vendredi, janvier 06, 2023

L'AMÉRICAIN BORIS WEISFEILER, FANTÔME DE LA DICTATURE DE PINOCHET, RÉAPPARAÎT DANS UN LIVRE


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PHOTO BBC
Dans Boris, 1985, l'écrivaine franco-suisse Douna Loup part sur les traces de son grand-oncle, figure familiale lointaine mais omniprésente, disparue en janvier 1985 au Chili.
COUVERTURE DE 
«Boris, 1985»
Dans Boris, 1985, publié vendredi aux éditions Zoé, l'écrivaine franco-suisse Douna Loup part sur les traces de cette figure familiale lointaine mais omniprésente. Né en Union soviétique, Boris Weisfeiler s'est exilé aux États-Unis en 1975, où il a été naturalisé quelques années plus tard. Devenu professeur de mathématiques à l'Université de Pennsylvanie, il disparaît mystérieusement lors d'une randonnée dans le sud du Chili, alors sous le joug de la dictature d'Augusto Pinochet (1973-1990). «L'histoire de Boris, c'est une petite histoire dans la grande», assure l'autrice de quarante ans dans un entretien à l'AFP. Il aura fallu une journée de janvier 2018 pour que Douna Loup, qui a déjà publié deux romans, s'empare du sujet.

BORIS WEISFEILER, PHOTO ARCHIVE OLGA WEISFEILER

Alors qu'elle écoute la chanson Vino del Mar écrite en hommage à la dirigeante communiste Marta Ugarte, torturée et exécutée par la police secrète de la dictature de Pinochet en 1976, le prénom de Boris lui vient «immédiatement en tête».


« VINO DEL MAR», PARU LA PREMIÈRE FOIS DANS L'ALBUM « LUGARES COMUNES » DE 2002 CHEZ WARNER MUSIC GROUP. LE THÈME  «VINO DEL MAR» EST UN TEXTE D'HOMMAGE À MARTA UGARTE, DE PATRICIO MANNS. L’ARRANGEMENT ET COMPOSITION MUSICALE DE LA CHANSON EST L’OEUVRE DE PATRICIO MANNS ET MANUEL MERIÑO POUR LE GROUPE  INTI-ILLIMANI.  CETTE VERSION « LIVE » EST PRÉSENTÉ PAR PATRICIO MANNS LORS DU CONCERT DU GROUPE  INTI-ILLIMANI DANS LE « COURT CENTRAL  » DE SANTIAGO DU CHILI.  
DURÉE : 00:05:32    

«Insaisissable»

Mais de lui et de sa vie, l'autrice ne sait rien. À la fois récit intime et travail d'enquête nourri de documents déclassifiés, témoignages et extraits des carnets personnels de son oncle, le livre plonge le lecteur dans la vie de cet homme, seul Américain à figurer parmi les quelque 3200 personnes mortes ou disparues sous la dictature chilienne.

Le point de départ ? Boston, où vit Olga, la sœur de Boris. C'est elle qui a mené le combat pour faire la lumière sur cette disparition, dont l'enquête a été classée sans suite par un juge chilien en 2016, faute de preuves. États-Unis, Chili, Russie: entre janvier 2018 et mars 2020, Douna Loup enquête, interroge membres de la famille, ex-compagne et amis de Boris Weisfeiler. Si le fil conducteur du livre ne lui apparaît pas encore clairement à ce moment-là, reste son envie de raconter la vie de cet oncle dont la trace a été perdue quand il avait 44 ans, et qu'elle a longtemps jugé «insaisissable». Au fil des témoignages se dessine un homme brillant, solitaire et passionné par la randonnée. À une condition: qu'elle se fasse dans des endroits reculés, loin de tout et de tous. «Raconter sa vie, son parcours, c'est une façon de lui rendre hommage», confie la romancière, qui dit regretter que l'histoire de son grand-oncle se soit, jusque-là, uniquement racontée par le prisme du fait divers, ce «qu'il n'est pas», assure-t-elle.

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Au Chili, elle a sondé des habitants ayant vécu la dictature et ses horreurs, façon d'ancrer l'histoire de Boris Weisfeiler dans la tragédie traversée par ce pays d'Amérique du Sud. Mais le propos de Douna Loup ne s'arrête pas là. Jusqu'au bout de son enquête, elle a tenté d'en savoir plus sur la mort de ce «fantôme» familial. Selon des documents déclassifiés, Boris Weisfeiler aurait été enlevé par les forces de sécurité chiliennes qui l'auraient remis à une secte religieuse pro nazie basée à proximité. Cette secte, c'est la «Colonia Dignidad», lieu de tortures et d'abus sexuels fondé et utilisé durant la dictature d'Augusto Pinochet. «Aujourd'hui, avec le recul, je crois qu'on ne saura jamais ce qu'il s'est passé», confie-t-elle. À défaut d'obtenir la vérité, «j'ai l'espoir de contribuer à la paix d'Olga et celle de ma famille et, pourquoi pas, à celle des familles de victimes de la dictature».

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