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PHOTO D’OUVERTURE : EVO MORALES LORS DE LA CLÔTURE DE LA RENCONTRE DE RUNASUR, SUR LE STADE D’IVIRGARZAMA (TROPIQUE DE COCHABAMBA). |
« Evo », dans son camp retranché / Actualités / Cochabamba, 2500 mètres d’altitude, en plein cœur des vallées centrales de la Bolivie. Climat agréable, apparente tranquillité. Pourtant, comme partout, aux abords des stations-services, d’interminables files de bahuts et de semi-remorques stationnent sur le bas côté. Pénurie de combustibles. Les chauffeurs désespèrent. Il faut parfois attendre plus de deux jours pour pouvoir faire le plein. À la veille des élections générales (présidentielle, législatives et sénatoriales) du 17 août, le pays traverse une crise économique dévastatrice. La carence de carburants n’en constitue qu’un aspect. La colère gronde, à fleur de peau : « Si Evo et Arce gagnent, on va devenir le Venezuela ! » Réunis par la droite dans une même opprobre : l’historique leader indigène Evo Morales (Mouvement vers le socialisme ; MAS), président de 2006 à 2019, année à la fin de laquelle il fut renversé par un coup d’État, alors qu’il venait d’être réélu [1] ; l’actuel président Luis Arce (MAS), élu en ce qui le concerne après un an de Bolivie aux mains des putschistes, fin 2020. [Le Maurice Lemoine Nouveau est arrivé ! ]
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Mémoire
des luttes
jeudi 21 août 2025 | Texte et photos de Maurice Lemoine
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PHOTO L'HUMANITÉ |
Entre Cochabamba et Shinahota, dans le Chapare (prononcer Chaparé), un peu plus de 150 kilomètres. Et une formidable barrière montagneuse. En chemin, sur une paroi rocheuse, on a pu discerner de grands traits de peinture blanche : « Lucho, traître ! » Venu de sa gauche et des fidèles… d’Evo Morales, dont il fut ministre de l’Économie, un message destiné à Luis « Lucho » Arce. Lequel, en ce mois d’août 2025, arrive au terme de son mandat avec un tel niveau d’impopularité qu’il a renoncé à se représenter. Tout en empêchant Morales, très critique à l’égard de sa gestion, mais aussi poursuivi par la justice et sous le coup d’un mandat d’arrêt, de postuler à nouveau à la fonction de chef de l’État.
Chili / élection présidentielle le 16 novembre 2025
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Une intelligence artificielle (IA) fut alimentée avec les sentiments des tweeters de chaque candidat à la présidence et a été invitée à voir ces sentiments reflétés dans l'image de chaque candidat et voici les résultats : @Jou_Kaiser, @jeannette_jara, @joseantoniokast, @evelynmatthei IMAGEN GENERADA POR IA |
► À penser en dessin : FENÊTRE SUR COUR
Cette guerre fratricide a pour résultat un séisme : là où le MAS était hégémonique depuis vingt ans, deux « dinosaures » de la droite bolivienne – le multimillionnaire Samuel Doria et Medina et l’ultralibéral Jorge « Tuto » Quiroga – pourraient virer en tête le 17 août et se disputer le second tour en octobre prochain. Les augures se trompent, mais seulement à demi : au terme du scrutin (95,41 % des bulletins de vote ayant été dépouillés), un outsider centriste bousculera les pronostics et obtiendra le meilleur score, Rodrigo Paz (Parti démocrate-chrétien ; 32,14 %). Quiroga (Libre) occupera la deuxième position avec 26,81 %. De l’Assemblée et du Sénat, la gauche disparaîtra quasi totalement.
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D’où une accusation récurrente, circulant déjà depuis de longs mois : l’obstination d’Evo Morales et de son « radicalisme conservateur » à revenir au pouvoir ont fracturé le camp progressiste et portent la responsabilité de cette défaite annoncée.
Shinahota – un foutoir grouillant d’échoppes, de commerces formels et informels, de gargotes, de simili fast-food exhalant des odeurs de poulet rôti ; gros 4x4, épaves juste bonnes pour la casse, camionnettes, bus, minibus, taxis collectifs, motos et motos-taxis vrombissent sans un instant de respiration. Avant de disparaître pour une durée indéterminée – le temps de trouver, éventuellement au marché noir, du carburant…
Du temps des narco-dictatures des années 1980, et à l’image des agglomérations environnantes – Villa Tunari, Chimoré, Ivirgazama –, Shinahota était une pustule tropicale où l’on vendait de la cocaïne comme du sucre ou de la farine, sur le marché. Aux producteurs initiaux de la matière première, la feuille de coca, s’ajoutèrent des milliers de mineurs reconvertis, chassés des mines d’étain de l’« altiplano » en raison des restructurations imposées par le Fonds monétaire international (FMI). Parmi eux, les parents aymaras d’Evo Morales, arrivé là gamin. Devenu ultérieurement (et toujours) dirigeant syndical des Six fédérations de producteurs de coca du Tropique de Cochabamba, puis, trajectoire exceptionnelle, chef de l’État. Avec, pour les classes populaires et en particulier autochtones, historiquement marginalisées, de spectaculaires progrès sociaux. Qui ont valu à Morales de devenir tout simplement « Evo ».
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Shinahota
Pour rencontrer Evo, il faut quitter Shinahota et, au terme d’un processus digne de l’admission au sein d’une guérilla, gagner Lauca Ñ, à vingt minutes de là. Tout de bois et de pailles, un poste de garde filtre véhicules et piétons. Un peu plus loin, derrière un portail métallique très surveillé, un groupe de bâtiments sans âme abrite le QG de l’ex-président et les locaux de la radio communautaire Kawsachun Coca. Tout autour, à chaque intersection, d’imposants tas de sable ou de caillasses, des traverses de bois et des obstacles en ferraille, des amoncellements noirs de pneus usagés permettraient, en cas d’intrusion policière, d’obstruer rapidement les voies de circulation. Sous l’abri de bâches de plastique bleu – il vient de pleuvoir à torrent –, des dizaines et des dizaines d’hommes, de femmes, de jeunes et de petites vieilles montent la garde pour empêcher qu’on ne s’empare de leur dirigeant.
Interdiction de photographier ! Curieux. Il n’y a dans ce camp retranché ni armes de poing, ni fusils d’assaut, ni artillerie, ni rien de ressemblant. Juste des bâtons – dont certains taillés en pointe, aux couleurs des syndicats « cocaleros ». Mais « por favor, pas de photos ». Un ordre est un ordre, quand bien même il est émis courtoisement. À défaut d’approuver – réflexe de journaliste oblige –, on peut comprendre. Evo est déjà inculpé pour « terrorisme », inutile d’en rajouter.
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POSTE DE CONTRÔLE À L’ENTRÉE DE LAUCA Ñ. |
Escorté par sa garde rapprochée, Evo arrive très tôt le matin à Lauca Ñ, en provenance des environs de Villa Tunari. Il vit là-bas depuis son retour d’exil en Argentine, consécutif au coup d’État de novembre 2019. Pour subsister, il pratique la pisciculture – un élevage de tambaquis, un poisson de la région. Il cultive des oranges. Il possède aussi son « cato » de coca de 40 mètres sur 40 mètres – les 1 600 mètres carrés auxquels ont droit tous les producteurs de la région. À défaut d’être chef de l’État, il préside le club de football de première division de Palmaflor del Trópico, propriété des syndicats.
À Lauca Ñ, le bureau d’Evo n’a rien de luxueux. Un grand portrait officiel datant de l’époque où il était chef de l’État éclaire d’une tache de lumière l’austérité du lieu. Malgré les années qui passent et les épreuves des derniers mois, Evo n’a pas changé. Un peu plus empâté, peut-être. Les yeux un peu plus fatigués. D’emblée, il nous confirme : oui, c’est bien lui qui a pris l’initiative de rompre avec Luis Arce. « A peine investi président, Lucho a annoncé qu’il supprimait quatre ministères, le Sport, la Culture, la Communication et l’Energie. Ça m’a surpris. Rétrécir l’État, c’est la recette du FMI, c’est ce qu’ont fait Lenín Moreno et Daniel Noboa [en Equateur], c’est ce que fait Javier Milei [en Argentine]. Je me suis dit, Lucho va se droitiser. »
Pas de fioritures. Evo développe immédiatement son raisonnement. L’une des raisons de la crise actuelle réside dans la chute de la production de gaz naturel – dont l’exportation vers le Brésil et l’Argentine constituait le premier apport économique du pays [2]. En ce qui concerne le pétrole, la Bolivie produit environ 60 000 barils par jour, de loin dépassés par la consommation intérieure. Ce déficit implique des importations substantielles, affectant les réserves en dollars, insuffisantes. D’ou les pénuries. Toutes tendances confondues, les spécialistes s’accordent sur les causes de cette déconfiture : un manque d’investissements dans l’exploration et la modernisation des infrastructures. Evo ne cache pas son irritation : « J’avais créé le ministère de l’Energie ! Si s’achevait le gaz, il fallait le remplacer par une politique d’énergies renouvelables et d’investissements. C’est le plan que j’avais. Lucho a fermé ce ministère. Et maintenant… Beau résultat ! »
Rien de définitif, néanmoins, sur le moment. En 2021, la droite menant la vie dure au pouvoir, Evo et les siens manifestent pour défendre Arce. Sauf que… « Il y a eu de la corruption. J’ai dit personnellement à Lucho, la politique ne se fait pas avec la famille, les affaires de tes enfants vont t’affecter et affecter le parti. » Prémonitoire. Les enfants en question sont de fait touchés par un scandale financier récemment révélé. « Lucho s’est mis en colère… » L’œil dur, l’ex-président cogne : de nombreux ministres fricotent avec des activités illicites. En 2022, il dénonce des faits précis et envoie des « audios » au ministère public pour qu’il enquête. Rien ne se passe. Interrogés, des fonctionnaires répondent à l’ancien président que, pour déclencher une investigation, il leur faut l’autorisation du ministre de l’Intérieur Eduardo del Castillo. « Depuis quand faut-il la permission du ministre de l’Intérieur pour que la Justice enquête sur des faits touchant à une protection du narcotrafic ? J’ai de la dignité, je ne peux pas être complice, j’ai pris mes distances en septembre 2022. »
À ce stade, rien ne nous permet de confirmer ou d’infirmer la véracité de ces accusations. Seul cas concret : le fameux prêt de 9,2 millions de dollars accordé aux enfants d’Arce, Rafael Ernesto et Camila, par l’établissement financier Banco Ganadero. Une telle somme octroyée en 2021 à des jeunes (20 et 25 ans) sans expérience professionnelle ni patrimoine de départ pour acheter à Santa Cruz une propriété de plus de 2 000 hectares et du matériel agricole pose d’autant plus question que, par ailleurs, cette banque a bénéficié de dépôts inhabituels de plus de 200 millions de dollars de la Gestionnaire publique des retraites, que contrôle le pouvoir. Interpellé, le président Arce a répondu que, dans ces diverses opérations, « tout est justifié » et s’est contenté de dénoncer Morales, censé politiser la question.
Volontairement ou non, et pas pour des raisons d’« egos », la guerre est alors déclarée. De part et d’autre, les blessures infligées s’infectent. À l’Assemblée, la division du MAS entre « réformateurs » autoproclamés et « evistas » certifiés paralyse en partie l’action du gouvernement.
À proximité immédiate du bureau d’« Evo », Radio Kawsachun Coca (RKC) diffuse ses quatre bulletins d’information quotidiens. En quechua à 6 heures du matin ; en espagnol à 7, 12 et 17 heures ; en quechua et en aymara à 18 heures. En soirée, débats, discussions, analyses. Après nous avoir traduit « Kawsachun Coca » – « Que vive la coca ! » – l’actuel directeur, Ramiro García Ochoa, en explique l’origine : « Ce média a été créé par le Comité exécutif des Six fédérations, il y a dix-neuf ans, pour accompagner la campagne “Coca n’est pas cocaïne” ». De fait, si la feuille est la base de la préparation de la « blanche », elle est, en Bolivie, légalement utilisée pour la production d’infusions, de pommades, de farines ou d’énergisants. Dans le Chapare comme sur l’ « altiplano », d’énormes chiques déforment les joues des hommes et des femmes qui la mâchent à longueur de journée.
Il n’empêche. Son origine de syndicaliste « cocalero » a, depuis son entrée en politique, permis à l’opposition et aux États-Unis – qui ne font qu’un – d’accuser Evo de liens avec le narcotrafic. Aujourd’hui encore, le fait qu’il ait trouvé refuge dans cette zone où, partout, sur de grandes bâches plastiques, sèchent les feuilles de coca, fait de lui un soi-disant suppôt et obligé des mafieux. Pure manipulation. De tous temps, s’il a défendu les « cocaleros » en butte à la répression et milité pour la légalisation internationale de la feuille de coca, Evo a dénoncé les trafiquants qui « s’enrichissent sur le dos des gens ». Durant ses mandats, s’il n’a pas fait de miracles, il a régulièrement été félicité par le Bureau des Nations unies contre les drogues et le délit (UNODC). Partie de 48 000 hectares en 1995, la production, qui approchait encore les 28 000 ha en 2004, a été stabilisée sous sa présidence, par la négociation, sans répression, à 22 000 ha. Pendant la même période, les surfaces cultivées explosaient littéralement au Pérou et en Colombie.
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RÉPRESSION DES « COCALEROS », DANS LE CHAPARE, SOUS L A PRÉSIDENCE DE GONZALO SÁNCHEZ DE LOZADA (1995). |
Lorsque le pouvoir rompt les amarres avec Evo, RKC, désormais pourvu d’une audience nationale, se retrouve dans le collimateur avec lui.
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RAMIRO GARCIA OCHOA DANS LE STUDIO DE RADIO KAWSACHUN COCA (RKC). |
Au fil de son mandat, l’évolution d’Arce passe très mal. Voici que, se positionnant en gouvernant responsable pris en tenaille entre radicaux de droite et fondamentalistes d’extrême gauche, il met sur le même plan les putschistes d’hier et Evo Morales ! Voici qu’apparaît, après filtrations, un « Plan noir », secret, qui n’a bientôt plus de secrets pour personne. Il faut sortir Morales du champ politique, Arce prévoyant de se représenter à la présidentielle de 2025. Une nouvelle filtration confirme la stratégie quand le ministre de la Justice Cesar Ciles ordonne au président du Tribunal suprême électoral (TSE) Tahuichi Quispe de rédiger une sentence interdisant la candidature de l’ex-chef de l’État. Ramiro García réprime un soupire : « Au lieu d’attaquer la droite, Lucho ne s’en est pris qu’à Evo, à tel point que la droite a commencé à monter, monter, monter… »
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Candidate de la coalition Unité pour le Chili pour l'élection présidentielle de 2025. |
Plus controversées les unes que les autres, chacun défendant son point de vue, les grands manœuvres ont effectivement débuté. Congrès de la Confédération sociale unique des travailleurs paysans de Bolivie (CSUTCB), à El Alto, en périphérie populaire de La Paz, du 18 au 20 août 2023. En tant que président des Six Fédérations du Tropique, Evo est membre de la CSUTCB. Avec ses 4 millions de militants, cette dernière pèse d’un poids déterminant au sein du MAS-IPSP (Mouvement vers le socialisme-Instrument politique pour la souveraineté des peuples) qui, bientôt, réélira sa direction nationale et son président. Le Congrès décide de la réélection de Morales à cette fonction. Cris, jurons, invectives. En tenue anti-émeutes, la police entoure et investit les lieux, gaze les occupants. Le même jour, Arce installe un autre Congrès et, entre quatre murs, fait d’un de ses obligés, Lucio Quispe, le président du syndicat.
Suite logique : fort de l’aval du TSE, Morales, encore président du MAS, convoque un Congrès national – ce qu’il est le seul habilité à faire par les statuts – du 3 au 5 octobre 2023, en plein cœur de son fief, à Lauca Ñ. À l’instar des organisations qui lui sont proches et s’estiment non suffisamment représentées – Confédération ouvrière de Bolivie (COB), CSUTCB « nouvelle formule », etc. –, Arce annonce qu’il ne s’y rendra pas. Mille soixante-quinze délégués prononcent de ce fait son « auto-expulsion » et celle du vice-président indigéniste David Choquehuanca. Ratifié à la tête du mouvement, Evo est proclamé candidat à la présidence. Pour très peu de temps. Sous la pression du pouvoir, le Tribunal constitutionnel déclare « nul » le Congrès qui vient de s’achever tandis que le TSE tourne casaque et ordonne d’en organiser un nouveau. Considéré comme l’héritier politique d’Evo Morales, originaire comme lui du Chapare et vice-président des Six Fédération « cocaleras », le jeune président du Sénat Andrónico Rodríguez lance un avertissement : « Notre gouvernement doit très sérieusement prendre en compte que, en attaquant Evo de façon planifiée, comme s’il était l’ennemi principal, il affaiblit le parti. » Rodríguez parle dans le vide. « On nous a dépouillés du sigle », dénonce aujourd’hui Evo. En mai 2024, un nouveau Congrès organisé sans lui a effectivement proclamé président du MAS Grover García, leader de la… CSUTCB « revisitée ». Lequel reprend et amplifie le grand air de la « rénovation ».
Manifestations, marches de protestation et blocages de routes se multiplient à travers le pays. Nombreux blessés. Quatre civils et trois policiers perdent la vie. Les arrestations pleuvent, de plus d’une centaine de dirigeants, indigènes et paysans – dont Humberto Claros, de la CSUTCB « originelle » et Ramiro Jorge Cuchon du mouvement indigène Conamaq. Accusé par le « droitier » ministre del Castillo de promouvoir un coup d’État, Evo est inculpé pour « terrorisme ». L’accusation s’ajoute aux poursuites judiciaires déjà entamées contre lui pour un crime particulièrement stigmatisant : « estupro » (abus sexuel sur mineure). Consulté sur ce point, l’ex-président serre les dents : « Les généraux et les colonels du Plan Condor des années 1970 ont été remplacés par les juges et les procureurs d’un nouveau Plan Condor 2.0. »
L’affaire date de 2016, lorsqu’il était encore chef de l’État. D’une relation qu’aurait eu Morales avec une mineure de quinze ans, Cindy Vargas, serait né un bébé. Le tout avec le consentement des parents, en échange d’avantages. Mais encore ? Aucune plainte n’a été déposée par quiconque, aucune preuve n’étaie les allégations. En 2020, sous le régime dictatorial de Janine Añez, l’affaire a été classée sans suite. Par écrit, Cindy Vargas a juré n’avoir jamais été la victime d’Evo. Pour la millième fois, en janvier 2025, en même temps qu’elle présentait un mémoire devant le Tribunal d’instruction pénale et contre la violence envers les femmes de Tarija, la supposée victime a publiquement protesté. Niant avoir été « victime d’agression sexuelle par qui que ce soit », précisant « personne ne m’a jamais payée ou donné quoi que ce soit en échange de sympathie ou de faveurs sentimentales », elle a demandé au ministre de l’Intérieur Eduardo del Castillo de ne pas « l’utiliser à des fins politiques » en s’immisçant dans sa vie privée et en déformant les faits.
En novembre 2024, l’ancienne vice-ministre de l’Egalité des chances, Nadia Cruz, avait pour sa part expliqué les raisons de sa démission pendant le mandat du président Arce. Sollicitée pour apporter « son soutien » dans l’accusation initiale de « viol » contre Evo Morales, elle avait demandé que lui soient transmises les informations relatives à l’affaire afin d’analyser la gravité du sujet. « Ils m’ont dit oui, mais ne m’ont jamais rien transmis ». Elle réitéra sa demande. « Là, ils m’ont dit de reprendre un scénario » basé sur les informations… parues dans les médias. « J’ai dit : j’ai besoin de connaître l’affaire et ils m’ont répondu (...) le moment est politique. Ici, c’est noir ou blanc, gagner ou mourir [3]. »
Inculpé, convoqué par la justice » début 2025, l’ex-président a refusé de comparaître, présageant une détention et un « emprisonnement préventif ». C’est à ce moment qu’il s’est définitivement réfugié dans le Chapare.
Rien de pire qu’une guerre fratricide. Déjà cassé en deux, le MAS – qui n’est pas un parti mais un conglomérat de mouvements, eux-mêmes divisés en interne – explose en mille morceaux. Evo s’en prend à celui qui fut son brillant vice-président, Álvaro García Linera. « Il a dit “Lucho gouverne bien et son meilleur ministre est Eduardo del Castillo” ! Je ne suis pas d’accord, on s’est éloignés. » Effondré devant cet affrontement mortifère, García Linera renvoie tout le monde dos à dos. Pendant ce temps, Evo répudie également son protégé Andrónico Rodríguez. Considérant mortelle la lutte entre Arce et Morales, celui-ci a décidé de se présenter à la présidentielle en se positionnant au centre-gauche, sans en référer au Comité exécutif des Six fédérations de « cocaleros », dont il est pourtant le vice-président, et qui, après un vote, s’est prononcé pour Evo. « Andrónico a abandonné son peuple, fustige ce dernier. Il n’a pas respecté les règles syndicales. C’est son droit. Il affirme qu’il faut sortir de l’État paternaliste et entrepreneur. » Quelque peu excessif au regard du programme de l’intéressé, le verdict tombe : « Banque mondiale, Milei, FMI ! » Qui plus est, on prétend le jeune sénateur conseillé en sous-main par García Linera…
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CAMPAGNE ÉLECTORALE (COCHABAMBA). |
De la colère à la paranoïa il peut n’y avoir qu’un pas. « En permanence, au sein du groupe de pouvoir, Hugo Moldiz dit : “Il faut tuer Evo ! Il faut tuer Evo” ! » Moldiz !!! Avocat, universitaire, ministre de l’Intérieur en 2015. Pendant le coup d’État, on l’a vu se démener, en particulier sur TeleSur, pour dénoncer les putschistes et soutenir Evo. Il demeure fréquemment interviewé par les journalistes de cette chaîne progressiste créée par Hugo Chávez dès qu’il s’agit d’évoquer la Bolivie. S’il s’oppose désormais radicalement à Evo, repeint en « radical conservateur », on imagine mal Moldiz – sauf énorme erreur d’analyse – faisant partie des exécuteurs de basses besognes aux mains rouges de sang. Pour nier la « droitisation » d’Arce, il déploie d’ailleurs une batterie d’arguments qui ne peuvent être écartés d’un revers de main : le gouvernement n’a rien privatisé, n’a passé aucun accord avec le FMI, n’a pris aucune mesure privilégiant les très réactionnaires agro-industriels et, en matière de politique étrangère, est demeuré membre de l’Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique (ALBA) chère à Cuba, au Nicaragua et au Venezuela. Arce ne lorgne-t-il pas en direction des BRICS et n’a-t-il pas rompu les relations diplomatiques avec Israël, suite aux pratiques génocidaires de Benjamin Netanyahou à Gaza ?
Va pour Moldiz. Mais, comme on l’a souvent prétendu avec humour au sujet de Fidel Castro, on peut à la fois être paranoïaque et… réellement menacé ! Le 27 octobre 2024, comme tous les dimanches, Evo part de Villa Tunari à 6 heures du matin pour se rendre à Lauca Ñ et y enregistrer son émission dans le studio de RKC. Un groupe d’hommes en civil cagoulés et fortement armés intercepte son véhicule et celui de son escorte et ouvre le feu. La première camionnette est atteinte de quatre impacts, dont l’un crève un pneumatique. Evo se précipite dans la seconde. Blessant le conducteur, quatorze nouveaux tirs font mouche sur les vitres et la carrosserie. Le convoi parvient à s’extraire du traquenard. Blindés, les deux véhicules ont été offerts à Evo par la République bolivarienne du Venezuela. Ils lui ont sans doute sauvé la vie. Pour leur part, les assaillants se précipitent dans la caserne de la Neuvième division de l’armée, à Villa Tunari, y abandonnent leurs deux camionnettes et sont immédiatement évacués par hélicoptère.
« Il n’y a eu aucune enquête », nous confie Evo. Sur l’instant, le gouvernement l’a accusé d’avoir « mis en scène l’attaque » et d’avoir délibérément « cherché à forcer un barrage de police anti-narco ». Sa garde, illégalement armée, aurait tiré en premier sur les policiers !
« Une version invraisemblable et infantile », estima l’ex-procureur général Wilfredo Chávez. Si c’était une opération régulière, pourquoi les policiers se sont-ils échappés en abandonnant leurs camionnettes ? » Pour sa part, l’ex-ministre de l’Intérieur Carlos Romero, estime que l’embuscade a été réalisée par des policiers d’élite et non par des agents de la Force spéciale de lutte contre le narcotrafic (FELCN). « Ceux-ci ne sont pas en civil et masqués. Ce sont des agents en uniforme avec des véhicules [Nissan Patrol] officiels (…) [4]. »
► À lire aussi : BOLIVIE : EVO MORALES VICTIME D’UNE TENTATIVE D’ASSASSINAT ?
L’attentat fait grand bruit. C’est un moment clé. « À partir de ce jour, raconte Ramiro García, la base a décidé de s’installer à Lauca Ñ pour y protéger la vie de son leader indigène ainsi que la radio. » De façon organique, disciplinée, les membres de la « vigilia » se relaient depuis, chaque jour, sur l’un des trois anneaux de sécurité, envoyés par leur syndicat. Aucune obligation. Pas de dictature syndicale, comme l’affirment les médias. Une grande tendresse, une totale loyauté à l’égard d’Evo Morales, présent à leurs côtés depuis qu’il fut nommé secrétaire aux sports du syndicat, en 1982. Dit autrement par un militant : « En tant d’années de mobilisation, Evo a marché avec nous, dormi avec nous sous les intempéries, bu l’eau des “rios”, mangé notre pain et avalé nos cafés… Une personne avec qui tu as passé ta vie, jamais tu ne vas l’abandonner. » Ils aiment « Evo ». Ils le respectent. Ils ont froid, ils ont chaud, ils supportent la pluie depuis neuf mois. Ils ne lâchent pas. Et rêvent de voir Evo revenir à la présidence – la « Casa Grande ».
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2006 : PREMIÈRE CAMPAGNE D’EVO MORALES ET D’ÁLVARO GARCÍA LINERA. |
Article 168 de la Constitution de l’État plurinational de Bolivie : « Le mandat du Président et du Vice-président de l’État est de cinq ans et ils peuvent être réélus une seule fois de manière continue [5]. »
Six ans après la fin du dernier mandat de Morales, nul ne peut invoquer aujourd’hui une quelconque « continuité ». En droit, il peut se représenter ; comme l’a fait au Brésil Luiz Inácio Lula da Silva, revenu au pouvoir en 2020.
Le 30 juin 2024, pour sortir de l’impasse et « sauver la Bolivie », Evo propose à Arce des primaires ouvertes, ce qu’il avait refusé jusque-là. Cette fois, c’est Arce qui décline l’offre, sachant qu’il serait dominé par son prédécesseur, infiniment plus populaire que lui. Puis Arce annonce, le 13 mai 2025, sur la chaîne officielle Bolivia TV, qu’il renonce à briguer un second mandat. Publié fin mars par la société de conseil Captura, un sondage le crédite de seulement 1 % d’intentions de vote. « Je propose (…) l’union la plus large de la gauche, des organisations sociales et du peuple en général autour d’un programme pour aller de l’avant, en resserrant les rangs autour du candidat qui a le plus de chances de vaincre les pilleurs de la Bolivie », précise-t-il.
Le candidat qui a le plus de chance ? N’importe qui, sauf Evo Morales ! Malgré ce présupposé, qui en arrange plus d’un, personne ne répond à l’appel d’Arce. Le 19 mars, le « président » du MAS Grover García annonce qu’il lance dans la course à la présidentielle Eduardo del Castillo, le plus droitier des ministres d’Arce, le plus féroce de ceux qui veulent expédier Evo en prison.
Dépouillé puis expulsé du MAS, le dirigeant historique n’a plus de parti. Le 6 avril 2025, à Lauca Ñ, a lieu la première réunion d’une nouvelle formation, Evo Pueblo (Evo Peuple ou, au choix, Peuple Evo). Ce qui ne résout qu’une partie du problème. Evo Pueblo ne dispose pas de statut juridique, déjà très long à obtenir en situation normale. Deux partis s’offrent dès lors pour accueillir et présenter le candidat Morales. Le Front pour la victoire (FPV), puis, après échec de cette éventuelle formule, le Parti d’action nationale bolivienne (Pan-bol). Le pouvoir multiplie les chausse-trappes. « Cette organisation n’a plus d’existence légale depuis qu’elle a obtenu moins de 3 % des voix (0,52 %) lors de la présidentielle de 2020 », explique, le 7 mai 2025, à quelques jours de la clôture de la réception des candidatures, le secrétaire de la Chambre du TSE Fernando Arteaga. Nommé par la présidente de facto Janine Añez, Arteaga « oublie » que cette disposition a été suspendue, les élections de 2020 s’étant déroulées dans des conditions exceptionnelles, en raison de la pandémie de Covid. La Chambre constitutionnelle de La Paz, elle, s’en souvient et autorise Pan-bol à réintégrer la course. Le TSE s’incline, mais… maintient l’exclusion d’Evo Morales au motif qu’il dépose sa candidature hors délai, la date butoir ayant été fixée au 19 mai.
Mis définitivement hors course, Evo nous montre une série de sondages préélectoraux. Il ne décolère pas. Là où son nom figure, il arrive largement en tête : 35 % (6 juillet), 45,7 % (Unitel, 13 juillet) ; ses suivants, Medina et Quiroga ne dépassent pas, respectivement, 27 % et 15 %. Là où il est exclu de la compétition, les deux dinosaures de la droite sont annoncés au second tour avec des scores avoisinant les 20 %. A gauche, c’est la débandade. Conspué qu’il est par ses ex-camarades « evistas », considéré dans les milieux populaires comme un « bobo », Andrónico Rodríguez ne parvient pas à décoller ; candidat officiel du MAS, del Castillo stagne à un humiliant 2 %.
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Shinahota. Une vraie cohue. Trois doses d’oxyde de carbone, une dose d’oxygène. En flot, les minibus à destination de Chimoré se succèdent, comme une marée. Chacun ne dispose que de sept à dix places. Il faut littéralement se battre pour y accéder. Même si règne la bonne humeur. Même si s’agitent fanions et « whipalas » – les drapeaux carrés aux sept couleurs brandis par les Indigènes des pays andins.
Trente minutes de voyage pour une poignée de « bolivianos » – la monnaie nationale. Chimoré. Une sorte de Shinahota bis, animé, populeux. En car pour ceux qui arrivent de loin collectivement, à pied, en moto-taxi, chacun comme il peut, la foule des « evistas » se dirige vers le stade « Hugo Chávez ».
Étonnant... Alors que beaucoup croient Evo « relégué » dans son bastion, voilà que, pour marquer le deux-centième anniversaire de l’indépendance de la Bolivie, il y organise, deux manifestations : un Festival de musique traditionnelle, ici, à Chimoré (31 juillet-1er août), et, à Ivirgarzama (2 et 3 août), une rencontre de RUNASUR – volet afro-indigéno-paysan créé en marge de l’Union des nations sud-américaines (Unasur). Plusieurs dizaines de milliers de personnes vont répondre à chacun de ces rendez-vous.
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Ecrasante chaleur, éclatante lumière du début d’après-midi. Un air chargé d’ondes positives. Aux abords du stade, on vend des casquettes, on achète des drapeaux « Evo Pueblo ». Des feux de charbon de bois flamboient dans des braseros de fer. On rit, on s’interpelle, on boustifaille – soupes, « empanadas », « pollo frito », « yucca », « papas rellenas », café et jus de fruits.
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Une plaie encore ouverte : un panneau s’élève, qui stigmatise les criminels du coup d’État de 2019. Institutrice en maternelle à La Paz, Isis Molina nous raconte comment, à cette occasion, elle fut détenue. « Je n’étais militante de rien. On était des hommes et des femmes qui souffraient en pensant qu’ils allaient perdre la démocratie et leurs ressources naturelles à cause de l’impérialisme yankee. » Elle soupire : « Et maintenant, avec cette proscription de notre compañero Evo… » Elle se redresse : « On est en alerte, bien réveillés, on va gagner, on est cinq millions à l’appuyer ! »
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DES MEMBRES DU COMITÉ POUR LA JUSTICE DÉNONCENT LES RESPONSABLES DU COUP D’ÉTAT DE 2019. |
Les tribunes, pleines. La pelouse, envahie par la soixantaine de groupes qui ont fait le déplacement. Hommes costumés, multicolores ; « cholas » en « pollera » [6]. Les traditions se croisent, les mythes s’agglutinent. Un musicien du groupe Sikuriada (« municipio » Tapacari, province de Cochabamba) évoque fièrement son « toyo » – curieux instrument à vent fait de tuyaux. Il ne rechigne pas à parler politique. « Beaucoup de gens des seize provinces soutiennent Evo parce qu’il a mené le processus de changement. Le président Arce ne vient pas vers le peuple, donc il n’a pas beaucoup d’appuis. »
Une clameur. Evo – le voilà. Il inaugure l’événement. Evo dit : « C’est millénaire, nos ancêtres ont résisté en chantant et en dansant. Cette diversité culturelle est la richesse de notre identité, de notre dignité. » Un voile de mélancolie ternit son regard : « J’écoutais ma mère, en hiver, qui chantait en aymara à ses brebis. Moi, enfant… si seulement j’avais pu l’enregistrer… Il faut récupérer tout ça. » Il va terminer son intervention, il lève le poing : « Quoi qu’ils fassent, quoi qu’ils disent, jamais ils ne vont éliminer le mouvement paysan ! »
Que la fête commence – explosion de couleurs, costumes brodés de motifs andins, cuivres, tambours, cymbales, kenas...
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FESTIVAL NATIONAL DE MUSIQUE AUTOCHTONE, CHIMORÉ (31 JUILLET-1ER AOÛT 2025). |
Samedi et dimanche, RUNASUR – l’Unasur des peuples indigènes. Les délégations arrivent du Pérou, d’Equateur, d’Argentine, de Colombie, du Guatemala, du Chili et du Brésil. Emmenée par Blanca Eekhout, ex-ministre des Communes et actuelle présidente de la Commission permanente pour le développement des Communes [7], celle qui arrive de Caracas est une représentation officielle de la République bolivarienne du Venezuela. Laquelle, évitant toute ingérence et maintenant un équilibre difficile, enverra son ministre des Affaires étrangères Iván Gil participer aux cérémonies du Bicentenaire aux côtés de Luis Arce. Mais, manifestement, ne lâche » pas Evo. Qui, d’ailleurs, et bien peu d’observateurs l’ont noté, a reçu le 7 juin 2025 un message de solidarité se positionnant « aux côtés du Bloc national et populaire et du Mouvement indigène », d’une centaine d’intellectuels et représentants politiques de tout premier plan [8].
Côté pouvoir, pas de surprise : intercepté à l’Aéroport « Viru Viru » de Santa Cruz, le dirigeant indigène équatorien Humberto Cholango s’est vu interdire l’entrée sur le territoire. Deux militantes guatémaltèques ont subi le même sort. Mais, globalement, pas d’incidents notoires : représentants de gauches radicales de la « Patria Grande », tous les invités sont là.
Clôture de la réunion au stade d’Ivirgarzama. Quinze mille, vingt mille, trente mille personnes ? N’étant ni la police ni l’organisateur, on ne tranchera pas ici. Un stade comble, des gradins pleins, une pelouse envahie, sous un soleil de plomb. Ne rassemblant que de 1 500 à 2 000 personnes, les meetings de fin de campagne des candidats autorisés paraîtront bien rachitiques à côté de ce déferlement. Evo danse, au milieu de son « pueblo ». Ponctuées de « Viva notre commandante ! » et de chants où il est question de « coca » et de « yankees », les annonces se succèdent. Au terme des débats, les représentants des délégations dénoncent le nouveau « Plan Condor judiciaire » déchainé contre les dirigeants de gauche latino-américains – Rafael Correa, Jorge Glass, Cristina Kirchner, Evo, Nicolás Maduro (directement depuis Washington, dans son cas), etc. – consacrent les services publics comme des « droits humains universels », prônent le passage « d’une Bolivie plurinationale à une Amérique plurinationale » et, fort classiquement, affirment la nécessité de « créer un mouvement intercontinental » pour « défendre la vie et l’humanité ».
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CLÔTURE DE LA RENCONTRE DE RUNASUR, SUR LE STADE D’IVIRGARZAMA. |
Surtout, ces quatre jours permettent de confirmer la stratégie désormais adoptée par les « evistas » : un appel au vote nul. « Evo Pueblo, le mouvement de la Bolivie profonde, ne participe pas au scrutin, s’exclame un militant. On en revient au peuple. Sans Bolivie profonde, il n’y a pas de démocratie ! »
« Nos sommes en rébellion contre ces candidats qui ne nous représentent pas », crie très fort Luzbeña, dirigeante de la Jeunesse du Trópico.
« La droite entre en panique parce qu’elle sait qu’on est la majorité ! »
David Veizaga, solide gaillard, vice-président des Interculturels de Bolivie : « Nous reviendrons, et nous serons des millions ! Ce n’est pas une réminiscence du passé, mais un avertissement » [9].
Et tous à l’unisson.
Si elle admet que ce vote nul va mathématiquement favoriser la droite, celle qui eut été candidate à la vice-présidence aux côtés d’Evo, son ex-ministre de la Culture Wilma Alanoca, laisse transparaître son indignation : « La droite et le gouvernement d’Arce se sont unis pour proscrire Evo, poussant les gens à cette option douloureuse. Pour nous, ce vote nul représente le rejet d’élections tronquées car cette élimination touche non seulement notre leader, mais aussi le mouvement indigène-paysan-populaire tout entier. »
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IVIRGARZAMA : DÉBUT DE LA CAMPAGNE DU « VOTE NUL » – « SANS EVO SUR LES BULLETINS, MON VOTE EST NUL ». |
Le 17 août a apporté son verdict. Rodrigo Paz (32,14 %) et Jorge Quiroga (26,81 %) se disputeront le second tour. La « troisième voie » d’Andrónico Rodríguez n’a recueilli que 8,22 % des voix ; le MAS d’Eduardo del Castillo, 3,16 %. La somme de ces deux candidats « de gauche » est inférieure au score du « vote nul », un spectaculaire 19,38 % (quand la moyenne, lors des élections antérieures, était de l’ordre de 6 %). Si l’on y rajoute les bulletins blancs, on atteint 22 %. Fort message, dénué d’ambigüité. Evo demeure le référent de la gauche indigène, paysanne et populaire. Le mythe de la « rénovation » prenant le pas sur un « conservatisme » dépassé en prend un sérieux coup.
A l’Assemblée et au Sénat, c’est la Berezina. La gauche « officielle » ne devrait y avoir, au maximum, que… six représentants (cinq législateurs de l’Alliance populaire d’Andronico Rodríguez, un du MAS) ! Personne au Sénat. Avant de prôner le « vote nul », les candidats « evistas », en rupture, ont été interdits de scrutin, sciemment privés de partis leur permettant de se présenter. Qui a réellement ouvert un boulevard à la droite ? Cette dernière s’est jurée d’arrêter Evo Morales. S’il arrive à la présidence, il n’est pas sûr que Rodrigo Paz poursuive à tout prix cet objectif. Certes partisan d’un « capitalisme populaire », ce fils d’un président par intermittence social-démocrate, Jaime Paz Zamora (1989-1993), prône la réconciliation nationale et, surtout, serait doté d’un vice-président particulièrement atypique. Ex-capitaine dans la Police nationale, celui-ci, Edman Lara, destitué sous le gouvernement Arce pour avoir dénoncé des cas de corruption au sein de l’institution, a clôturé ses meetings de campagne par la diffusion du célèbre hymne du groupe chilien Quillapayun « El Pueblo unido jamás sera vencido ». Stratégie maligne pour se rallier des segments de la gauche ou conviction authentique ? L’avenir le dira.
En revanche, aucun doute si devait triompher le réactionnaire Quiroga. La capture d’Evo constituerait pour cet idéologue, lié à toute la droite radicale latino-américaine et européenne, une priorité. Que se passerait-il à Lauca Ñ ?
« Ici, grimace Ramiro García avant de se réinstaller devant son micro pour y lancer la prochaine émission de RKC, les gens montent la garde pour empêcher qu’on arrête leur dirigeant, mais personne ne veut l’affrontement. Pas même Evo qui, souvent, leur demande de rentrer chez eux. Certes, la “vigilia” a installé des postes qui ressemblent à des postes militaires, mais on n’y voit que des Boliviens normaux, des femmes, des vieux. Si tu voulais l’affrontement, tu n’aurais pas ces gens-là, tu n’aurais que des jeunes, nombreux et entraînés. S’il y a une intervention, les policiers ou les militaires viendront avec des fusils, des mitrailleuses… Les militants résisteront. Les seules armes qu’il y a, ici, c’est des bâtons. Ça ne sera pas un affrontement, ça sera un massacre. »
Photo d’ouverture : Evo Morales lors de la clôture de la rencontre de RUNASUR, sur le stade d’Ivirgarzama (Tropique de Cochabamba).
Notes :
[1] Lire « Les petits télégraphistes du coup d’État qui n’existe pas » (4 février 2020 – https://www.medelu.org/Les-petits-telegraphistes-du-coup-d-État-qui-n-existe-pas
[2] La production a chuté de 59 millions de mètres cubes par jour en 2014 à 37 millions fin 2023.
[3] La Razón, La Paz, 8 novembre 2024.
[4] https://www.la-razon.com/nacional/2024/10/29/romero-senala-que-operativo-contra-evo-fue-realizado-con-agentes-de-elite-y-no-de-la-felcn/
[5] Artículo 168. « El periodo de mandato de la Presidenta o del Presidente y de la Vicepresidenta o del Vicepresidente del Estado es de cinco años, y pueden ser reelectas o reelectos por una sola vez de manera continua. »
[6] « Cholas » : femme de l’ « altiplano » ayant une forte identification à la culture indigène : « polleras » : surjupes aux couleurs vives.
[7] Lire « Communes et communards du Venezuela » (6 janvier 2025) – https://www.medelu.org/Communes-et-communards-du-Venezuela
[8] Atilio A. Boron (Argentine), Andrés Arauz (ex-candidat « Révolution citoyenne » à la présidence de l’Equateur), Gabriela Rivadeneira (ex-présidente de l’Assemblée nationale équatorienne), Pablo Iglesias et Juan Carlos Monedero (Espagne), Daniel Jadue ex-maire PC de Recoleta ; Chili), Nidia Díaz (Internacionalae antifascista ; El Salvador), Anahi Durand Guevara (ex-ministre de la Femme ; Pérou), Marcelo A. Maisonnave (Observatoire du Lawfare ; Argentine), Marco Terrugi (journaliste ; argentine), etc. Voir : https://kawsachuncoca.com/wp/2025/06/07/importantes-personalidades-de-europa-y-america-se-pronuncian-por-la-coyuntura-en-bolivia/
[9] « Je reviendrai et nous serons des millions » : phrase attribuée au chef rebelle aymara Tupac Katari, avant son exécution et son démembrement par les Espagnols pour avoir mené l’insurrection de 1780-1781 dans le Haut-Pérou, dont l’actuelle Bolivie était une des composantes.
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PHOTO MAURICE LEMOINE |