lundi, novembre 15, 2021

THÉÂTRE. OPÉRATION CONDOR, DES BOURREAUX ET DES HOMMES

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PHOTO JEAN-LOUIS FERNANDEZ
Condor, de Frédéric Vossier, mise en scène d’Anne Théron, dissèque jusque dans l’intime les ravages de cette guerre sans nom orchestrée par Pinochet et la CIA.

Marie-José Sirach, Strasbourg (Bas-Rhin), envoyée spéciale.

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En 1975, le général Pinochet est au pouvoir depuis deux ans à la suite d’un coup d’État qui met un terme à l’expérience d’un socialisme démocratique au Chili. Mais cela ne lui suffit pas. Les premières arrestations, les tortures, les assassinats dans son pays, rien n’assouvit sa soif d’éradiquer toute velléité révolutionnaire et syndicaliste. Il faut étendre la répression à l’échelle d’un continent. Avec l’appui des services secrets de l’Argentine, du Brésil, de la Bolivie, de l’Uruguay et du Paraguay, le soutien financier et logistique des États-Unis, l’opération « Condor » pratiquera en toute impunité une politique de terreur ciblée contre tous les opposants. La vérité éclatera en 1992 et sera confirmée en 2000, lors du déclassement des documents de la CIA concernant le Chili…

« RÉSUMÉ 
Le titre de la pièce de Frédéric Vossier fait référence à l’opération Condor : en 1975, les dictatures d’Amérique latine scellent une alliance secrète visant à l’anéantissement de toute subversion ou révolte potentielle, incarnées principalement par les mouvements ouvriers. Tortures, assassinats, seront la réponse au désir d’émancipation. Quarante ans plus tard, une femme appelle un homme au téléphone. Dès les premiers mots, on sait qu’ils se sont connus intimement. Que peut-on se dire après si longtemps ? Anne Théron met en scène une nuit de confrontation où ces deux personnages appartenant à des univers antagonistes vont se retrouver. Elle était du côté des opposant·e·s, lui a probablement été un bourreau… 
Frédéric Vossier est docteur en philosophie politique et a écrit, depuis 2005, une vingtaine de pièces, dont Ludwig, un roi sur la lune, créée au Festival d’Avignon 2016 par Madeleine Louarn. Il est aussi conseiller artistique au TNS et dirige la revue Parages. La metteure en scène Anne Théron a présenté au TNS en 2015 Ne me touchez pas dont elle est l’autrice et, en 2018, À la trace d’Alexandra Badea. En 2019, dans le cadre du programme Éducation & Proximité, elle a créé À la carabine de Pauline Peyrade. (TNS)»

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Frédéric Vossier a grandi avec la mémoire de cette histoire de ce côté-ci de l’Atlantique, quand de grands mouvements de solidarité avec les peuples d’Amérique latine étaient légion. Puis il s’est interrogé et a travaillé sur la mécanique à l’œuvre de ces politiques de terreur qui nécessitent de fabriquer des tortionnaires capables de torturer, d’assassiner de sang-froid, sans la moindre trace d’humanité. Si l’aspect historique est esquissé, Frédéric Vossier a délibérément choisi de recentrer son propos sur la mémoire traumatique. En mettant face à face, dans un huis clos terrible et oppressant, un frère – tortionnaire – et une sœur – torturée, violée –, il s’attache à éclairer la mécanique qui advient au cœur même de la cellule familiale quand les protagonistes ont choisi des chemins radicalement opposés.

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C’est la sœur qui provoque la rencontre, quarante ans après, qui pousse la porte de cet appartement-bunker aux murs gris, à l’ameublement spartiate, où vit, terré, ce frère. Elle est fébrile mais ne tremble pas, trouve la force de lui faire face, de le regarder, sans ciller. Lui est droit dans ses bottes, un brin arrogant, toujours à l’affût, une arme à portée de main. Elle est une survivante, une femme blessée à la mémoire trouée qui voudrait se défaire de ce passé qui lui colle à la peau et ne cesse de la hanter. Entre cauchemars et réalité, elle avance à tâtons, avec ses blessures intérieures comme autant de cicatrices à ciel ouvert. Lui semble figé dans le temps, même posture dominatrice que d’antan, comme si le vent de l’Histoire n’avait pas soufflé, comme si rien, à l’extérieur, n’avait bougé. Elle aussi a une arme. S’en servira-t-elle ?

Plongée dans une mémoire en lambeaux

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La confrontation, orchestrée de main de maître par la metteuse en scène Anne Théron, est d’une puissance hypnotique. Pour jouer cette partition, deux immenses acteurs, Mireille Herbstmeyer et Frédéric Leidgens. Tous deux rendent palpable l’indicible, l’inaudible. Leurs voix, leurs intonations, les mouvements de leurs corps laissent entrevoir leurs déchirures. Les fantômes de l’Histoire planent tandis que des images brouillées surgies d’un autre temps sont violemment projetées sur le mur. Condor est une plongée en apnée dans une mémoire en lambeaux et entendre cette parole-là est nécessaire. Une parole qui permettra à la sœur de quitter ce bunker et « enfin écouter le chant des oiseaux sans que celui-ci soit l’annonce d’une nouvelle journée de sévices ».

Création au Théâtre national de Strasbourg (TNS). Tournée : du 18 au 28 novembre à la MC93, à Bobigny, et du 26 au 29 avril à l’Olympia, CDN de Tours.
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