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Dix-huit mois après des mouvements sociaux historiques, la structure chargée de rédiger la nouvelle Constitution sera paritaire, avec une partie des sièges pour les peuples indigènes.
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C’est une élection historique. Samedi 15 et dimanche 16 mai, les Chiliens doivent désigner les 155 membres de l’Assemblée qui sera chargée de rédiger une nouvelle Constitution. C’est l’un des principaux acquis du mouvement social entamé fin 2019 au Chili : le pays a décidé, lors d’un référendum en octobre 2020, de tirer un trait sur la Constitution rédigée durant la dictature du général Augusto Pinochet (1973-1990). C’était devenu, au fil des protestations engendrées par la simple augmentation du prix du ticket de métro, la principale revendication des manifestants, qui jugeaient le texte actuel garant du système néolibéral qui perpétue les inégalités sociales dans le pays.
« Une partie de la population voit dans l’adoption d’une nouvelle Constitution la possibilité de changer les règles du jeu : d’obtenir de meilleures conditions de vie et d’avoir un accès plus égal à des droits comme la retraite, la santé, l’éducation », indique Claudio Fuentes, professeur de sciences politiques à l’Université Diego Portales. Des secteurs aujourd’hui largement privatisés, car la Constitution actuelle entérine le principe que l’Etat subsidiaire n’intervienne que de manière très limitée. « Dans le même temps, ajoute-t-il, la population est aussi sceptique envers ce processus politique et doute qu’il puisse permettre à ces aspirations de se matérialiser. »
Quinze millions d’électeurs sont appelés à participer à cette élection, qui se tiendra le même week-end que des municipales et, pour la première fois, des élections de gouverneurs régionaux. Prévus à l’origine début avril, ces scrutins ont été repoussés en raison du contexte sanitaire difficile que traversait le Chili.
Classe politique discréditée
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Plus de 1 300 personnes briguent un siège de constituant. Discréditée en raison de la gestion de la crise sociale et de la pandémie par le président Sebastián Piñera , la droite se présente sous un front unifié, avec la coalition Vamos por Chile. « Cela lui donne nettement plus de chances de placer des candidats au sein de la Convention que la gauche, très divisée », indique le politologue Claudio Fuentes.
Face aux partis traditionnels, une multitude d’« indépendants » postulent également à cette élection. Universitaires, représentants syndicaux ou personnalités de la télévision… Ces candidats non issus de la classe politique – qui représentent 61 % du total des candidatures, selon l’Observatoire de la nouvelle Constitution, un centre d’études auquel collaborent 16 universités chiliennes – ont pour beaucoup émergé dans la foulée du mouvement social de fin 2019, et témoignent de l’incapacité des partis traditionnels à s’emparer des revendications des manifestants. Certains indépendants ont cependant reçu l’appui de formations politiques.
« Nous avons pris note de la défiance des Chiliens envers les partis, mais nous pensons que ce processus constituant peut bénéficier de l’expérience de personnes déjà engagées en politique », défend Hernán Larraín Matte, ancien président du parti de droite Evópoli, fils du ministre de la justice. Candidat pour la coalition Vamos por Chile, il affirme vouloir « préserver certains acquis des précédentes Constitutions », mais se dit en faveur de l’inscription de nouveaux principes dans le futur texte, comme le respect de l’environnement, et plaide pour un régime moins présidentialiste.
Au sein de la Convention constituante, 17 des 155 sièges, soit 11 %, seront réservés à des représentants de communautés indigènes, pouvant uniquement être désignés par les Chiliens s’identifiant comme membres de l’un des dix peuples autochtones du pays. Pour Elisa Loncon Atileo, candidate mapuche, le principal peuple indigène du pays, ce scrutin n’est qu’un premier pas : « Nous avons été exclus de la vie politique, marginalisés ; nous allons à présent pouvoir dire : nous sommes là, nous avons notre langue, notre mémoire. »
Cette professeure de linguistique originaire de la région de l’Araucanie (sud) souhaiterait que la future Constitution reconnaisse les langues indigènes comme officielles et que le texte garantisse le principe d’Etat plurinational – un Etat qui reconnaît l’existence de plusieurs nations en son sein, comme en Bolivie.
Mécanisme de correction
Une fois élue, l’assemblée constituante aura un an pour rédiger le texte. Chaque article devra obtenir l’aval des deux tiers des constituants pour être validé, et il suffira donc d’un tiers des votes pour bloquer une proposition, ce qui pourrait limiter l’adoption de propositions ambitieuses, selon Yanira Zuñiga, professeure de droit à l’Université australe du Chili.
« Certaines candidates féministes voudraient par exemple voir les notions de “droits sexuels et reproductifs” inscrites dans la Constitution afin d’ouvrir la voie à la légalisation de l’avortement, mais il est peu probable que cette proposition recueille suffisamment d’approbations » , indique-t-elle. En début d’année, le Congrès a commencé à examiner une proposition de loi pour dépénaliser l’avortement ; actuellement, il n’est autorisé qu’en cas de viol, de risque pour la vie de la personne enceinte ou de fœtus non viable.
Conséquence de l’intense mobilisation féministe que connaît le Chili depuis 2018 : l’assemblée constituante sera paritaire, à un siège près. « Le processus chilien est le premier à inclure un mécanisme de correction si trop d’hommes sont élus par rapport au nombre de femmes, et inversement », explique Yanira Zuñiga.
Ce scrutin est aussi, dans l’histoire politique du Chili, celui qui compte le plus de candidatures issues de la communauté LGBT+, à l’image d’Emilia Schneider, transgenre et ex-dirigeante de l’un des principaux syndicats étudiants du Chili, candidate pour la coalition de gauche Frente Amplio, ou de Juan Enrique Pi, ex-président de la fondation Iguales, qui défend les droits de la communauté LGBT+, candidat indépendant à Santiago.
Dans un pays où le Congrès n’est composé que de 25 % de femmes et 2,5 % de membres de peuples autochtones et « indépendamment du résultat, le Chili a franchi un pas important avec ce processus constituant, qui implique la parité et prend en compte des voix peu entendues jusqu’ici dans la politique chilienne », souligne Yanira Zuñiga.
Aude Villiers-Moriamé
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