mardi, octobre 15, 2024

« LES MIGRANTS SONT DEVENUS LES BOUCS ÉMISSAIRES » : SOUS PRESSION, LE CHILI DURCIT SES CONTRÔLES AUX FRONTIÈRES

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À PISIGUA, DE NOMBREUX MIGRANTS ILLÉGAUX TRAVERSENT LA
FRONTIÈRE ENTRE LA BOLIVIE ET LE CHILI AIDÉS PAR DES PASSEURS
PHOTO WILLIAM WROBLEWSKI

 « Les migrants sont devenus les boucs émissaires » : sous pression, le Chili durcit ses contrôles aux frontières / Avec près d'un million d'étrangers sur son territoire, le Chili est le pays où la préoccupation sur l'immigration a le plus augmenté en Amérique latine. Mis sous pression par l'opinion publique, le gouvernement vient d'annoncer de nouvelles mesures. [« La kastisation des esprits »]

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Par Marion Torquebiau

Il est 9 heures devant le Registre civil au cœur de Santiago du Chili. Près d'une centaine de personnes patientent, assises par terre, dans l'attente d'être reçu par le « Servicio Nacional de Migraciones ». Dans ce grand espace situé au fond d'un centre commercial, on reçoit aussi bien les Chiliens souhaitant déclarer une naissance que des étrangers venant régulariser leur situation.

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Marelbys et Wilmary sont là depuis 3 heures et demie du matin. Parties du Venezuela , ces deux trentenaires ont traversé les frontières colombiennes, équatoriennes, péruviennes, boliviennes pour arriver il y a deux ans au Chili par le désert d'Atacama. Un voyage éprouvant qui leur a coûté près de 700 dollars. « Vu la situation économique du Venezuela, nous n'avions pas assez d'argent pour payer un visa et arriver légalement au Chili. Aujourd'hui, cela nous bloque pour trouver du travail », explique Marelbys. Elle est diplômée de chirurgie tandis que son amie Wilmary est urgentiste. Malgré une pénurie de ces métiers au Chili, elles ne peuvent pas exercer dans le pays, faute de papiers officiels.

Aujourd'hui, elles ont pris rendez-vous au Registre civil dans l'espoir d'avancer vers une régularisation de leur situation. Des Vénézuéliens dans ce cas, ils sont des milliers au Chili. Le régime dictatorial de Nicolas Maduro et la crise économique ont fait fuir près de 7,7 millions de Vénézuéliens dans le monde, dont près de 533.000 se sont réfugiés au Chili, connu pour sa sécurité et sa stabilité économique.

Hausse de la délinquance

Une nouveauté pour ce pays dont les frontières naturelles ne favorisaient habituellement pas l'arrivée d'étrangers. Aujourd'hui, le Chili compte 19 millions d'habitants dont 1,6 million d'une autre nationalité, principalement des Vénézuéliens, des Péruviens ou des Haïtiens. Bien que la majorité se soit intégrée rapidement, la présence de ces étrangers est de plus en plus critiquée, car leur arrivée est allée de pair avec une hausse de la délinquance.

« De 2017 à 2022, les homicides ont augmenté de 40 %.»

Une réalité quotidienne dans le centre de Santiago. « La semaine dernière, deux personnes nous ont menacés et nous ont demandé de vider la caisse », racontent ces vendeuses d'un magasin de vêtement. « Si ce n'est pas nous, c'est le magasin en face. C'est un peu comme ça tout le temps, on s'y habitue », déplorent-elles. Une hausse des vols, mais aussi des homicides. Le 14 juillet dernier, dans la commune de Quilicura, au nord de Santiago, quatre adolescents ont été tués alors qu'ils célébraient un anniversaire. Un week-end particulièrement meurtrier où 18 personnes ont été assassinées à travers le pays. De 2017 à 2022, les homicides ont augmenté de 40 %.

Manque de formation de la police

Aujourd'hui, près de 90 % de la population se sent en insécurité et le Chili est le pays où la préoccupation sur l'immigration a le plus augmenté en Amérique latine, selon une enquête Ipsos. Un rapport de l'institut de sondage Datavoz confirme ce sentiment. Les résultats montrent que 63,4 % des Chiliens associent l'immigration avec la délinquance, une hausse de 8,4 % par rapport à 2021.

« Les migrants sont surtout devenus le bouc émissaire des problèmes sécuritaires », estime Diego Duran Toledo, professeur de sciences politiques à l'université du Chili. Les données juridiques sont claires : selon le parquet, en mars 2023, 9,2 % des condamnés au Chili étaient d'une autre nationalité, ce qui correspond quasiment à la proportion d'étrangers dans le pays. « En réalité, la hausse de l'insécurité s'explique essentiellement par la faiblesse de la police, leur manque de moyens et de formations », ajoute l'universitaire.

Mais les raccourcis arrivent vite et la demande de la population de contrôle de l'immigration est de plus en plus pressante. Au Parlement par exemple, des députés de Renovacion nacional - parti de l'ancien président Sebastian Pinera - ont proposé de suspendre pour six mois la délivrance de visas pour les citoyens de 13 nationalités, dont le Venezuela.

11,7 millions d'euros pour contrôler les frontières

Exhorté par son opposition et par l'opinion publique, le président Gabriel Boric est durement critiqué pour son manque d'action face à l'immigration illégale. Mais depuis quelques mois, le chef d'Etat de gauche a changé son fusil d'épaule. « Le Chili n'est pas en condition de recevoir encore plus de migrations », a-t-il précisé il y a deux semaines lors de l'assemblée générale des Nations unies.

La semaine dernière, lors d'un déplacement dans le nord du pays, le président a annoncé la livraison de matériel militaire sur les principaux postes frontières proches de la Bolivie. Fourgons, motos, caméras intelligentes, en tout, 12.000 millions de pesos - environ 11,7 millions d'euros - vont être investis pour renforcer la surveillance. Actuellement discuté au Parlement, le budget 2025 inclut également une hausse de 13,8 % des moyens des services de migrations et de 20 % du montant alloué aux frontières. Pour la ministre de l'Intérieur, Carolina Toha, ces chiffres prouvent que le gouvernement prend les choses au sérieux. « L'objectif, c'est que le Chili soit dans les meilleures conditions pour affronter les défis qui sont les siens », a-t-elle ajouté.

Hoy cerramos la Gira por la Región de Antofagasta concretando la entrega de 10 nuevos vehículos para el @Ejercito_Chile para reforzar el patrullaje fronterizo.


A lo largo de esta gira, hemos concretado una serie de medidas en seguridad porque así como es la primera prioridad de… pic.twitter.com/U10TTVjf9v

CAPTURE D'ÉCRAN X
— Gabriel Boric Font (@GabrielBoric) October 3, 2024

De leur côté, Marelbys et Wilmary attendent un miracle pour pouvoir enfin travailler dans leur secteur et espérer un regroupement familial. « Il faudrait un décret présidentiel qui permettrait de régulariser nos papiers », espèrent-elles. Une mesure qui semble loin des priorités immédiates de Gabriel Boric.

Marion Torquebiau

Marion Torquebiau  À  Santiago du Chili 

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