International / Alors que deux candidats d’extrême droite ont cumulé près de 38 % des voix au premier tour, les références élogieuses au dictateur et à son régime se banalisent sur la scène politique. On le pensait enterré avec son régime sanguinaire. Mais le premier tour de l’élection présidentielle chilienne, dimanche 16 novembre, a montré que, dix-neuf ans après le décès du dictateur Augusto Pinochet (1915-2006), le pinochétisme n’est pas mort.
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Le Monde
Par Angeline Montoya Publié hier à 20h00 Temps de Lecture 4 min.
Entre le candidat du Parti républicain, José Antonio Kast, arrivé deuxième, et Johannes Kaiser, du Parti national libertarien, arrivé quatrième, l’extrême droite a réuni 37,8 % des voix. Et il est très probable qu’au second tour, prévu le 14 décembre, M. Kast l’emporte sur la candidate de gauche, la communiste Jeannette Jara.
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| Aujourd’hui, j’ai commencé la journée par une conversation qui me tient toujours profondément à cœur : j’ai rencontré l’ancienne présidente Michelle Bachelet. 🇨🇱💙 / C’est un honneur pour moi de m’entretenir avec une femme qui a marqué l’histoire de notre pays et ouvert la voie à tant d’entre nous. Nous avons parlé de l’avenir du Chili, des droits pour lesquels les femmes se sont battues avec acharnement et de la manière de continuer à avancer avec espoir et conviction. / Comme toujours, l’ancienne présidente Bachelet a partagé généreusement son expérience et sa vision. Écouter une dirigeante chilienne et internationale de son envergure est une expérience enrichissante, et je lui suis très reconnaissante de sa chaleur humaine. / Continuons d’avancer ensemble pour un Chili solidaire, respectueux et tourné vers l’avenir. 🫱🏼🫲🏽❤️ jannette jara roman |
En 2017, M. Kast se présente une première fois à la présidentielle. Il assure que Pinochet, s’il avait été vivant, aurait voté pour lui. Il rend visite en prison à des personnes condamnées pour crimes contre l’humanité commis pendant la dictature, dont Miguel Krassnoff, qui cumule un total de mille ans de prison. « Je ne crois pas toutes les choses qu’on dit sur lui », assure le candidat.
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| Aujourd’hui, j’ai rencontré l’ancienne présidente Michelle Bachelet. jannette jara roman |
Son discours se modère légèrement en 2021, pour sa deuxième candidature. « Je ne nie pas que le gouvernement militaire a été un gouvernement autoritaire », reconnaît-il du bout des lèvres, tout en revendiquant l’héritage économique de la dictature – qui a pourtant laissé en 1990 un taux de pauvreté de 38 %. Mais il annonce aussi son opposition à la légalisation de l’avortement ou du mariage pour tous.
Gracier des tortionnaires
Pour cette dernière campagne, M. Kast s’est cette fois gardé de faire référence à la dictature et aux libertés individuelles, centrant son discours sur l’immigration, la sécurité et l’économie. Johannes Kaiser (13,9 % des voix au premier tour), au pinochétisme décomplexé, a occupé la place laissée libre. Trop jeune pour avoir pu voter au plébiscite de 1988, le candidat libertarien de 49 ans assure qu’il serait favorable à un coup d’Etat si les mêmes conditions qu’en 1973 se présentaient et a annoncé qu’il gracierait les militaires condamnés, y compris Miguel Krassnoff, s’il était élu. « On ne peut pas laisser pourrir des gens de 80 ou 90 ans en prison (…) juste parce qu’on n’est pas d’accord avec eux politiquement », a-t-il dit, faisant de tortionnaires condamnés pour des crimes de simples opposants politiques.
« Kaiser a poussé les limites du dicible, de l’audible lors de cette campagne, sans qu’il y ait de réaction de la droite traditionnelle », estime Stéphanie Alenda, chercheuse en sociologie à l’université Andrés Bello de Santiago.
La candidate de droite, Evelyn Matthei (12,4 % au premier tour), de l’Union démocrate indépendante (UDI), a de fait affirmé que le coup d’Etat avait été inévitable car, selon elle, le pays prenait en 1973 la direction de Cuba – alors que le gouvernement de Salvador Allende était résolument démocratique. Mme Matthei, qui a elle aussi voté « oui » à Pinochet en 1988, s’était d’ailleurs rendue à Londres, dix ans plus tard, pour soutenir le dictateur quand celui-ci avait été arrêté. Rien d’étonnant lorsque l’on sait que l’UDI a été fondé en 1983 par Jaime Guzman pour que le pinochétisme survive au régime militaire.
La société chilienne a toujours été divisée sur le sujet de la dictature. De fait, 44 % des Chiliens ont voté « oui » en 1988. Au cours des années post-dictature, la droite s’était progressivement éloignée de cet héritage. Sebastian Piñera, premier président de droite élu après le retour de la démocratie (2010-2014 puis 2018-2022), un des seuls à avoir voté « non » en 1988, avait heurté son propre camp en affirmant, en 2013, qu’il y avait eu beaucoup de « complices passifs » des atrocités commises par la dictature.
M. Kast, qui a lui-même d’abord adhéré à l’UDI, dont il a été député pendant quatre mandats, a rompu en 2016 avec cette droite devenue trop libérale à ses yeux, dans la volonté de récupérer ses valeurs traditionnelles : famille, ordre, conservatisme national.
Mais dix ans plus tard, le même Sebastian Piñera, à l’occasion des 50 ans du coup d’État, assurait que celui-ci avait été « inévitable » et que la gauche en avait été la première responsable en voulant imposer « une société marxiste ». « Le projet d’une droite démocratique détachée de l’héritage de la dictature, avec Piñera comme figure de proue, n’a jamais abouti », constate Claudia Heiss, politiste à l’université du Chili.
« Simple référence historique »
Depuis quelques années, le pays fait face à une hausse de l’insécurité, que la droite attribue à une hausse de l’immigration. Si le Chili reste un des pays les plus sûrs de la région, la sensation d’insécurité, elle, est une des plus élevées au monde, derrière le Zimbabwe, l’Eswatini, la Birmanie et le Tchad, selon le dernier Global Safety Report de l’agence Gallup.
« Les votes Kast et Kaiser sont le reflet de la demande de “main de fer” de la plupart des Chiliens », estime Axel Callis, analyste politique et directeur de la société de sondage Tuinfluyes. Selon un récent sondage publié par El Pais, 30 % des personnes interrogées estiment qu’Augusto Pinochet a été l’un des meilleurs dirigeants du pays, et 32 % sont d’accord ou très d’accord pour dire que si les politiques suivaient ses idéaux, le Chili retrouverait sa place dans le monde. A la question de savoir si un gouvernement autoritaire est préférable à la démocratie, ils sont 24 % à répondre par l’affirmative, mais 43 % parmi les électeurs de M. Kast et de M. Kaiser.
« Les cinquante ans écoulés depuis le coup d’État ont transformé la mémoire de ce drame en simple référence historique, considère Jean Mendelson, diplomate français spécialiste de l’Amérique latine. Deux générations, c’est le délai qu’il faut en général pour vérifier ce phénomène. En France, il a fallu attendre cinquante ans pour qu’un microgroupe de nostalgiques ou de partisans de Pétain prenne, à partir de la fin du XXème siècle, l’essor qui porte aujourd’hui le Rassemblement national aux portes du pouvoir. En Espagne, cinquante ans après la mort de Franco, Vox [parti d’extrême droite] a le vent en poupe. Et on peut multiplier les exemples. »
Angeline Montoya
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