dimanche, septembre 10, 2023

CHILI : NINO VASQUEZ, L’ART EN MÉMOIRE DES CRIMES DE PINOCHET

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UNE DE L'HUMANITÉ MAGAZINE
N° 870 DU 24 SEPTEMBRE 2023

Chili : Nino Vasquez, l’art en mémoire des crimes de Pinochet/ 
Trio Memorial jongle entre théâtre, musique et poésie pour restituer la parole et les luttes populaires chiliennes. Un travail de passeur pour Nino Vasquez, essentiel pour penser la rupture démocratique du 11 septembre 1973.

Lina Sankari, Santiago (Chili), envoyée spéciale

4 min

NINO VASQUEZ

Traditionnellement, la cueca se danse en couple. Elle figure avec malice le jeu amoureux. Âgé de 15 ans en 1988, Nino Vasquez est profondément marqué par ces femmes du peuple qui effectuent seules leur chorégraphie avec un tissu blanc pour signifier le partenaire disparu.

ILLUSTRATION KATIA ODARTCHENKO

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Le jeune homme vit alors à Cerrillos, en périphérie de Santiago du Chili, où la répression de la dictature militaire est particulièrement « féroce contre les ouvriers ». En 1979, le pays andin vit toujours sous le joug du général Augusto Pinochet et la cueca est décrétée danse officielle. En un savant contrepied, le peuple s’en empare pour la transformer en art de la révolte et de la lutte contre la junte.

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Nino Vasquez, lui, ne cessera plus de virevolter. « J’ai commencé à chanter dans les bus alors que c’était interdit pendant la dictature. En plus d’être un moyen de lutter contre le chômage, il s’agissait d’user les paroles pour faire réfléchir notre peuple et transformer un véhicule de transport en véhicule de communication », s’amuse-t-il aujourd’hui. On comprend mieux les réticences des militaires quand l’adolescent entonne Que dirá el santo padre, de l’icône populaire Violeta Parra, qui dénonce l’attitude complaisante du Vatican face aux dictatures d’extrême droite en Amérique latine.

Jusqu’en 2007, la police réprime les chanteurs populaires

Il chantonne aussi El aparecido de Víctor Jara, l’artiste communiste assassiné par la junte au lendemain du coup d’État de 1973, qui narre l’histoire d’un homme persécuté pour ses idées. À la tête du syndicat des artistes de rue du Chili, Nino Vasquez aura toutefois dû se battre jusqu’en 2007, dix-sept ans après la chute de la dictature, pour que la police cesse de réprimer ces chanteurs populaires. « La musique est totalement antidictatoriale. Elle est l’incarnation même de la liberté ! » plaide-t-il.

En 2009, lors de l’enterrement solennel de Victor Jara, trente-six ans après sa mort, Nino Vasquez se voit confier par la veuve du compositeur la responsabilité de chanter toute la nuit. « Victor continue de vivre en nous. Cet art comme militance, c’est merveilleux », dit-il.

Fondateur du Trio Memorial, un collectif politique et culturel d’une douzaine de musiciens, chercheurs, poètes, conteurs, acteurs et danseurs, en lien avec l’Association des proches d’exécutés politiques (Afep), Nino Vasquez s’emploie à faire vivre la mémoire à travers différentes formes artistiques. « Nous avons interviewé ceux qui ont vécu l’Unité populaire, qu’ils aient été architectes, professeurs, du monde de la culture ou femmes de ménage ». En vue du cinquantenaire, la troupe restituera ces paroles avec le projet « 50 Ans de vie et de résistance »1.

« Nous ne concevons l’art que parmi les travailleurs, comme une transmission de leur histoire. »

Nino Vasquez, fondateur du Trio Memorial

La troupe prévoit également un concert intitulé Il canto con reposta, en octobre, « pour ne pas tourner la page et montrer que la mémoire est éternelle et ne vit pas seulement lors des dates officielles. Faire cela un 11 septembre reviendrait en quelque sorte à célébrer la mort. Or la mort n’est pas un spectacle ». Nino Vasquez se définit comme un travailleur de la culture plutôt que comme un artiste : « Un jour, Victor Jara a défini l’artiste populaire comme celui qui était à l’intérieur du mouvement populaire. Nous ne concevons l’art que parmi les travailleurs, comme une transmission de leur histoire. »

Les entretiens sont accessibles sur le site www.triomemorial.cl ↩︎

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DESSIN PATRICIO PALOMO

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