jeudi, août 29, 2024

CET ENFANT INCA SACRIFIÉ AU CHILI N'EST PAS MORT PAISIBLEMENT, COMME ON LE CROYAIT JUSQU'ICI

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UNE PHOTO DE LA RÉPLIQUE DE LA MOMIE DE PLOMO EXPOSÉE AU MUSÉE NATIONAL
D'HISTOIRE NATURELLE DE SANTIAGO, AU CHILI. PHOTO PRISE LE 24 MAI 2009.
PHOTO JASON QUINN
Sciences/Monde / Cet enfant inca sacrifié au Chili n'est pas mort paisiblement, comme on le croyait jusqu'ici / Les chercheurs pensaient que le garçon avait été endormi avant d'être placé dans une tombe glacée. Il aurait en fait subi un traumatisme crânien. / Découverte en 1954, l'emblématique momie de Plomo –un enfant de 8 ans retrouvé en position assise, serrant ses genoux– a été étudiée par les archéologues des décennies durant. Ce jeune inca du Cerro El Plomo, une montagne chilienne, a été sacrifié rituellement il y a plus de 500 ans, avant d'être conservé sous forme de momie congelée.

Elias Insa dans Slate

Temps de lecture: 2 minutes - Repéré sur The Independent

GARÇON MOMIFIÉ DE LA COLLINE
 EL PLOMO /  MUSÉE NATIONAL
 D'HISTOIRE NATURELLE DU CHILI

Auparavant, les chercheurs pensaient que le garçon avait été nourri de substances narcotiques, endormi, puis placé dans sa tombe glacée où il aurait succombé à l'hypothermie. Le bambin ne serait finalement pas mort «paisiblement» mais après un violent coup porté à sa tête, révèle une nouvelle étude relayée par le quotidien britannique The Independent.

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« DANIEL JADUE GRAN SEÑOR »
RUMBA POR LA LIBERTAD DE DANIEL JADUE

RUMBA POR LA LIBERTAD DE DANIEL JADUE
TEXTO CANCIONERO POPULAR, MÚSICA AIDA SUNO

Le Musée national d'histoire naturelle du Chili affirme que l'enfant a été tué vers 1460 au cours d'une cérémonie sacrificielle appelée «Capacocha», à laquelle assistaient notamment des nobles et des prêtres de l'empire inca. Avant sa mort, le garçon aurait parcouru plus de 2.000 kilomètres du centre-sud du Pérou jusqu'à Cerro El Plomo, durant un voyage de plusieurs mois, comme le montrent des marques sur ses pieds.

ÉTUDES DERMATOLOGIQUES RÉALISÉES SUR UN ENFANT D'EL PLOMO
 MUSÉE NATIONAL D'HISTOIRE NATURELLE DU CHILI

Nouveaux scanners 

D'après les experts, les derniers instants du jeune homme ont été marqués par la fatigue due au long voyage, à l'altitude élevée et à l'ingestion d'une substance narcotique. L'enfant aurait ensuite été placé dans une chambre rectangulaire au sol gelé, lui provoquant une hypothermie.

Une offrande funéraire a été déposée à côté du garçon, comprenant des objets de cérémonie, dont deux figures de camélidés –l'une en alliage d'or et d'argent, l'autre en coquillages. De tels sacrifices étaient sans doute un moyen par lequel les Incas tentaient de garantir que le meilleur de l'humanité rejoigne leurs divinités.

Toutefois, de nouveaux scanners aux rayons X de la tête de la momie de Plomo présentent les signes d'un traumatisme «habilement exécuté» sur l'os frontal du crâne. Ce traumatisme semble avoir été causé par un objet contondant se déplaçant de droite à gauche, alors que le jeune inca se tenait debout, la tête baissée, estiment les chercheurs du musée chilien.

Ces découvertes remettent en question les croyances antérieures sur la nature des sacrifices d'enfants au dieu Soleil, dans l'empire inca. À l'approche de sa mort, le garçon semble aussi avoir ingéré une «grande quantité de nourriture» restée non digérée dans son intestin. L'analyse du génome prête à croire que ses ancêtres proviennent du centre-sud des Andes, du nord du Chili ainsi que des hauts plateaux du sud du Pérou.


lundi, août 26, 2024

110ème ANNIVERSAIRE DE LA NAISSANCE DE JULIO CORTÁZAR


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110ème ANNIVERSAIRE DE LA
NAISSANCE DE JULIO CORTÁZAR
1914 - 26 AOÛT - 2024
JULIO CORTÁZAR 1970 
PHOTO FRANCOIS LEHR
julio Florencio Cortázar Descotte, né le 26 août 1914 à Ixelles (Belgique) et mort le 12 février 1984 à Paris, fut un écrivain argentin de Buenos Aires, établi en France en 1951 et qui, tout en conservant sa nationalité argentine, acquiert aussi la nationalité française vers la fin de sa vie, en 1981, comme acte de protestation contre la dictature militaire argentine de l'époque.

samedi, août 24, 2024

125ème ANNIVERSAIRE DE LA NAISSANCE DE JORGE LUIS BORGES


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125ème ANNIVERSAIRE DE LA
NAISSANCE DE JORGE LUIS BORGES
1899 - 24 AOÛT - 2024
JORGE LUIS BORGES
jorge Luis Borges fut un écrivain argentin né le 24 août 1899 à Buenos Aires et mort à Genève le 14 juin 1986. Ses œuvres dans les domaines de l’essai et de la nouvelle sont considérées comme des classiques de la littérature du XXème siècle.


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PORTRAIT DE L'ÉCRIVAIN ET POÈTE ARGENTIN JORGE LUIS BORGES (1899 - 1986)
DANS SON BUREAU DE LA BIBLIOTHÈQUE NATIONALE (AU 564 DE LA RUE MEXICO),
À BUENOS AIRES, EN ARGENTINE, EN 1971. UN GLOBE TERRESTRE
ET PLUSIEURS LIVRES SONT VISIBLES AU PREMIER PLAN.
PHOTO EDUARDO COMESAÑA 



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vendredi, août 23, 2024

MORT DE CATHERINE RIBEIRO : UNE «PASIONARIA » À LA VOIX IMMENSE

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CATHERINE RIBEIRO EN 1972
PHOTO JEAN-PIERRE LELOIR 

Mort de Catherine Ribeiro, étoile filante de la chanson / La chanteuse Catherine Ribeiro est morte à l’âge de 82 ans. Inclassable, irréductible, incorruptible, elle a chanté la passion, l’amour, la révolte. Elle est restée libre, jusqu’à son dernier souffle. / Elle aurait pu suivre cette route toute balisée empruntée par nombre de ses pairs à l’aune des années soixante. Elle figure d’ailleurs dans la « fameuse » photo de Jean-Marie Périer, photographe officiel de la génération yéyé. Mais déjà, peut-être instinctivement sent-elle qu’elle n’est pas à sa place, on la devine, au dernier rang, entre Hugues Aufray et Eddy Mitchell.

par Marie-José Sirach

À peine la reconnaît-on. Elle ne sourit pas. Catherine Ribeiro refusera de jouer la carte de la jolie jeune fille qui se tient sage. En elle, ça bouillonne, ça tâtonne. Elle cherche, se cherche et, très vite, va bifurquer, laisser les chansons de midinettes pour midinettes. Elle rentre dans aucun moule, elle déborde, belle et rebelle, sauvage jusqu’au bout des mots des poètes dont elle va s’emparer, en catimini, ceux de Bob Dylan ou de Leonard Cohen. « La beauté insoumise de Catherine et sa colère chevillée à l’âme incommodent le show-business », disait d’elle Léo Ferré. Il avait tout juste.

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« une femme qui lutte contre toutes les atteintes à la liberté dans le monde »

« J’ai appris mon enfance, face aux fumées d’usines, par les chemins des grèves empruntés par mon père » chante rageusement cette fille d’ouvrier portugais née dans la banlieue lyonnaise en 1941.

Ce sont les hasards de la vie et des rencontres qui lui font croiser la route de Patrice Moullet, qui deviendra son compagnon. Ils se rencontrent en 1963 sur le tournage des Carabiniers, de Jean-Luc Godard. Entre 1963 et 1993, elle jouera dans quatre films. Ce sera tout pour le cinéma.

En revanche, elle écrit déjà des poèmes, des chansons que Patrice Moullet va mettre en musique. Au printemps 1968, alors que le pays est en ébullition. Catherine Ribeiro tente de mettre fin à ses jours comme si elle voulait définitivement tourner la page de cette époque.

De 1969 à 1980, elle a la révolte au bout de langue. Ses mots sont affûtés comme des lames. « Je ne suis pas une femme d’un parti, disait-elle, mais une femme qui lutte contre toutes les atteintes à la liberté dans le monde, où qu’elles se produisent. Et je lutterai jusqu’à mon dernier souffle ». Pendant cette décennie giscardienne, elle va réaliser avec le groupe Alpes une dizaine d’albums et enregistrer de très nombreux 45 tours.

Solitaire mais solidaire

Cataloguée « Pasionaria de la chanson », elle ne veut pas se laisser enfermer, une fois de plus, une fois encore, dans une case. « Les paroles ne sont qu’un accessoire, je préférerais qu’on en arrive presque à des onomatopées pour remplacer les paroles. On le fera peut-être ; il faudrait que la voix serve d’instrument… Ce que je cherche à faire, c’est détruire complètement la chanson classique, avec refrain et couplets réguliers », disait-elle.

C’est gonflé. Une façon de ne rien lâcher, de ne pas se soumettre, encore et toujours, et de revendiquer une poésie qui expérimente, emprunte des chemins de traverse.

Voix puissante, sensuelle, elle s’entoure de musiciens qui pratiquent un folk-rock progressif aux accents symphoniques. C’est dire qu’elle ne passera plus à la radio mais ses concerts affichent complet, où qu’elle se produise. Toute de noir vêtue, ses cheveux corbeau en cascade dessinent un bouclier sur ce visage qu’on entraperçoit à peine lorsqu’elle s’avance dans la lumière.

Elle chante sans chercher à plaire, à séduire. Elle chante désespérément, crûment la Résurrection de l’amour, cette blessure « jusqu’à ce que la force de t’aimer me manque ». Solitaire mais solidaire, elle s’engage pour la Palestine, pour les réfugiés chiliens, contre la guerre au Vietnam, pour l’écologie, contre le président Valéry Giscard d’Estaing…

Elle revendique deux amitiés : Léo Ferré et Colette Magny, « Coco, ma seule amie chanteuse ». Sa reprise de Melocoton est à l’opposé de l’interprétation de Magny, comme si elle ne posait pas les points de suspension au même endroit.

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Elle ne va jamais cesser de créer

Les années quatre-vingt… terribles années pour bon nombre d’artistes qui seront invisibilisés. Comme Colette Magny, François Béranger, Catherine Ribeiro disparaît des écrans radars.

Pourtant, elle ne va jamais cesser de créer. Et de chanter sur scène. En 1995, elle joue au Théâtre des Bouffes du nord un récital, « Vivre libre ». Magnifique moment de communion – païenne – avec le public qui ne l’a jamais lâchée, reniée, oubliée, n’en déplaise à l’industrie musicale.

Entourée de cordes et de Michel Precastelli au piano, elle sublime chaque mot, chaque note, chaque vers de sa voix toujours aussi puissante et troublante. À partir des années 2000, elle aura toujours des projets qui, pour la plupart, n’aboutiront pas. Elle se retire loin du monde.

Catherine Ribeiro s’est produite au Printemps de Bourges, aux Francofolies, à Bobino, dans des cathédrales et à la fête de l’Huma. Et quand elle n’y chantait pas, on la rencontrait aux côtés de Mouloudji, pour dédicacer ses disques. C’était un endroit où elle se sentait bien disait-elle. En 1993, on pouvait lire sur le programme de la fête : « la chanteuse Catherine Ribeiro signera, comme chaque année, ses disques à la fête de l’Huma (stand des cheminots du 12ème arrondissement de Paris, de 11 heures à 22 heures, le samedi et le dimanche). » Qu’ajouter de plus…

mardi, août 20, 2024

CHILI / ANNIVERSAIRE DE LA NAISSANCE DE BERNARDO O'HIGGINS RIQUELME

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PORTRAIT DE BERNARDO O'HIGGINS,
L'UN DES PÈRES DE LA PATRIE CHILIENNE.
PEINTURE À L'HUILE SUR TOILE,
ŒUVRE DU PEINTRE JOSÉ GIL DE CASTRO
DIT LE MULÂTRE (1785 - 1841)


 1778  - 20 AOÛT - 2024

246ème ANNIVERSAIRE DE LA NAISSANCE
DU PÈRE DE LA PATRIE CHILIENNE 

« CANTO A BERNARDO O´HIGGINS »
PAROLES PABLO NERUDA, MUSIQUE VICENTE BIANCHI
INTERPRÈTES SILVIA INFANTAS ET LOS BAQUEANOS

Bernardo O'Higgins Riquelme fut un officier militaire chilien, né à Chillán le 20 août 1778.


L'indépendance
L'éveil d'une conscience nationale  
PORTRAIT DE BERNARDO ÓHIGGINS.
 OEUVRE DE JOSÉ GIL DE CASTRO


En 1767, l'expulsion des Jésuites ordonnée par le roi eut des répercussions profondes, surtout dans les milieux intellectuels, car ces religieux dirigeaient écoles et collèges, et le besoin de s'instruire se faisait fortement sentir. On peut dire que la base de l'existence coloniale au Chili était essentiellement ecclésiastique. Tous les livres étaient écrits en latin et très peu de Chiliens possédaient les chefs-d'œuvre de la littérature espagnole. Les ouvrages étrangers étaient formellement interdits, mais l'indépendance des États-Unis proclamée en 1776 et l'exemple de la Révolution française allaient inévitablement susciter chez les colons des idées d'émancipation. 
PORTRAIT DE DON BERNARDO ÓHIGGINS.
 UNE OEUVRE DE NARCISO DESMADRYL 

À la suite de la défaite espagnole de Trafalgar (1805), tout lien entre l'Espagne et l'Amérique du Sud fut pratiquement coupé. Les Anglais ayant la voie libre s'empressèrent d'attaquer les colonies espagnoles, où ils prétendaient s'installer. En 1806, ils débarquèrent à Buenos Aires dont ils s'emparèrent par surprise. Alors le peuple se dressa en un mouvement de révolte spontané contre l'envahisseur. La ville fut défendue avec un tel patriotisme que les Anglais durent se retirer. Le sentiment national n'était pas nouveau au Chili ; il existait déjà, quoique sous une forme très vague, quand la population repoussait les corsaires anglais et hollandais qui saccageaient ses ports aux XVIIème et XVIIIème siècles.

Lorsque Santiago apprit que de graves événements s'étaient produits dans la Péninsule et que Napoléon s'était emparé du trône d'Espagne, les colons chiliens s'apprêtèrent à coopérer à la défense de la métropole et à la restauration du roi Ferdinand VII.

PORTRAIT DE DON BERNARDO ÓHIGGINS.
PAR CARLOS DÍAZ

Certains d'entre eux cependant jugeaient préférable de former un État indépendant. Les Chiliens finirent par se diviser en deux factions : les royalistes et les patriotes. Parmi ces derniers, des hommes comme José Miguel Carrera, Manuel Rodríguez, Bernardo O'Higgins firent passer dans les faits les idées révolutionnaires de l'époque grâce à une atmosphère générale d'ardeur patriotique.

La révolution devait triompher avec la proclamation de l'indépendance du Chili le 18 septembre 1810. La municipalité de Santiago, dirigée par son procureur José Miguel Infante, par Juan Martínez de Rozas et Bernardo O'Higgins, reçut la démission du gouverneur et élut la première junte. Cependant, en 1814, les Espagnols entreprirent la reconquête, qui devait se terminer le 12 février 1817, avec la défaite de l'armée royaliste à la bataille de Chacabuco, près de Santiago, grâce au concours des troupes de San Martín.

 
PORTRAIT  DEBERNARDO O'HIGGINS, CIRCA 1862

La République

La situation du Chili, à cette époque, était celle d'un pays secoué depuis huit ans par une révolution . Les classes sociales étaient bouleversées, les services publics désorganisés et le régime colonial n'avait été que très légèrement modifié. On nomma alors le général Bernardo O'Higgins chef suprême du Chili. À la fois homme de guerre et homme d'État, il comprit fort bien que la lutte pour l'indépendance serait stérile si on ne faisait pas un effort pour augmenter les forces destinées à libérer le Pérou de la domination espagnole. Il réussit à équiper une puissante escadre, qui, le 20 août 1820, quitta Valparaíso pour le Pérou sous les ordres du général San Martin ; le 28 juillet 1821, l'indépendance du Pérou était solennellement proclamée. 

Cependant, sa politique intérieure suscitant des résistances toujours plus grandes, O'Higgins abandonna le pouvoir le 28 janvier 1823.

Un nouveau général allait lui succéder : Ramón Freire. C'est sous son gouvernement que fut publié un nouveau code fondamental, appelé Constitution de l'an 1823. Mais, en 1826 il dut, à son tour, abandonner le pouvoir. De 1826 à 1830, le Chili traversa une période d'anarchie et plusieurs de ses chefs furent victimes de soulèvements militaires.

Au milieu de cette agitation, un homme s'était distingué au sein du parti conservateur, Diego Portales, qui jugula le militarisme turbulent. La nouvelle Constitution, qui fut publiée le 25 mai 1833, devait rester en vigueur jusqu'en 1925.

DON BERNARDO O'HIGGINS
 PAR CHARLES TURNER

Ce moment marque le début d'une ère de prospérité pour le pays. En 1841, Manuel Bulnes était porté à la plus haute magistrature de l'État. Sous sa présidence, en 1844, l'Espagne signait un traité par lequel elle reconnaissait l'indépendance du Chili.

Cependant, cette ère de paix fut troublée par un problème qui caractérisait alors les rapports existant entre toutes les républiques hispano-américaines : la question de la délimitation des frontières. La guerre du Pacifique éclata le 5 avril 1879. L'armée chilienne, après de nombreux combats contre les Péruvio-Boliviens, entra victorieuse à Lima, en janvier 1881, et le Chili obtint la région riche en nitrate convoitée par les belligérants. Ainsi s'achevait ce conflit qui avait perturbé la politique de bon voisinage constamment prônée par le Chili à l'égard des autres pays de l'Amérique du Sud.

En ce qui concerne la politique intérieure, l'esprit réformiste, préconisé par tous les gouvernements libéraux de l'époque préoccupés en premier lieu de diminuer les pouvoirs excessifs du président de la République, se manifestait déjà.

Les deux tendances politiques divergeaient sur des questions d'ordre religieux et constitutionnel. Tandis que, pour les conservateurs, l'autorité politique et les dogmes religieux étaient les deux fondements du bien-être et du progrès collectifs, pour les libéraux, la liberté politique et la liberté de pensée étaient les conditions indispensables du développement social.

Sous la présidence de Domingo Santa María (1881-1886) furent promulguées les lois de laïcité, dites « du Registre civil ».

PORTRAIT DE DON BERNARDO ÓHIGGINS
PAR NARCISSE EDMOND JOSEPH DESMA
DRYL 

Une des administrations les plus progressistes dont on ait souvenir en Amérique latine fut celle du président José Manuel Balmaceda (1888-1891). C'est durant cette présidence que s'exprimèrent les premières revendications des salariés.

Le président Balmaceda, au début de l'année 1891, vit éclater un grave conflit qui devait aboutir à un nouveau régime politique, le parlementarisme, dans lequel le pouvoir exécutif était soumis à l'autorité du Congrès. Ainsi, l'instabilité ministérielle devint le régime normal de gouvernement pendant les trente-trois années que dura le parlementarisme (1892-1924). Les phénomènes sociaux apparus en Europe à la fin de la Première Guerre mondiale ne tardèrent pas à avoir leurs répercussions au Chili.

Un puissant mouvement réformiste porte à la présidence Arturo Alessandri, qui propose au Congrès l'adoption d'un groupe de lois destinées à promouvoir la justice sociale à l'égard des travailleurs. C'est alors qu'est adoptée la Constitution de 1925.

STATUE DU GÉNÉRAL BERNARDO ÓHIGGINS À SANTIAGO.
 ILLUSTRATION  DU « CHILE ILUSTRADO :
GUÍA DESCRIPTIVA DEL TERRITORIO DE CHILE,
DE LAS CAPITALES DE PROVINCIA, DE
 LOS PUERTOS PRINCIPALES »  PARIS , 1872  

Le gouvernement du président Carlos Ibáñez del Campo (1927-1931) se caractérisa par une continuelle et âpre lutte pour assurer les attributions que la réforme concédait au pouvoir exécutif. La crise économique mondiale de 1929 affecta durement le Chili et occasionna des remous politiques qui aboutiront finalement à la démission du président Ibáñez.

Un second mandat fut alors confié au président Alessandri (1932-1938), qui lui permit d'affermir le régime constitutionnel et de réaliser d'autres œuvres de progrès.

Raimundo AVALOS

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AUTOPORTRAIT DE
BERNARDO O'HIGGINS

 

« CE QUI ME FASCINE, C’EST METTRE AU JOUR LA VIE SECRÈTE D’UNE VILLE », GRAND TOUR AVEC PHILIPPE SANDS À PUNTA ARENAS DU CHILI

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PHILIPPE SANDS
PHOTO DAVID HARTLEY 

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 LE GRAND
CONTINENT
Entretiens Grand Tour / « Ce qui me fascine, c’est mettre au jour la vie secrète d’une ville », Grand Tour avec Philippe Sands à Punta Arenas du Chili / 
Des anciens nazis. Une dictature naissante. Des conserves de crabe royal envoyées aux quatre coins du monde depuis une ville reculée en Terre de Feu. / Pour son Grand Tour, l’avocat et écrivain Philippe Sands nous emmène au bout du cône sud de l’Amérique, dans une mystérieuse histoire où l’on croise Pinochet, Bolaño, Chatwin et même le père de Pablo Picasso.

Quand et comment le Chili a-t-il fait irruption dans votre vie ?
le 30 octobre 1998, alors que je m’apprête à partir pour le cimetière parisien de Pantin afin de prendre part aux funérailles de mon grand-père, je reçois un coup de téléphone de mon cabinet londonien. On m’informe que les avocats d’Augusto Pinochet, qui venait d’être arrêté à Londres, me sollicitent pour les assister dans la défense de leur client. Ils veulent que je travaille sur la question de son immunité afin d’empêcher son extradition vers Madrid.

Arrivé au cimetière, j’avise ma femme de cette nouvelle. Elle me demande si je compte accepter cette affaire et je lui réponds que, comme un chauffeur de taxi, un barrister (avocat britannique) n’a pas le droit de refuser un client. Ce à quoi ma femme me rétorque que si j’accepte de défendre Pinochet, elle demandera le divorce. Ma femme compte parmi ses aïeux des Espagnols réfugiés en France du fait de la guerre civile. Pour elle, agir pour Pinochet, c’était comme agir pour Franco. J’ai donc décliné. Trois jours plus tard, c’est l’autre côté qui me contacte, et je commence à travailler contre Pinochet. Je m’occupe de cette affaire durant les presque deux années qu’il passe à Londres et durant cette période, je commence à nouer des liens étroits avec des Chiliens. C’est vers l’an 2000 que je me rends pour la première fois au Chili afin d’y donner des conférences.

Après cette première rencontre avec le Chili via le cas Pinochet, ce sont vos investigations sur le devenir des criminels de guerre nazis qui vous y ramènent.

Effectivement, seize ans plus tard, en 2016, en faisant des recherches dans les archives de la famille Wächter — centrale dans mes livres Retour à Lemberg et La Filière — je découvre une lettre écrite par un dénommé Walter Rauff, un Allemand qui m’est alors inconnu, à Otto  Wächter. Dans cette lettre, Rauff dit à Wächter qu’il est à Damas et qu’il lui déconseille de l’y rejoindre. Il lui suggère de partir plutôt pour l’Amérique du Sud. Wächter est décédé à Rome et n’a donc pas gagné l’Amérique du Sud. Mais Rauff, dont je découvre qu’il est l’inventeur des camions à gaz et qui concentre désormais mon attention, suit ses propres conseils et quitte Damas avec sa femme et ses deux enfants pour l’Italie puis pour l’Équateur où il arrive en 1950. Il vit quelques années à Quito où il est employé par la concession Mercedes-Benz. Il y rencontre des Chiliens qui le convainquent de venir s’installer avec sa famille dans leur pays. Après un passage par Santiago où il ne trouve pas à s’employer, il se fixe finalement en Patagonie, à Punta Arenas où il prend la tête d’une pêcherie de crabes royaux. Curieux d’en savoir plus sur Rauff mais aussi sur les liens qu’il aurait eu avec Pinochet, je comprends très vite qu’il me faut me rendre à Punta Arenas.

Ma première rencontre avec la Patagonie fut livresque.
Philippe Sands

Cette présence de nazis au Chili ne s’inscrit pas sur un terrain vierge. On sait que le pays a une longue tradition de liens avec l’Allemagne, qui remonte à bien avant la Seconde Guerre mondiale et demeure très perceptible aujourd’hui.

Quand je suis allé pour la première fois au Chili en 2000, mes interlocuteurs me disaient que l’Argentine est l’Italie de l’Amérique du Sud quand le Chili est son Allemagne. De fait, je rencontre là-bas énormément de personnes avec des patronymes germaniques, dont beaucoup sont des descendants d’Allemands installés là depuis le XIXème siècle. Cette présence demeure très visible, par exemple à la Colonie Dignidad, rebaptisée Villa Baviera, située à 400 kilomètres au Sud de Santiago. Dans cette enclave peuplée d’Allemands, se sont déroulées sous la conduite de Paul Schäfer des atrocités allant de la torture d’opposants à la dictature de Pinochet à des actes de pédophilie à l’encontre de jeunes résidents. Une très belle série documentaire en six épisodes a récemment été produite par Netflix sur le sujet. Mais les relations entre l’Allemagne et le Chili, très anciennes, sont étroites et ne se résument pas à ce genre de cas tragiques.


Au sein de cet immense pays qu’est le Chili, votre enquête sur Walter Rauff vous a conduit à fréquenter beaucoup ces dernières années le sud de la Patagonie, et plus précisément la ville de Punta Arenas.

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Ma première rencontre avec la Patagonie fut livresque. En 1979, j’ai lu le beau livre qu’avait publié Bruce Chatwin intitulé En Patagonie. Le livre a été écrit en France, mais il raconte  son voyage de six mois en Patagonie depuis l’Argentine jusqu’à la Terre de Feu. Et il consacre quelques pages à Punta Arenas. C’est une ville à l’histoire exceptionnelle. Avant l’ouverture du canal de Panama en 1914, c’était un passage obligé pour tous les voyages entre l’Atlantique et le Pacifique, au débouché du détroit de Magellan. On sent cette grandeur passée de la ville dans son urbanisme et son architecture. Les bâtiments sont impressionnants. On comprend immédiatement lorsqu’on sillonne cette ville qu’il fut un temps où elle était très prospère. Chatwin décrit bien toutes les influences qu’on y retrouve : allemandes, espagnoles, anglaises, croates.

C’est votre enquête sur Walter Rauff qui vous conduit à Punta Arenas. Qu’espériez-vous y trouver ?

J’ai décidé d’aller à Punta Arenas à la poursuite de l’histoire de Rauff. Je savais qu’il était arrivé là-bas en 1958, qu’il y était devenu le dirigeant d’une pêcherie de crabes royaux dont il exportait la chair en conserve partout dans le monde. Je voulais voir le lieu où il avait vécu et travaillé pour tenter de répondre à la question qui parcourt tous les mes livres : comment un homme coupable de génocide, recherché pour avoir inventé les camions à gaz et exterminé des centaines de milliers d’individus, peut-il refaire sa vie dans une grande ville comme si de rien n’était ? J’ai appris très vite que les gens de Punta Arenas savaient très bien ce qu’il avait fait. Je voulais comprendre comment on pouvait vivre ouvertement, sans même changer de nom, au milieu de gens qui acceptent sans broncher votre présence.
« ON ARRIVE DANS UN AÉROPORT ASSEZ ÉLOIGNÉ DE LA VILLE.
C’EST PLAT. C’EST GRIS. IL Y A DU VENT. IL NE FAIT PAS CHAUD.
PUNTA ARENAS EST L’UNE DES VILLES LES PLUS PROCHES DE
L’ANTARCTIQUE DU MONDE ENTIER. ON EST
AU BOUT DU MONDE ET ON LE RESSENT. »
PHOTO PHILIPPE SANDS


« DE TOUS MES ENDROITS PRÉFÉRÉS À PUNTA ARENAS,
LE MEILLEUR EST LE COIN DE LA PLAZA DES ARMAS,
 PRÈS DE L’HÔTEL JOSÉ NOGUEIRO, AVEC VUE SUR LA MER,
LA TERRE DE FEU ET L’ÎLE DAWSON, SUR LE PIÉDESTAL
OÙ JOSÉ MÉNENDEZ, DONT LE BUSTE
A ÉTÉ RENVERSÉ, N’EST PLUS PERCHÉ. »
PHOTO PHILIPPE SANDS


Avez-vous trouvé une réponse à cette question ?

La réponse se trouve dans l’histoire de Punta Arenas. Elle a été très bien illustrée par Felipe Gálvez dans son superbe film Les Colons (Los colonos), primé à Cannes en 2023. Il revient sur l’extermination des populations indigènes de la Terre de Feu, les Selk’nam, qui ont été quasiment éliminés entre la fin du XIXème et le début du XXème siècle. Ce film rappelle que la Terre de Feu fut aussi une terre de génocide. Les habitants de la région connaissent bien ce qu’est un génocide car ils vivent dans une région dont les populations indigènes ont été exterminées. Pour comprendre comment Punta Arenas a pu accueillir Walter Rauff, il faut retourner à cette histoire plus longue de la région.
Je voulais comprendre comment on pouvait vivre ouvertement, sans même changer de nom, au milieu de gens qui acceptent sans broncher votre présence.
Philippe Sands

Quelles ont été vos premières impressions lorsque vous avez découvert Punta Arenas ?

On arrive dans un aéroport assez éloigné de la ville. C’est plat. C’est gris. Il y a du vent. Il ne fait pas chaud. Punta Arenas est l’une des villes les plus proches de l’Antarctique du monde entier. On est au bout du monde et on le ressent. Sur la route entre l’aéroport et la ville, on voit les restes du passé commercial et industriel de la ville au travers de bâtiments délabrés du début du XXème siècle. Et quand on arrive au centre, on découvre une petite merveille avec des bâtiments du XIXème siècle de style colonial. Je résidais dans un hôtel installé dans un ancien palais, sur la Plaza de Armas, la place centrale de la ville. On a l’impression de revenir un siècle en arrière. Et puis il y a les gens que l’on rencontre, porteurs de noms venus de toute l’Europe. On reconnaît immédiatement qu’on est dans un point de rencontre entre des civilisations diverses. Et puis on marche jusqu’au milieu de la Plaza de Armas, et on tombe sur une immense statue d’un colonisateur avec, à ses pieds, un indien Selk’nam. On comprend immédiatement l’histoire de ce lieu.

Cette statue rappelle qu’il reste beaucoup à faire s’agissant du sort des populations indigènes, mapuches notamment, au Chili.

Comme dans la plupart des pays d’Amérique du Sud, il y a au Chili des tensions entre les populations indigènes et les habitants d’origine européenne. Il y a eu un effort lors des récents travaux de réforme constitutionnelle, qui n’a finalement pas abouti, en vue de mieux reconnaître la place des groupes amérindiens, notamment des Mapuche, dans la vie du pays. Mais les tensions restent perceptibles. Le Chili demeure un pays dominé par les colonisateurs même si la dynamique de vérité sur le passé devient plus positive. Il y a quelques années, le gouvernement chilien a notamment reconnu le génocide de la population Selk’nam. C’est un processus de long terme ; nous n’en sommes qu’au début mais les choses avancent, plus à Santiago qu’à Punta Arenas toutefois.

La Terre de Feu fut aussi une terre de génocide.
Philippe Sands

Êtes-vous bien accueilli par les habitants de Punta Arenas ? On peut penser qu’ils ne voient pas d’un bon œil l’arrivée d’une personne venue remuer les souvenirs d’un passé peu glorieux pour eux…

Dès le lendemain de mon arrivée, il était prévu que je donne une conférence à l’université magellane de Punta Arenas pour parler de mes recherches sur les relations entre Walter Rauff et Augusto Pinochet. L’événement avait été organisé par un de mes amis de Santiago. Je ne tenais pas à rester discret mais au contraire à faire la publicité de ma visite pour inviter les gens qui avaient des souvenirs de Rauff à venir me les confier. Je me suis vite aperçu qu’à Punta Arenas, presque tout le monde connaissait Walter Rauff au moins de nom. Dans la salle de conférence, il y avait une centaine de personnes et, le moment des questions venu, deux ou trois m’ont adressé des critiques. Mais pas celles auxquelles vous faites référence : elles m’ont plutôt demandé pourquoi je venais jusqu’à Punta Arenas pour enquêter sur un génocidaire allemand alors qu’il y avait des criminels chiliens bien moins connus qui mériteraient de retenir l’attention.

Près de quarante ans après son décès, quelles traces de la présence de Walter Rauff avez-vous pu retrouver à Punta Arenas?

En tant qu’avocat travaillant dans les tribunaux internationaux, je sais l’importance de l’établissement des faits et, dans ce cadre, j’ai acquis depuis très longtemps la conviction qu’il est fondamental d’aller enquêter sur les lieux où ils se sont produits. Je travaille beaucoup dans le domaine des crimes contre l’humanité et des génocides et j’ai appris que pour comprendre ces choses, il faut visiter les lieux et pas simplement lire ce qui a été écrit à leur propos. Je voulais donc trouver le lieu où Rauff habitait, ceux où il travaillait, les rues qu’il arpentait, trouver des gens qui l’avaient rencontré. Je craignais que tout cela ait disparu, mais il n’en fut rien. J’ai retrouvé tous ces lieux et j’ai rencontré des personnes qui avaient travaillé avec lui. Aujourd’hui octogénaires ou nonagénaires, ils se souviennent de son caractère, de ses relations avec la ville. Dès qu’on commence à gratter un peu, on découvre très vite toutes les histoires restées non-dites. Dans cette ville, Rauff se sentait en sécurité. Il était au bout du monde, entouré de gens très compréhensifs à l’égard des atrocités dont il s’était rendu coupable en Europe. On ressent à Punta Arenas qu’on est en présence d’une ville de silence, une ville où, publiquement, on ne parle pas. Mais quand on commence à discuter en privé, alors les histoires finissent par sortir. C’est pour cela que j’ai dû y revenir à plusieurs reprises, pour rencontrer les gens, établir avec eux un lien propre à leur permettre de me confier leurs souvenirs. C’est ce qui me fascine : mettre au jour la vie secrète d’une ville. Il y a l’apparence externe, et il y a ce qui se passe vraiment mais qui n’est pas immédiatement observable.

On ressent à Punta Arenas qu’on est en présence d’une ville de silence, une ville où, publiquement, on ne parle pas. 
Philippe Sands

Quel portrait de Rauff vous ont dressé les témoins que vous avez-pu rencontrer ?

J’ai notamment rencontré certaines des femmes qui travaillaient dans la pêcherie de Rauff, où elles confectionnaient les conserves. Elles me l’ont décrit comme un homme qui buvait et fumait beaucoup. Une femme que j’ai rencontré m’a confié qu’à Punta Arenas, tout le monde savait parfaitement ce que Rauff avait fait, mais que tout le monde s’en moquait parce que c’était loin dans l’espace comme dans le temps, qu’il était le « jefe », le patron, et qu’on avait besoin d’argent. Toutes m’ont décrit un homme qui ne sortait jamais sans son chien, pour se protéger, car à partir de 1962, il vivait dans la peur. La RFA avait émis une demande d’extradition à son encontre et le Mossad s’intéressait aussi à lui. Pas un jour ne s’écoulait sans qu’il ne pense au sort de son ancien collègue Adolf Eichmann, kidnappé en Argentine, avant d’être jugé et exécuté en Israël. Rauff vivait dans la peur de subir le même sort. À Porvenir, de l’autre côté du détroit de Magellan, il possédait un cabanon, qui existe toujours et que j’ai pu visiter. De là, sur une petite colline, par la fenêtre, il pouvait voir si quelqu’un approchait.

Votre fréquentation assidue du Chili sur la trace de Walter Rauff a aussi été l’occasion de découvertes et de rencontres littéraires.

La littérature chilienne joue un rôle très important dans ma recherche. À commencer par Roberto Bolaño qui s’est penché sur le cas Walter Rauff dans son Nocturne du Chili ainsi que dans La littérature nazie en Amérique. Dans Nocturne du Chili, Bolaño fait parler un prêtre qui raconte sa vie sous la dictature de Pinochet. Dans l’un des épisodes, il raconte sa rencontre avec un homme d’affaires de Punta Arenas, qui travaille dans une pêcherie — une allusion évidente à Rauff. Le pêcheur lui propose de donner des leçons d’histoire du marxisme à Augusto Pinochet. Tout cela est évidemment inventé mais il y a des éléments de vérité. Ce qui m’intéresse particulièrement chez Bolaño, c’est ce jeu qu’il opère entre le fait et l’invention, qui fait écho aux questions que je me pose à propos de Punta Arenas, cherchant à départager le vrai de l’inventé dans les témoignages que je recueille sur le passé de la ville.

Pour moi qui passe ma vie à tenter d’établir les faits et de prouver les choses devant les tribunaux, cette capacité qu’a Bolaño à ouvrir l’imagination à partir du vrai pour aller vers l’imaginaire est fascinante. On retrouve ce brouillage entre le réel et le fictionnel non seulement chez Chatwin, mais aussi dans le beau roman de Galo Ghigliotto intitulé El museo de la bruma (2019), dont j’ai préfacé l’édition anglaise qui paraîtra en 2025. C’est une étudiante américaine qui m’assiste dans ce projet qui m’a signalé ce livre qui raconte l’histoire d’un mystérieux « Musée de la brume », créé il y a une quarantaine d’années à Punta Arenas, mais récemment détruit par un incendie porté par les vents de Patagonie. Le musée se composait de trois grandes salles : la première était dédiée à Julio Popper, un explorateur et ingénieur roumain du XIXème siècle ; la deuxième au réalisateur Alain-Paul Mallard et à Bruce Chatwin ; la troisième à Walter Rauff. Ce musée dont Galo Ghigliotto reconstitue les collections n’a en fait jamais existé, mais c’est un livre bouleversant qui ouvre l’imagination sur Punta Arenas et la Patagonie chilienne. J’ai rencontré Galo Ghigliotto à Santiago où il vit et nous sommes devenus très amis.

Pour moi qui passe ma vie à tenter d’établir les faits et de prouver les choses devant les tribunaux, cette capacité qu’a Bolaño à ouvrir l’imagination à partir du vrai pour aller vers l’imaginaire est fascinante.
Philippe Sands

Parmi les autres livres chiliens qui m’ont beaucoup touché, il y a celui de Mariana Callejas, La larga noche (1981) et celui de Pedro Lemebel intitulé De perlas y cicatrices (1998). Au centre de ces deux livres, comme de Nocturne du Chili, il y a une histoire qui tourne autour d’une maison de Santiago où, au premier étage, il y avait un salon littéraire, tandis qu’au sous-sol, il y avait une chambre de torture. Ce bâtiment a réellement existé et appartenait à Mariana Callejas et à son mari, un américain qui travaillait pour les services secrets chiliens. Bolaño s’est inspiré des écrits de Lemebel sur le sujet, écrits dans lesquels il parle aussi de Rauff. C’est à partir de tous ces livres que j’en suis venu à m’intéresser à la collaboration de Walter Rauff avec le régime de Pinochet.

Vous avez également travaillé sur l’importante filmographie chilienne.

Il faut absolument voir la trilogie La batalla de Chile que Patricio Guzmán a consacré à l’histoire récente du pays, qui compte parmi les plus grands films documentaires. Il parle d’événements qu’il a  vécu et compris avec une finesse admirable. Je recommande aussi le film No de Pablo Larraín qui porte sur le référendum qu’avait lancé Pinochet en 1988 et qui, contre toute attente, s’était conclu sur une défaite du pouvoir.

Pourriez-vous évoquer pour nous quelques lieux de Punta Arenas qui vous sont particulièrement chers ?

Il y a beaucoup d’endroits à Punta Arenas qui me sont devenus chers. D’abord le café Wake Up, que je visite chaque matin, ou le restaurant de l’hôtel Savoy, où René, le serveur, sert une très bonne assiette de centolla. Il y a aussi bien sûr l’ancienne maison de Walter Rauff. Et le musée de la ville qui abrite une peinture de canards de José Ruiz Blasco, dont le fils, Pablo Picasso, aurait peint les pieds. Et le Shackleton Bar, à l’hôtel José Nogueiro, qui était autrefois le palais Sara Braun. J’aime aussi les bureaux du journal Prensa Austral, annoncés par une fabuleuse plaque de cuivre ancienne. Ou la maison de Charlie Milward, le parent de l’écrivain Bruce Chatwin, au 895 de l’Avenida España. Mais de tous mes endroits préférés à Punta Arenas, le meilleur est le coin de la Plaza des Armas, près de l’hôtel José Nogueiro, avec vue sur la mer, la Terre de Feu et l’île Dawson, sur le piédestal où José Ménendez, dont le buste a été renversé, n’est plus perché.