jeudi, mai 20, 2021

AU CHILI, LA PARITÉ A PROFITÉ AUX HOMMES LORS DE L’ÉLECTION DE L’ASSEMBLÉE CONSTITUANTE

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PHOTO JUAN GONZALEZ / REUTERS

Davantage de femmes ont été élues au scrutin des 15 et 16 mai et certaines doivent céder leur siège, en vertu des mécanismes de correction. 
l’élection de l’Assemblée constituante au Chili n’en finit pas de livrer son lot de surprises. Première mondiale, l’Assemblée chargée de rédiger une nouvelle Constitution, dont les 155 membres ont été élus les 15 et 16 mai, est entièrement paritaire, à un siège près. Plusieurs mois avant le scrutin, en mars 2020, les organisations féministes avaient obtenu l’inscription de cette règle, également appliquée aux candidatures : chaque liste, établie par affinité idéologique et district, devait comporter autant d’hommes que de femmes, afin de garantir une offre électorale strictement égale dont les résultats seraient éventuellement rééquilibrés. Ceux-ci l’ont finalement été à la faveur des hommes : au total, 11 femmes élues ont dû céder un siège à un homme et cinq hommes à une femme, selon l’Observatoire de la nouvelle Constitution, un centre d’études analysant le processus constitutionnel.

« C’est ça la parité. D’ailleurs, il est préférable d’employer le mot “intégrer” à “céder”. Il n’a jamais été question de surreprésenter les femmes, la parité de cette élection reste la plus grande avancée démocratique de ces dernières années au Chili », estime Pamela Figueroa, politiste et coordinatrice de l’Observatoire de la nouvelle Constitution. La modification au sein des dix-sept sièges réservés aux populations autochtones, sorte d’élection dans l’élection, s’avère particulièrement frappante : quatre femmes élues ont laissé leur siège à un homme. En vertu de ces mêmes mécanismes de correction, le siège supplémentaire au sein de l’Assemblée revient d’ailleurs à un homme : ils sont 78 pour 77 femmes.

« La parité ne relève pas d’un coup de main additionnel pour les femmes mais du principe d’égalité », corrobore Catherine Reyes-Housholder, chercheuse au Centre d’études du conflit et de la cohésion sociale (COES) et spécialiste des questions de genre en politique. « Les études montrent que, sans loi de parité, les partis tendent à proposer davantage de candidats hommes, en supposant que les citoyens préfèrent ce genre de profil. Or, on s’aperçoit, avec cette élection, que si l’offre est paritaire, les citoyens votent autant ou plus pour des candidates femmes qui sont tout aussi compétitives », analyse la chercheuse.

« Renouveau politique »

Autre surprise du scrutin : la grande victoire des candidatures indépendantes, dans l’ensemble marquées à gauche. Dans le détail, les femmes ont été préférées aux hommes sur ces listes-là, selon l’Observatoire de la nouvelle Constitution. « Les femmes incarnent davantage le renouveau politique », analyse Mme Figueroa. Durant la période précédant le scrutin, de nombreuses candidates ont clairement revendiqué leur féminisme, une première également pour une campagne. « Rentrer chez nous et retrouver un foyer sûr (sans violence de genre), cela relève du sens commun », clame ainsi, dans son spot de campagne, Giovanna Roa Cadín, l’une des candidates élues sur une liste de gauche, portant, noué au poignet, un foulard vert, symbole de la lutte pour la légalisation de l’avortement.

Certaines exigences, comme la parité dans les institutions ou en entreprise, sont prônées par tous les partis politiques. Nombreux ont proposé que les tâches domestiques soient reconnues comme un travail, les confinements ayant davantage requis l’investissement des femmes au sein des foyers. La question des droits sexuels, notamment la légalisation de l’avortement − autorisé au Chili seulement en cas de viol, de danger pour la vie de la personne enceinte ou d’inviabilité du fœtus −, reste clivante et plutôt défendue par les élues marquées à gauche.

Mais la parité numérique garantit-elle l’égalité de fait ? L’Assemblée prévoit une présidence et une vice-présidence, dont les genres ne sont pas, pour l’instant, déterminés. Son fonctionnement, autour de commissions thématiques, doit également être défini. « Or, on sait qu’au sein du Parlement, par exemple, les commissions prestigieuses sont entre les mains des hommes et les moins prestigieuses, comme celles de l’égalité de genre ou de la famille, composées par davantage de femmes », remarque Catherine Reyes-Housholder. « Il y a aussi des enjeux liés à la prise de parole, dans les assemblées, les hommes tendant à interrompre davantage », avertit la spécialiste.
Flora Genoux(Buenos Aires, correspondante)