dimanche, octobre 13, 2024

CE CÉPAGE BORDELAIS OUBLIÉ DEVENU L'EMBLÈME DU VIN AU CHILI

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LA CARMÉNÈRE FAIT LES BEAUX JOURS DES ROUGES CHILIENS. 
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LE FIGARO
Accueil Terroir et viticulture / Ce cépage bordelais oublié devenu l'emblème du vin au Chili / La carménère fait les beaux jours des rouges chiliens. / Portée disparue à la fin du XIXème siècle, le carménère a été retrouvé par hasard au Chili en novembre 1994. Son essor s'accompagne d'un progressif retour aux sources dans le Bordelais.

Par Valentin Hamon-Beugin

À Santiago du Chili

Quatrième exportateur de vins de la planète, le Chili célébrera en novembre 2024 le trentenaire d'un événement-clé pour le développement de sa filière viticole : la redécouverte du carménère. Jusqu'alors, les œnologues classaient ce cépage bordelais parmi les victimes du phylloxéra. Cette maladie engendrée par une espèce de pucerons avait ravagé le vignoble français durant la seconde moitié du XIXème siècle, entraînant la disparition de nombreuses variétés de raisins. Jean-Michel Boursiquot, spécialiste de l'ampélographie (l'étude de la vigne), a donc été particulièrement surpris de retrouver par hasard le carménère dans un vignoble chilien, qu'on lui présentait comme une plantation de merlot.

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«Il m'a fallu quelques minutes pour déterminer qu'il s'agissait de carménère, raconte le professeur, qui n'en avait pourtant vu qu'au sein des collections de l'Inrae. Le filet des étamines formait un zigzag, alors qu'il est droit chez tous les autres cépages». Mais comment cette variété a-t-elle atterri à 11 000 km de chez elle ? «Lorsque le Chili a cherché à accroître rapidement sa production de merlot, toutes les étapes de sélection n'ont pas été rigoureusement respectées, analyse Jean-Michel Boursiquot. Les vignerons ne connaissaient pas bien ces cépages, ramenés par des Français qui s'étaient expatriés, et les ont ainsi confondus».

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«Puissance animale» et «arômes de fruits rouges»

Loin de rougir de son erreur, le Chili a su transformer cette découverte en opportunité de se démarquer sur le marché mondial. «Le cabernet sauvignon reste de loin le cépage le plus répandu au sein des vignes du pays, mais le carménère est vraiment devenu notre cépage emblème», assure Manuela Astaburuaga, présidente de l'association nationale des ingénieurs agronomes œnologues. Depuis 2006, cette dernière organise tous les deux ans le concours Carmenere al Mundo, qui vise à promouvoir ces vins à l'international. Certaines bouteilles de carménère chilienne commencent même à remporter des prix dans des compétitions prestigieuses, comme les Decanter World Wine Awards, ce qui contribue à propager sa renommée.

Parallèlement, la carménère effectue peu à peu un retour aux sources dans le Bordelais. Alors que la France ne comptait plus que 7 hectares de carménère en 2002, elle en dénombrait 105 fin 2002. Dominique Fugier, ancien gérant des vignobles Robin Lafugie, fait partie des vignerons qui ont pris cet audacieux pari. «J'ai découvert la carménère lors d'un voyage au Chili, relate-t-il. J'ai été séduit par sa puissance animale, ses arômes de fruits rouges et sa couleur très sombre». Grâce à ses 45 ares de carménère, il a pu lancer un vin monocépage, baptisé Cham, dont il a produit 1 500 bouteilles en 2022. «Nous avons de très bons retours», affirme-t-il.


Une piste face au dérèglement climatique

La chambre d'agriculture de la Gironde s'intéresse également de près au carménère, si bien qu'elle a lancé un conservatoire dédié à la préservation du patrimoine génétique de ce cépage. «Nous avons même voyagé au Chili afin de ramener plusieurs sélections en Gironde», précise Roman Jehanno, chef du département de production du matériel végétal. L'objectif consiste à étudier les différentes sélections de cette variété afin de déterminer ses forces et ses faiblesses, pour accompagner au mieux les vignobles qui souhaiteraient en planter.

La culture du carménère reste aujourd'hui limitée en raison de ses deux principaux inconvénients : sa sensibilité au phénomène de coulure, une mauvaise fécondation qui entraîne la chute des fleurs et rend ainsi parfois le rendement erratique, et ses arômes de poivron vert, lorsque le raisin est récolté trop tôt. «Ces défauts seront probablement gommés avec le réchauffement climatique», nuance Roman Jehanno. La maturité du carménère étant tardive, les étés de plus en plus chauds devraient en effet favoriser la qualité de sa récolte. «Je pense que le carménère aura un rôle à jouer pour apporter un profil aromatique différent au sein du Bordelais, un peu de modernité».

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ILLUSTRATION DU CÉPAGE «CARMÉNÈRE»
PAR JULES TRONCY


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