morts dans ces centres en quinze ans…
Quand ces données ont été révélées au Chili, elles sont rapidement devenues de simples statistiques. Recueillir des témoignages et étudier les conditions de vie permettent une autre approche. Notre histoire n’aborde qu’un dixième des choses terribles constatées dans nos recherches…
Le film montre des jeunes queer, ainsi qu’un certain masculinisme. Était-ce une manière de rendre compte de la diversité des jeunes de ces centres ?
En général, il s’agit de jeunes issus de milieux populaires, souvent issus de communautés indigènes. Nous voulions montrer leur diversité, à rebours d’un système qui les enferme dans des cases. Entre eux, les jeunes se montrent très inclusifs.
Nous voulions parler de ces adolescents qui ne se sentent pas jugés comme ils le seraient par l’institution ou les adultes. Dans cette même logique, les adolescents ne parlent jamais de la raison pour laquelle ils sont là, du crime qu’ils ont commis.
Depuis la sortie du film au Chili, en 2021, la politique carcérale pour les mineurs a-t-elle évolué ?
Cette institution nommée Sename (Service national des mineurs) a été remplacée par Mejor Niñez (« Meilleurs Enfants »). Ce changement de nom entraînera-t-il de réelles actions radicales pour leur protection ? Des changements importants auraient pu être entrepris avec la nouvelle Constitution et son volet sur le droit des enfants et des adolescents. Nous avions décidé de sortir ce film en 2021 pour nourrir le dialogue autour du vote de la Constitution. Malheureusement, elle n’a pas été approuvée…
La violence des surveillants pénitentiaires est-elle un reflet de la violence de l’autorité au Chili?
La plupart des étudiants chiliens s’identifiaient à la situation traversée par les personnages. Même s’ils ne sont pas enfermés, leur voix n’a aucune portée et leurs individualités sont réprimées. Cette violence institutionnelle produit l’enfermement.
Comment expliquez-vous la surreprésentation des personnes issues des peuples autochtones comme les Mapuches au sein de ces centres ?
C’est la conséquence de l’appauvrissement des communautés indigènes, reléguées à l’arrière-plan. Les enfants se réfugient dans la rue pour survivre. Ils sont abandonnés par l’État, qui se montre ensuite brutal avec eux. Il est très douloureux pour les adolescents d’être arrachés au monde qui les entoure au moment où ils construisent leur identité. Mais pour les jeunes des peuples indigènes, c’est aussi un bannissement de leur terre, de leur communauté. Le préjudice est double. Et dans les centres, aucun protocole, ni aucune forme d’inclusion n’est mise en place.
Le film aborde aussi les tabous du viol et de l’inceste. Pourquoi avoir évoqué ces sujets dans ce contexte ?
Le film suggère plus de violence qu’il n’en montre. Mais il était important de dénoncer ces violences, qui peuvent marquer ces enfants pour la vie, au sein d’une institution censée les protéger. Le film a d’ailleurs été réalisé dans un centre situé sur une colline à Rancagua, loin de tout… Une manière de symboliser qu’en cas d’appel à l’aide, personne ne leur répond.
Finalement, seule l’entraide peut les sauver ?
Ces enfants doivent trouver seuls le courage de se défendre les uns les autres, y compris contre eux-mêmes. C’est ce qui déclenche la mutinerie. Le personnage principal suit les règles mais le système ne lui laisse pas le choix. C’est aussi l’histoire du Chili et celle de la résilience, de la résistance, des luttes, des espoirs et des rêves.
Dans ce marasme, le personnage de la professeure du centre dénote ?
Je suis la fille d’une enseignante qui travaille dans des secteurs défavorisés. Il était primordial de créer un personnage complexe qui représente ceux que nous avons rencontrés dans les Sename. Ils sont aussi victimes du système, tentent de changer les choses sans en avoir les moyens. Et y parvenir, ne serait-ce qu’avec un enfant, est déjà une réussite. La professeure est l’une des rares adultes à croire en eux, à tenter de leur donner confiance et à leur laisser entendre qu’un autre avenir est possible.
Votre cinéma se veut-il engagé ?
Je tente de combattre certains stéréotypes et la façon dont ma classe sociale a été représentée dans le cinéma chilien, qui manque parfois d’authenticité. Je représente mes frères ou voisins potentiels pour construire des personnages nuancés, avec leurs contradictions, leur part d’ombre et de lumière.
Comment se porte le cinéma chilien ?
Beaucoup de gens croient que le Chili est un pays où le cinéma est très vivant. Mais il est difficile d’être cinéaste ici. Il y a eu un boom à certaines époques, avec un tas de personnes qui ont accédé aux études grâce aux crédits de l’État. Cependant, l’accès à la production de fictions avec un budget important est rarement confié aux femmes ou aux gens issus de classes populaires.