lundi, août 29, 2022

NOUVELLE CONSTITUTION DU CHILI: «SI LE “NON” L’EMPORTE, CE NE SERA PAS LA FIN, LE PEUPLE N’ABANDONNERA PAS LA LUTTE»

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PHOTO JAVIER TORRES / AFP

Interview / Nouvelle Constitution du Chili: «Si le “non” l’emporte, ce ne sera pas la fin, le peuple n’abandonnera pas la lutte»
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 LIBÉRATION

Elisa Loncon, première présidente de l’Assemblée constituante chilienne et militante Mapuche pour les droits des peuples autochtones, était à Paris, jeudi, pour défendre le projet de loi fondamentale, soumis à référendum dimanche prochain, et dont l’issue paraît incertaine.

par Samuel Ravier-Regnat 

ELISA LONCON ANTILEO. YANN LEGENDRE

«C’est un moment décisif pour notre peuple, pour notre pays, et pour le monde entier.» Devant la cinquantaine de compatriotes et de sympathisants venus à sa rencontre sur une péniche du port de la Rapée à Paris, Elisa Loncon rappelle l’importance majeure du référendum constitutionnel qui se tiendra au Chili le 4 septembre. La première présidente de l’Assemblée constituante, installée dans la foulée de «l’estallido», le puissant mouvement social qui a bouleversé son pays en 2019, sait que l’heure est grave.

APRUEBO

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Selon les derniers sondages publiés avant la fin officielle de la campagne référendaire, le «Rechazo» (c’est-à-dire le rejet de la nouvelle Constitution, censée remplacer la loi fondamentale actuellement en vigueur et héritée du dictateur Augusto Pinochet) est donné gagnant avec une dizaine de points d’avance. Le président de gauche Gabriel Boric a lui-même pris quelques distances avec le texte en s’engageant à y apporter des changements si celui-ci était finalement adopté. De passage express à Paris, après avoir participé au festival Agir pour le vivant d’Arles, la première femme Mapuche à occuper une fonction politique aussi élevée au Chili retrace les enjeux historiques du scrutin de dimanche.

ELISA LONCON  À PARIS POUR LE BANDERAZO  "APRUEBO"

Six jours avant le référendum, les sondages prévoient une victoire du Rechazo. Avez-vous encore espoir que la nouvelle Constitution soit approuvée ?

Oui, bien sûr. Les sondages représentent seulement un fragment de la population. Ils invisibilisent le poids de certains groupes, comme les jeunes qui s’apprêtent à voter pour la première fois. L’option du changement est toujours mal mesurée par les sondeurs quand le peuple est appelé aux urnes après des mouvements sociaux de masse. L’année dernière, certains sondages ont annoncé une victoire du candidat d’extrême droite José Antonio Kast contre Gabriel Boric. Ça ne s’est pas passé comme ça. Je suis donc confiante.

Malheureusement, il y a eu une campagne massive en faveur du «non» sur les réseaux sociaux et dans les grands médias du pays. Celle-ci a été financée par la droite conservatrice et l’élite économique du pays, à coups de millions de pesos. De très nombreuses fausses nouvelles ont circulé, qui ont empêché la tenue d’un véritable débat sur l’avenir du pays, d’autant que le temps de la campagne référendaire – deux mois – était relativement court. Mais la réflexion sur notre démocratie et nos institutions a commencé depuis longtemps déjà. Elle s’est déployée tout au long du processus constituant et, déjà, au moment du mouvement social de 2019.

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Quelles seraient les conséquences pour le Chili d’une victoire du Rechazo ?

Nous ne sommes pas dans cette optique-là. Nous pensons que le contenu du projet de Constitution correspond aux attentes du peuple chilien qui s’est mobilisé pendant le mouvement social de 2019 et plus tôt encore en ce qui concerne les peuples autochtones. Ce projet cherche à garantir un certain nombre de droits sociaux, à commencer par le droit à l’éducation, à la retraite, à la santé. Il définit le Chili comme un Etat de droit, social, démocratique, plurinational, interculturel, et aussi régional et écologique. Il instaure une égalité réelle, reconnaît la dignité de chacun, et l’interdépendance entre tous les êtres humains et entre ces derniers et la nature. De ce fait, la victoire au référendum serait une nouvelle étape dans l’approfondissement de la démocratie chilienne. Si le Rechazo l’emporte, cependant, ce ne sera pas la fin du débat. Nous continuerons à défendre les idées qui sont les nôtres, en matière de parité, de droits des peuples autochtones et de droits de la nature. Le peuple chilien n’abandonnera pas la lutte. Nous voulons lui redonner de l’espérance.

Le débat politique se focalise notamment autour de la question des peuples autochtones, que vous connaissez bien, vous qui êtes une femme mapuche et qui avez lutté depuis des années pour la restitution des terres aux indigènes. Comme vous l’avez dit, le projet de Constitution prévoit de reconnaître l’existence d’un État plurinational. Qu’est-ce que cela pourrait changer concrètement ?

Cela permettrait d’améliorer la coexistence avec les peuples autochtones du Chili, qui est le pays le plus en retard en matière de protection des droits de ces peuples. Notre existence n’a jamais été reconnue dans une Constitution. Nous nous réjouissons donc des avancées proposées par le texte. Il s’agit d’ailleurs seulement d’une inscription dans nos lois de droits déjà garantis par des traités internationaux signés par des gouvernements précédents mais jamais mis en pratique. Autre chose : pour la première fois, nous, peuples autochtones, avons été convoqués pour écrire la Constitution.

Auparavant, nous avions toujours été exclus de la prise de décision politique. C’est un autre signe de renforcement démocratique, car la démocratie ne peut pas se construire sur l’oppression d’autres peuples. Elle doit être plurielle et reconnaître les droits de tous.

Chili

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 RÉFÉRENDUM SUR LA NOUVELLE CONSTITUTION
CHILI 4S 2022 « J'APPROUVE »