mardi, septembre 26, 2023

ÉPISODE 2/4 : L’INDÉPENDANCE CHILIENNE, "PAR LA RAISON OU PAR LA FORCE" ?

 [ Cliquez sur l'image pour l'agrandir ]

LA BATAILLE DE CHACABUCO, TOILE DE PEDRO SUBERCASEAUX,
1908  ©GETTY - DEAGOSTINI

  [ Pour écouter, cliquez ici ! ]

RFI - RADIO FRANCE CULTUREE,
SÉRIE « CHILI, HISTOIRE DE RÉVOLTES »
L’INDÉPENDANCE CHILIENNE, "PAR LA RAISON OU PAR LA FORCE" ?
« LE COURS DE L'HISTOIRE » PAR XAVIER MAUDUIT
DIFFUSION MARDI 26 SEPTEMBRE 2023

Série « Chili, histoire de révoltes »/   De 1810 à 1823, les indépendantistes chiliens combattent pour s’affranchir de l’Empire espagnol. L'indépendance est proclamée le 12 février 1818. Comment des descendants de migrants européens ont-ils construit un État-Nation ? À qui l’indépendance a-t-elle profité ?

Épisode 2/4 : L’indépendance chilienne, "par la raison ou par la force" ?


Avec 
  • Enrique Fernández Domingo Professeur d’histoire contemporaine d’Amérique Latine à l’Université Paris 8 Vincennes-Saint Denis, directeur adjoint du Laboratoire d’Études Romanes,

Qui pour incarner le Chili indépendant ? C’est San Martin à la guerre ou San Martin reprend le combat ; ce sont les criollos qui s’envoient un bourbon et O’Higgins qui débouche un magnum pour fêter l’indépendance. D’ailleurs, combien d’indépendances au Chili, en 1810 ou en 1818 ? Et combien de patries, une vieille et une nouvelle ! L’histoire d’une lutte pour l’indépendance et pour la construction d’une nation, avec pour ligne de mire un peuple uni, afin qu’il ne soit jamais vaincu !

Les germes de l'indépendance

En 1808, la monarchie espagnole est ébranlée par l’invasion des troupes napoléoniennes. L’empereur français profite de l’instabilité de la famille royale et obtient l’abdication du roi Ferdinand VII. À la place du Bourbon, Napoléon fait monter sur le trône son frère Joseph. Le peuple espagnol ne reconnaît pas ce roi "usurpateur" et des Juntes locales de gouvernement essaiment dans les provinces du pays.

L’événement a un retentissement dans les territoires de l’Empire espagnol de l’autre côté de l’Atlantique. Les criollos, descendants des colons européens nés en Amérique, aspirent à de plus en plus d’autonomie vis-à-vis de la Couronne. Le Royaume du Chili n’est pas épargné par ce vent de liberté et les notables de Santiago profitent de la vacance du pouvoir pour instaurer une Junte nationale de Gouvernement le 18 septembre 1810. Ainsi débute la Patria Vieja – Vieille Patrie – première phase d’un processus d’indépendance qui ne porte pas encore ce nom.

Les élites chiliennes sont divisées entre les loyalistes, fidèles à la Couronne, et les patriotes, partisans de l’autodétermination. "Les criollos qui conduisent le processus d’indépendance appartiennent à la jeune génération", décrit l'historien Enrique Fernández Domingo. "Ils se connaissent, partagent la même formation dans les universités coloniales et ont accès à la littérature politique. (…) Il y a une circulation d’idées, de discours, de vocabulaire et une sociabilité qui aboutissent à l’idée qu’ils sont des sujets d’Amérique, différents des sujets européens, dits peninsulaires." Toutefois, en 1811, ces idées politiques sont minoritaires.

Une indépendance de longue lutte

Les troupes royales ripostent et remportent la bataille de Rancagua le 2 octobre 1814, ce qui pousse à l’exil près de 3000 Chiliens, dont le général Bernardo O'Higgins. La "reconquête espagnole", comme l'appelle le récit national chilien, est lancée. Réfugiés à Mendoza de l’autre côté des Andes, les Chiliens s’allient aux Argentins pour continuer à combattre la domination espagnole et forment l’armée des Andes derrière le leader argentin José de San Martín, qui a mené son pays à l’indépendance en 1816. Les troupes de libération triomphent des Espagnols le 12 février 1817 lors de la bataille de Chacabuco. Dans la foulée, Bernardo O’Higgins est nommé "directeur suprême" et le Chili entre dans la dernière phase de son indépendance, la Patria Nueva – Patrie nouvelle.
 
La construction du sentiment national chilien

Un an après la victoire de Chacabuco, Bernardo O’Higgins proclame l’indépendance du Chili le 12 février 1818. La guerre contre les troupes royalistes se poursuit et les victoires renforcent l’indépendance. Néanmoins, la période politique reste troublée par les luttes de pouvoir intestines. En janvier 1823, Bernardo O’Higgins est poussé à la démission et s’exile au Pérou. Ce n’est qu’en 1864, vingt-deux ans après sa mort, que sa dépouille est rapatriée au Chili, à l’heure de la construction de l’identité nationale qui le réhabilite et l’érige en icône nationale et père fondateur de la patrie aux côtés de José Miguel Carrera, José de San Martín et Diego Portales. À l'inverse, le roman national chilien efface de l'histoire le rôle des esclaves et des "libres de couleur" qui ont combattu dans les troupes de libération.

"Il y a un paradoxe pour les criollos, qui se disent qu’ils existent en tant que nation depuis la nuit des temps, alors qu’ils n’ont pas toujours été là, (avant la colonisation). Alors ils se demandent comment articuler ça", remarque Enrique Fernández Domingo. Pour l'historien, les descendants des conquistadors ancrent leur identité dans l'idée qu'en tant qu'Européens, ils ont apporté la civilisation et le progrès.

Le sentiment national n’est en effet pas une évidence pour le Chili, qui abrite une population culturellement hétérogène. Les valeurs de la classe dominante sont transmises par l’école et l’armée, et s’appuient sur des souvenirs, et des ennemis, communs : la combat pour l’indépendance, la "pacification" de l’Araucanie et enfin la lutte contre les pays voisins, le Pérou et la Bolivie, pendant la guerre du Pacifique. Victorieux dans ses entreprises impérialistes, le Chili renforce ainsi son sentiment d’exception nationale.

Pour aller plus loin

Enrique Fernández Domingo, Xavier Tabet (éd.), Nation, identité et littérature en Europe et Amérique latine : XIXe-XXe siècles, L'Harmattan, 2013
Enrique Fernández Domingo, El nacimiento de la cultura política de la nación en el Río de la Plata y Chile (1808-1818), Institución Fernando El Católico, 2011 (en espagnol - La Naissance de la culture politique de la nation dans le Río de la Plata et au Chili)

Références sonores

36 variations sur El pueblo unido jamas sera vincido par le compositeur Frederic Rzewski et interprété par Christopher Hinterhuber, 2012
Archive de la fiction radiophonique Napoléon en Espagne, le guet-apens de Bayonne dans l'émission Au fil de l'histoire, France Inter, 13 mai 2008
Archive de Raymond Ronze, historien, à propos de Ambrosio O'Higgins, père de Bernardo O'Higgins, Heure de culture française, 14 mars 1960
Extrait du film Revolución: El cruce de los Andes de Leandro Ipiña, 2010, voix française : Raphaël Laloum
Canto a Bernardo O'Higgins interprété par Silvia Infantas y Los Baqueanos
Lecture par Thomas Beau d'un extrait de la Déclaration d'indépendance du Chili, datée du 1er janvier 1818 et proclamée le 12 février 1818, traduction Pierre-Armand Dufau
Lecture par Thomas Beau d'un extrait de la Constitution du Chili de 1833, version de 1893
Musique du générique : Gendèr par Makoto San, 2020