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R3CHAZO VS APRUEBO
DÉBATS CHILI / À l’approche du référendum sur la nouvelle Constitution, le Chili peut prendre un tournant historique, relèvent, dans une tribune au « Monde », les universitaires Carlos M. Herrera et Eugénia Palieraki, qui mettent en avant la portée profondément transformatrice du texte
TRIBUNE de Carlos M. Herrera Juriste et Eugénia Palieraki Historienne
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Une Constitution est un artefact complexe, à la fois reflet de son temps et promesse normative pour l’avenir. Il s’agit invariablement d’un compromis entre diverses visions, même lorsque le texte exprime une conception homogène ou qu’il s’inscrit dans une révolution triomphante. Toute Constitution est plus qu’une feuille de papier : sa signification va au-delà du texte et elle est souvent activée par d’autres canaux, législatifs ou sociaux.
C’est à la lumière de ces postulats que nous pouvons analyser la proposition de Constitution élaborée par l’Assemblée constitutionnelle chilienne, et qui sera soumise le 4 septembre au plébiscite des citoyennes et citoyens du pays.
Le processus constituant ayant débouché sur ce projet a été le plus démocratique de l’histoire du Chili, pays où le dynamisme des secteurs populaires a souvent contrasté avec le conservatisme institutionnel. En octobre 2019, une mobilisation populaire aux dimensions et à la radicalité inédites a demandé l’abrogation de la Constitution en vigueur, rédigée en 1980, sous la dictature militaire.
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Un an plus tard, en octobre 2020, les citoyens se sont exprimés massivement par référendum en faveur de la rédaction d’une nouvelle Constitution, soutenant à l’occasion l’option la plus démocratique proposée pour sa rédaction : une Convention constituante paritaire dont les membres seraient désignés à l’issue d’élections organisées à cet effet. Elles ont donné une large victoire à des acteurs et des groupes jusqu’alors absents, dans leur majorité, de la vie parlementaire chilienne, mais qui se trouvaient étroitement liés aux mouvements sociaux en plein essor depuis quelques années. En effet, 66 % ont été élus sur des listes indépendantes des partis traditionnels. La Convention a ainsi été marquée par la présence de nouvelles forces, aux idées clairement progressistes.
De grandes avancées
De nombreuses controverses ont accompagné le fonctionnement de l’assemblée, les médias et les partis traditionnels critiquant, non sans mauvaise foi, la qualité de ses propositions ou le retard pris quant aux délais initiaux. Mais la Convention a élaboré un texte présenté en juillet dernier qui, avec ses ombres et ses lumières, exprime de très grandes avancées en droit constitutionnel. En particulier, le projet fait écho à l’évolution du droit constitutionnel contemporain, que ce soit avec le constitutionnalisme « normatif » apparu après la seconde guerre mondiale (définition de l’Etat de droit social et démocratique, spécialisation d’une cour constitutionnelle, une vision garantiste des droits) ou avec le nouveau constitutionnalisme latino-américain (reconnaissance du « bien vivre », des droits de la nature, du pluralisme juridique, etc.) – innovant même dans certaines définitions (« république solidaire »), institutions (le défenseur de la nature) ou sujets (droits de la neurodiversité, droits numériques, etc.).
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En outre, le texte rompt avec la matrice néolibérale de la Constitution de 1980, laissée intacte par les réformes ultérieures, y compris la « Constitution de 2005 » qui a effacé des séquelles de l’autoritarisme institutionnel hérité de la dictature. Il le fait à travers une reconnaissance étendue – comme jamais auparavant dans l’histoire du Chili – des droits sociaux, par exemple en matière de logement, d’éducation, de pensions, de santé, etc. Et du caractère obligatoire des services publics. Certes, il néglige d’autres techniques constitutionnelles d’intervention de l’Etat dans l’économie, telles les nationalisations, mais il reconnaît que la propriété privée peut remplir une fonction sociale et écologique.
La crainte du rejet
Les Constitutions entretiennent un rapport complexe avec la transformation sociale. En dernière instance, elles fonctionnent soit comme un frein, soit comme un véhicule de changement. Il ne fait aucun doute que le texte proposé aux citoyens chiliens s’inscrit dans la seconde perspective. Il s’agit d’une structure normative qui lance un (nouveau) processus de changement, le laissant ouvert, plutôt qu’elle ne couronne normativement des changements déjà effectués. Quelles que soient ses limites, ce projet de Constitution porte les marques du processus qui l’a initié : la révolte populaire d’octobre 2019. Cela transparaît dans le caractère paritaire et plurinational de son élaboration, où ont activement participé collectifs féministes et peuples autochtones, qui ont donné un caractère novateur à nombre de ses énoncés.
À moins d’une semaine du référendum d’approbation, le Chili vit un moment historique. Le pire scénario serait le rejet de la nouvelle Constitution. Les partisans du « non » ont mobilisé des arguments divers, allant de la revendication de la dictature d’Augusto Pinochet à la crainte suscitée par la radicalité de certains articles. En tout état de cause, le rejet ferait reculer considérablement les attentes démocratiques éveillées lors des grandes mobilisations de 2019. Les partis qui composent le gouvernement du président actuel, Gabriel Boric, et qui ont soutenu les travaux de la Convention constitutionnelle essayent d’inverser la tendance défavorable reflétée dans les sondages.
Aussi, les partis de gouvernement ont souscrit un document par lequel ils s’engagent, si la Constitution est approuvée, à adoucir les cinq points qui dérangent tout particulièrement les classes dirigeantes (pluralité, droits sociaux, sécurité, système judiciaire, système politique). Mais le slogan de ces partis au pouvoir, « approuver pour réformer », comporte un vrai risque : celui de réduire la portée transformatrice et démocratique de la Constitution, en conférant au Congrès la mission d’arrêter le texte définitif, alors qu’il n’a pas été élu pour cette tâche. Si cette voie est empruntée, les caractéristiques de la classe politique chilienne font craindre un recul en termes de participation et de décision démocratiques.
Mais si la proposition élaborée par la Convention est approuvée, cela représentera non seulement une avancée indéniable dans la protection des secteurs sociaux les plus fragiles de la société chilienne, mais aussi une véritable rupture par rapport à l’ordre existant. Nous l’avons dit : les normes constitutionnelles ne sont pas la transformation en soi ; elles représentent un nouveau point de départ, à travers un ensemble d’outils spécifiques, pour une lutte renouvelée en faveur de l’égalité et de la liberté.
Carlos M. Herrera, juriste, est spécialiste en droit constitutionnel comparé ; Eugénia Palieraki, historienne, est spécialiste de l’Amérique latine. Ils enseignent à CY Cergy Paris Université. / Carlos M. Herrera (Juriste) et Eugénia Palieraki (Historienne)
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