mardi, avril 25, 2023

HARRY BELAFONTE, CHANTEUR, ACTEUR ET ACTIVISTE CONTRE LA SÉGRÉGATION AUX ÉTATS-UNIS, EST MORT

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BELAFONTE, MUSICIEN, ACTEUR ET ACTIVISTE, EST DÉCÉDÉ
MARDI DE UNE INSUFFISANCE CARDIAQUE CONGESTIVE 
À SON DOMICILE DE NEW YORK. IL AVAIT 96 ANS.
AP PHOTO/VICTORIA WILL

Le charismatique chanteur et comédien, soutien de Martin Luther King dans la lutte pour les droits civiques aux États-Unis, est mort mardi 25 avril à 96 ans.

Par Eric Delhaye

HARRY BELAFONTE

Alors que sa mère venait de rentrer avec un air plus mélancolique que les soirs précédents, le garçon lui demanda ce qui n’allait pas. « Jamais, dans ta vie, ne vas te coucher alors que tu aurais pu faire quelque chose pour combattre l’injustice, et que tu ne l’as pas fait », lui rétorqua la jeune femme. Harry Belafonte, qui n’avait que 7 ans, ne comprit pas bien de quelle injustice elle voulait parler. Mais, au fond de lui, il se sentit investi d’une mission.

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C’est cette mission que Harry Belafonte, mort à 96 ans mardi 25 avril, poursuivra, trente ans plus tard, à la télévision américaine. Devenu une vedette de la musique et du cinéma, il partage une table ronde avec Marlon Brando, Charlton Heston, Sidney Poitier, l’écrivain James Baldwin et le réalisateur Joseph L. Mankiewicz. Ce 28 août 1963, tous ont participé à la Marche sur Washington pour l’emploi et la liberté, au cours de laquelle Martin Luther King a prononcé son célèbre « I have a dream », devant 250 000 manifestants réunis à l’appel du Mouvement des droits civiques. Quand vient son tour, Harry Belafonte captive soudain l’auditoire avec la solennité qui sied aux journées historiques : « Si je lutte pour les droits civiques, c’est parce que j’ai hérité cette volonté de ma mère et de mon père, qui eux-mêmes l’ont héritée de leurs parents. Me retrouver à Washington, aujourd’hui, est le résultat de plusieurs générations d’Afro-Américains qui ont tenté de réveiller les consciences face aux suprémacistes blancs et aux forces supérieures ayant privé les Noirs de leurs droits depuis si longtemps. Être à Washington, aujourd’hui, est le climax de plusieurs générations d’espoirs. » Le chanteur et comédien vient de disparaître. On retiendra surtout qu’il fut un leader charismatique dont le discours engagé n’a pas dévié au fil des années.

De l’armée au troubadour

Harold George Bellanfanti Jr est né en 1927 dans un modeste foyer new-yorkais, d’un père [est d'origine jamaïcaine et néerlandaise * et d’une mère jamaïcaine, chacun métis de sangs africain et européen. Après avoir vécu sept ans chez sa grand-mère en Jamaïque, il s’engage dans la Navy alors qu’il n’est pas encore majeur, pour participer à la Seconde Guerre mondiale. Mais le retour au pays, trois ans plus tard, est amer : même quand il s’agit de célébrer la victoire, les Noirs sont traités comme des soldats de seconde classe. Déboussolé et ne sachant que faire de sa vie, le jeune homme trouve sa voie dans un sous-sol de Harlem où loge l’American Negro Theater, une troupe communautaire qui comprend Sidney Poitier dans ses rangs. Harry Belafonte y est engagé pour nettoyer la salle, bien avant de monter sur scène. Jusqu’au jour où le théâtre reçoit la visite de Paul Robeson, un célèbre acteur et chanteur qui milite contre la ségrégation et ne cache pas ses sympathies communistes, au point de devenir une bête noire de l’administration américaine. « Les artistes sont les gardiens de la vérité », déclare-t-il à l’apprenti comédien. Ce jour-là, Paul Robeson se transforme en mentor pour Harry Belafonte qui est de trente ans son cadet.

Harry Belafonte manifeste contre la ségrégation en 1960.

 HOMMAGE À PAUL ROBESON 
BELAFONTE - DONT LES CONVICTIONS
 POLITIQUES ONT ÉTÉ GRANDEMENT
INSPIRÉES PAR SON AMI
ET MENTOR, PAUL ROBESON

À l’American Negro Theater, Harry Belafonte finit par décrocher le rôle d’un troubadour qui chante le répertoire folk de Woody Guthrie et Leadbelly. Après les représentations, le comédien prolonge souvent la nuit au Royal Roost, un club de Broadway où il écoute Miles Davis et Charlie Parker, en compagnie de son ami Marlon Brando, qui suit le même cours de comédie. Il y fait la connaissance du saxophoniste Lester Young qui, après l’avoir entendu dans son rôle de troubadour, le pousse vers la carrière de chanteur dont il ne veut pas entendre parler. Mais il a besoin d’argent, et le directeur du Royal Roost lui donne sa chance. Pour sa première, avec un groupe qui compte Miles, Parker et Max Roach, Harry Belafonte est chaleureusement applaudi. Mais il doute encore de ses capacités. Alors qu’il quitte le club et marche vers downtown, il passe devant un club de Greenwich Village où Woody Guthrie et Leadbelly se produisent. En les découvrant sur scène, Harry Belafonte comprend qu’ils ne sont pas des grands chanteurs, mais que leur charisme emporte le public. Convaincu qu’il peut en faire autant, il se jette alors dans le folk avec la conviction qu’il pourra ainsi toucher le plus grand nombre, et faire en sorte que son expression artistique devienne un mécanisme social comme chez ses modèles Brecht, Steinbeck et Neruda.

« Je suis l’un des plus grands acteurs au monde. La preuve ? Je fais croire à tout le monde que je suis chanteur ! »

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« Banana Boat Song Day O » Harry Belafonte 
 

Quelques années plus tard, quand Marlon Brando lui demande de se définir comme artiste, Harry Belafonte répond : « Je suis l’un des plus grands acteurs au monde. La preuve ? Je fais croire à tout le monde que je suis chanteur ! » Entertainer dans la grande tradition américaine, il est inclassable. Tête d’affiche au cinéma dans Carmen Jones (1954), d’Otto Preminger, il rencontre aussi le succès avec son troisième disque, Calypso (1956), un recueil de chansons trinidadiennes et jamaïcaines où figure le tube Day O (Banana Boat Song), premier album de l’histoire vendu à plus d’un million d’exemplaires. Le public américain découvre alors le calypso, auquel Harry Belafonte sera loin de se cantonner puisqu’il interprétera tout le Great American Songbook et présentera au public des artistes étrangers comme Miriam Makeba et Nana Mouskouri. Il chanta même le gospel alors qu’il trouvait ses références chez les philosophes. « Docteur King était plus socialiste que je n’étais religieux », disait-il au sujet de son ami Martin Luther King, dont il a soutenu le combat, financièrement notamment, dès les années 1950. Alors que Charlton Heston est devenu, avec le temps, un militant anti-avortement et pro-armes, Harry Belafonte a obstinément engagé sa notoriété au profit des mêmes combats : pour les droits civiques, contre l’apartheid en Afrique du Sud, pour John F. Kennedy, contre l’embargo à Cuba, contre George W. Bush, pour Bernie Sanders. On se souviendra aussi qu’il fut à l’initiative du supergroupe à vocation humanitaire USA for Africa, dont la chanson We Are the World, écrite par Michael Jackson et Lionel Richie en 1985, s’est vendue à plus de 20 millions d’exemplaires.

Depuis quelques années, Harry Belafonte se déplaçait avec une canne qui était un accessoire supplémentaire de son élégance. Sa beauté ne l’aura jamais abandonné, pas plus que son esprit acéré. Alors qu’il fut un poison constant pour l’administration de son pays, il exprimait la volonté que son épitaphe soit ainsi rédigée : « Harry Belafonte, patriote. »

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