COMMUNES ET COMMUNARDS DU VENEZUELA |
Actualités / Communes et communards du Venezuela /« Je suis “comunero”. Communard, c’est ma profession ! C’est devenu mon style de vie. Cet amour de la commune, je le dois à la solidarité, la fraternité, au fait d’être ensemble dans les moments difficiles, mais aussi de gérer, d’organiser et de célébrer les victoires. Nous, les Vénézuéliens, on est un peuple de rêveurs, mais on est aussi un peuple qui construit. » Et voilà. Angel Prado. Homme du peuple, militant de base, chaviste de cœur et révolutionnaire par conviction », puis leader communard, devenu… ministre des Communes – au sens d’autogouvernements populaires –, précisément. Prado a été nommé le 6 juin 2024 par le président Nicolás Maduro. Ce qui ne lui a guère fait changer d’apparence, soit dit en passant. Dans son bureau situé au-dessus d’un centre commercial grouillant de Sabana Grande, une rue piétonne et populaire très fréquentée du centre de Caracas, c’est vêtu d’un tee-shirt et coiffé de son éternelle casquette rouge qu’il gère sa nouvelle activité. [Washington intensifie ses complots pour changer le régime du Venezuela]
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Mémoire des luttes
lundi 6 janvier 2025
PHOTO L'HUMANITÉ |
La « Commune » : le programme phare de feu le président Hugo Chávez et de sa « révolution bolivarienne », projet qu’il définit peu avant sa mort par une formule lapidaire ayant le mérite de la clarté : « Comuna o nada ! » La Commune ou rien ! Appuyées sur 49 000 conseils communaux, leur cellule de base, il existe aujourd’hui 4 505 de ces Communes, réparties dans tout le pays. Au risque de surprendre les contempteurs du Venezuela, on affirmera ici d’emblée qu’il s’agit de l’expérience de démocratie participative la plus ambitieuse du continent – et même sans doute de bien au-delà.
WASHINGTON INTENSIFIE SES COMPLOTS POUR CHANGER LE RÉGIME DU VENEZUELA PHOTOMONTAGE BBC |
► À penser en dessin : FENÊTRE SUR COUR
Cofondateur en 2009 de la Commune d’El Maizal, située à cheval sur les États de Lara et de Portuguesa, Prado a été un précurseur, pour ne pas dire un combattant. Car, même sous Chávez, le charismatique leader bolivarien, rien ne fut donné, tout dut être conquis. La terre de la Commune, d’abord, objet d’un dur conflit avec un latifundiste, puis occupée, car improductive, par les paysans. Finalement expropriés, dans le cadre de la réforme agraire, ses 2 335 hectares furent remis par le gouvernement bolivarien aux conseils communaux (27 aujourd’hui) du « peuple organisé ». Tout un symbole : c’est Chávez en personne qui, lors d’une visite, leur offrit leurs premières semences.
Avec 3 500 familles vivant sur son territoire, la Commune d’El Maizal a développé au fil du temps, en autogestion, une intense production agricole dont les revenus lui ont permis de construire des écoles, des habitations pour les familles les plus pauvres, d’électrifier de nombreux foyers et de remettre en état d’infâmes voies de communication. Des résultats si positifs que, au terme d’une bataille politique néanmoins homérique, Prado fut élu en novembre 2021 maire de Simón Planas, le « municipio » (municipalité) qui englobe la majeure partie d’El Maizal ainsi que onze autres Communes. Une mairie d’où, dans le même esprit, furent dès lors activement encouragés les débats, les référendums et les procédures de prise collective de décisions.
Devenu ministre, Prado demeure très présent dans les cœurs et les esprits de Simón Planas (et pas que de là) : « On le connaît, on a énormément confiance en lui, nous confie Luis Vargas, membre de la Commune « Ezequiel Zamora ». Il nous a aidés quand il dirigeait El Maizal, puis quand il était maire ; maintenant qu’il est au gouvernement, on espère qu’il va nous aider encore plus. »
Depuis son ministère et conscient ou non de sa popularité exceptionnelle dans les milieux populaires, Prado expose avec conviction ce qu’il considère être le sens de sa mission : « La Commune est l’unique voie pour construire une nouvelle société, transiter vers le socialisme, comme le voulait le “comandante” Chávez, et transformer l’État pour qu’il cesse d’être libéral-bourgeois. »
ANGEL PRADO, MINISTRE DES COMMUNES PHOTO MAURICE LEMOINE (ML) |
Situé sur une collines, un kilomètre à l’ouest du palais présidentiel de Miraflores, le quartier « 23 de Enero » et ses hautes barres d’immeubles – les « bloques » – ont été l’épicentre, en 1958, du soulèvement qui renversa le despote Marcos Pérez Jiménez. La forteresse de béton est demeurée très « ñangara » [1]. « Quand est tombée la dictature, rappelle José Queregan, membre de la Commune « El Panal 2021 », beaucoup de gens du peuple, qui vivaient dans des “ranchitos”, en situation très précaire, ont occupé ces immeubles destinés aux militaires et à la bureaucratie. » De cette lutte naquit l’urbanisation la plus combative du pays. Y surgirent de nombreux groupes de gauche radicale, y compris armés dans les années 1960-1980, qui participèrent aux luttes révolutionnaires, tant au niveau local qu’international. En émergèrent aussi des leaders associatifs qui prendront le rôle de représentants des quartiers vis-à-vis des pouvoirs publics, avant et surtout à partir du début des années 2000, lorsque fleurit la révolution bolivarienne.
« 23 DE ENERO » |
« 23 DE ENERO » |
Durant la IVème République, demeurant davantage une question de forme qu’une question de fond, la « démocratie » a en permanence lâché ses chiens sur cette dense urbanisation. Ils y menaient une sale petite guerre clandestine : « 23 de Enero » était bouffée par un micro-trafic auquel participait en sous-main l’État. La cocaïne circulait dans les venelles, les livreurs de dope pourrissaient la vie de la cité. Les corps répressifs utilisaient ce prétexte pour y mener des incursions et s’en prendre au mouvement populaire et à ses organisations.
« Quand est arrivé Chávez, commente Queregan, on est passés d’une posture défensive à une attitude offensive, dans tous ses aspects : culturel, sportif, organisationnel, politique… Cela a généré un tissu social qui a élevé le niveau de notre qualité de vie. »
« LE PASSAGE PIÉTON D'ABBEY ROAD, À LONDRES » CARICATURE CARLOS TOVAR SAMANEZ, « CARLÍN » |
Et voici qu’un jour Chávez appelle le pouvoir populaire à s’organiser en évoquant « un drôle de truc » : les conseils communaux. Une alternative à la gestion verticale émanant de l’État. « Forts de notre passé, mais aussi de l’antécédent historique de la révolution russe, commente Robert Longa, leader de la Commune à la corpulence aussi forte que l’est sa personnalité, on a adhéré au projet. » Tout simplement parce que « les conseils communaux c’est les soviets » ! Volubile, intarissable sur « la dialectique », « le sujet historique », « les contradictions de classes », Longa évoque tout autant le précurseur marxiste péruvien José Carlos Mariategui [2] que la NEP de Lénine, les « caracoles » zapatistes, le Manifeste communiste, Louise Michel, Rosa Luxembourg, Che Guevara, la Commune de Paris, voire même… Maradona, avant de revenir inévitablement à la trajectoire agitée de « 23 de Enero ». Et à Chávez, cela va de soi.
ROBERT LONGA PHOTO FUERZA PATRIÓTICA ALEXIS VIVE |
Dans chacun des territoires du Venezuela, le contexte est différent et tout le monde ne s’exprime pas de façon en apparence aussi « orthodoxe » que Longa, mais, comme dans le bastion caraqueño, il s’avère impossible de parler de la naissance de la Commune « bolivarienne » si l’on n’évoque pas ses antécédents.
IVème RÉPUBLIQUE, CARACAS EN 1973 PHOTO MAURICE LEMOINE (ML) |
Fin des années 1980 : de l’autre côté de la planète, le « socialisme réel » s’effondre, des pioches démantèlent le mur de Berlin. Au Venezuela, le gouvernement du social-démocrate Carlos Andrés Pérez annonce un paquet de mesures ultralibérales réclamées par le Fonds monétaire international (FMI). Les répercussions immédiates sur la vie des Vénézuéliens provoquent une explosion sociale. Le 27 février 1989, spontanément, sans leaders et sans boussole politique, Caracas dit « Ya basta ! ». Ça suffit. Férocement réprimé, ce « caracazo » se solde par un massacre : entre 3 000 et 4 000 morts. L’ « opinion internationale » se désintéressant de la question, la bourgeoisie vénézuélienne respire de soulagement. Elle commet néanmoins une grave erreur : elle croit « l’incident » terminé.
Dans les entrailles des Forces armées, de jeunes officiers patriotes préoccupés par la situation se meuvent silencieusement. Plus explicitement : ils conspirent. Coiffés de bérets rouges, ils entrent bruyamment dans l’Histoire le 4 février 1992. À leur tête, un lieutenant-colonel « pas comme les autres » : Hugo Chávez. Destinée à s’emparer du pouvoir, cette rébellion militaire échoue. « Por ahora », proclame le rebelle, devant une caméra de télévision, alors qu’il se rend. « Pour l’instant. » En réalité, il s’agit d’une rupture. La lutte va continuer, le film n’est pas terminé. Bien que les mutins soient emprisonnés, plus rien ne sera comme avant.
En 1989, ce n’est pas l’idéal socialiste qui a été enterré mais plutôt une déviance du socialisme. Avant son coup d’éclat, au tout début des années 1990, dans une série de textes appelant à la création d’une « utopie concrète », le jeune Chávez avait écrit : « La démocratie populaire bolivarienne naîtra dans les communautés et sa sagesse bienfaitrice s’étendra par tout le corps social de la nation. » Condamné et désormais détenu, il élabore, un œil sur le passé, un œil sur le futur, un programme en lien avec l’Histoire du pays. Du « libertador » Simón Bolivar à l’établissement d’une démocratie distincte – « participative et protagonique », pour être précis. Ces réflexions se déroulant dans le secret de la cellule d’un parfait inconnu, personne n’en a vent, hors du Venezuela.
En revanche, en 1994, un autre « Ya basta » commotionne l’opinion internationale. Surgie des sentiers montagneux du sud-est mexicain, la petite Armée zapatiste de libération nationale (EZLN) remet en cause la mondialisation néolibérale, convoque la « société civile » et revendique le droit de la population qu’elle représente à être actrice des événements qui affectent son existence : « Il faut ouvrir des espaces de décision, à tous les niveaux, au sein desquels la population participe de façon active et permanente ; ces espaces vont du domaine des politiques macro-économiques à la création de, et la participation à, projets et programmes, aux décisions concernant les budgets et leur administration (…) aux autogouvernements communautaires et à la possibilité d’exercer des formes d’organisation propres [3]. »
La gauche planétaire et en particulier européenne à juste titre s’extasie. Trente années plus tard, c’est-à-dire maintenant, les radicaux et militants plus ou moins « révolutionnaires » maintiendront leur enthousiasme et leur appui à ce rêve de gouvernance depuis « en bas et à gauche » – mais sans guère écarter leurs regards des Indigènes du Chiapas, ou en fantasmant sur un avenir utopique, qui viendra quand il viendra, si un jour il vient, sans qu’on sache trop où.
Au Venezuela, amnistié par un président – Rafael Caldera – que pressent de fortes mobilisations sociales, Chávez est descendu dans les catacombes du peuple pour construire un mouvement permettant la prise du pouvoir, démocratiquement cette fois. Ce qu’il réussit fin 1998 en mobilisant les déshérités. Bien que la déclarant « moribonde », il prête serment sur la Constitution, mais, premier acte de sa présidence, il convoque à un référendum pour élire une Assemblée constituante destinée à permettre au peuple d’exercer sa volonté absolue. « On a débattu dans tout le Venezuela, se souvient Juan Lenzo, animateur de la télévision communautaire « Tatuy TV » et responsable « communication » de l’Union communale (Unión Comunera). Rapidement, les gens se sont appropriés la nouvelle Constitution et c’est celle-ci, en particulier sa version imprimée de poche, qui nous a politisés. »
« Il y a dans cette Constitution un élément fondamental, considère Blanca Eekhout, ex-ministre des Communes et actuelle présidente de la Commission permanente pour le développement des Communes : l’article 5. » Et de citer, de mémoire, sans se tromper d’une virgule : « La souveraineté réside sans transfert possible dans le peuple, qui l’exerce directement dans les formes prévues dans cette Constitution et dans la loi, et indirectement à travers le suffrage, pour les organes qui exercent le pouvoir public. »
Rien ne sera dû au hasard. « Tous les dimanches, notre président Chávez, à travers son émission “Alo Présidente”, nous expliquait comment construire cette nouvelle société », rappelle à Caracas le « comunero » José Queregan. Une performance qui, à l’époque, fit beaucoup jaser les faiseurs d’opinion. Un chef d’État, face caméra et en direct, bouillonnant d’idées et d’ingéniosité, chantant des mélodies, riant, déclamant, commentant ses politiques publiques, engueulant publiquement ses ministres…
Chávez re-politise le peuple, estiment alors ses partisans. Il excite le « populacho », s’indigne l’opposition.
HUGO CHÁVEZ PENDANT UN « ALO PRESIDENTE », FIN MARS 2002 (PHOTO MAURICE LEMOINE (ML) |
Les premiers obstacles franchis – la tentative de coup d’État d’avril 2002, le sabotage pétrolier de 2002-2003, l’arrestation de plusieurs dizaines de paramilitaires colombiens dans la « finca » Daktari en 2004 –, la démocratie « participative et protagonique » accélère le pas. Dans les « barrios » brinquebalant et les campagnes déshéritées se développent de multiples cercles bolivariens, comités des terres urbaines, comités de santé, tables techniques de l’eau ou de l’électricité, associations de voisins, coopératives, « colectivos », tout un processus dynamique de participation permettant de débattre des problèmes de chaque communauté pour les faire remonter aux autorités. Des bataillons entiers de femmes s’impliquent dans ce vaste mouvement. Depuis l’avènement de la Révolution, leur participation politique a changé du tout au tout. Et elle s’est amplifiée au fil du temps.
Rien de rectiligne ni d’uniforme, pourtant, il faut tout inventer. Et accepter que le meilleur et le moins bon se côtoient. C’est ainsi que, en 2004, alors que nous rendons visite à un cercle bolivarien de Valle del Tuy, en périphérie de Caracas, seules huit personnes se font face, assises en arc de cercle, dans le grand hangar où a lieu la réunion. Hum… voilà qui est plutôt surprenant. Avec un geste fataliste, l’un des participants lâche : « Au début on était nombreux, une bonne cinquantaine. Quand les gens se sont rendus compte qu’ils n’allaient en tirer aucun avantage matériel personnel immédiat, mais que c’était un travail de militants, ils sont partis. » Même désillusion, parfois, avec les coopératives. Si près de 40 000 sont créées, un certain nombre périclitent, échouent ou, dans le pire des cas, donnent lieu à des détournements de fonds ou à des escroqueries.
Pour autant, et si l’on procède à un inventaire complet, on constate que les chavistes cherchent, pataugent, s’égarent, mais aussi corrigent, se remobilisent et progressent par bonds. « On expérimentait, se souvient Juan Lenzo. Quelle était la meilleure forme d’organisation ? Et au milieu de ce processus d’essais et d’erreurs, fin 2004 puis courant 2005, est arrivée la synthèse : les conseils communaux. »
Instance de participation, le conseil communal permet aux habitants de se réunir et, cette fois, de prendre des décisions, là où ils vivent, sur des projets concrets d’aménagement de leur territoire. En 2006, année au cours de laquelle la révolution bolivarienne se déclare « socialiste », une première loi réglemente la nouvelle organisation, qui se voit autorisée à solliciter des fonds publics pour la réalisation matérielle de ses projets.
AU COMMENCEMENT ÉTAIENT LES CERCLES BOLIVARIENS PHOTO MAURICE LEMOINE (ML) |
Depuis Caracas, il faut traverser les États d’Aragua et de Carabobo pour gagner Barquisimeto et l’État de Lara. Sur une de ses portions, la route à quatre voies s’étire parallèlement aux piliers de béton d’un train suspendu, dont la construction a été abandonnée – symbole d’un pays en grande difficulté. A Puerto Cabello, les structures métalliques de la Raffinerie « El Palito » rappellent tout de même la présence en sous-sol des plus grandes réserves mondiales de pétrole – raison de la cupidité et de l’agressivité des États-Unis.
Monde vert et chaud, le Lara est l’État qui a réussi à consolider le plus grand nombre de conseils communaux. « Dans le temps, grimace Angy Gutiérrez, mairesse de Simón Planas en remplacement d’Angel Prado, il n’y avait par ici ni éducation, ni assistance médicale, ni même de cartes d’identité ! » Pour l’État, cette population n’existait pas. A partir de 1999, la révolution bolivarienne s’est concentrée sur les priorités en amenant dans les campagnes, outre l’alphabétisation et les brigades de santé, le réseau électrique, l’eau potable et des logements. A ces avancées considérables s’ajoute la création des fameux conseils communaux. « On a relevé le défi, nous dit Rodriguez, porte-parole de celui qui a été baptisé Los Mangos. On a compris que les révolutions, dans le monde, ont des particularités. Des caractéristiques qui les distinguent. Ici, au Venezuela, la nôtre c’est “la Comuna”. »
L’ouvrier, la paysanne, l’étudiant, le grand-père et la grand-mère, le voisin, la voisine, commencent à s’ériger collectivement en « nouveau sujet ». Ballotés tout de même, dans un premier temps, entre l’inattendu et l’inconnu. « Je ne savais pas ce qu’était un conseil communal, sourit Luis Vargas. Est arrivé un militant qui m’a expliqué comment l’organiser. En un mois, en 2007, j’en ai créé un qu’on a nommé Santa Bárbara » (membre aujourd’hui de la Commune « Ezequiel Zamora »).
Autre témoignage, dans une zone rurale de l’État de Mérida : « Ça n’a pas été facile de convaincre. Il a fallu organiser des tas de réunions. Je me suis déplacé communauté par communauté pour expliquer ce qu’on voulait faire. Alors, les gens ont commencé à s’impliquer. »
Il faut parfois beaucoup d’efforts pour qu’une résolution proposée soit soutenue et adoptée. Si l’agitation de quelques-uns est toujours susceptible d’en imposer aux plus timides, les chavistes ont le vent en poupe, débordent de conviction et ne s’en laissent pas conter.
Ce qui donne, en version Simón Planas : « Chávez, dans sa sagesse, nous a orientés. On a appris. Il n’y avait pas de manuel. Au fur et à mesure qu’on avançait, on modifiait, on corrigeait… » Car les obstacles ne manquent pas. « Ça a été l’école primaire du pouvoir populaire, s’anime rétroactivement Juan Lenzo. On a découvert notre potentiel, on a compris qu’on pouvait gérer nous-mêmes nos problèmes et la vie de la communauté. Alors, on a créé l’école secondaire : la “comuna” ! »
RÉUNION D’UN CONSEIL COMMUNAL À SARARE (LARA), EN AOÛT 2024 PHOTO MAURICE LEMOINE (ML) |
MEMBRES DU CONSEIL COMMUNAL DE BARITALIA (TÁCHIRA) ENTRETENANT LES BAS-CÔTÉS, AU CŒUR DU « MUNICIPIO », EN 2021, PENDANT LA PANDÉMIE PHOTO MAURICE LEMOINE (ML) |
Depuis Miraflores, Chávez a réfléchi à la question : « Tel conseil communal a des nécessités, un niveau d’organisation important, mais, avec tel autre conseil, il partage une école ou un hôpital… Il faut une instance qui les regroupe pour gérer ce niveau supérieur en commun. » Pour le président, il devient évident que si le mouvement ne se transforme pas en gouvernement des territoires, il n’aura aucun pouvoir de transformation. Il en conclue : « Il faut construire l’État communal. »
En 2010, la loi organique des Communes donne son cadre juridique à cette aspiration dans laquelle se rejoignent la base et le sommet. D’uniquement représentative, la démocratie devient cette fois également et formellement participative.
« BIENVENUE DANS LA COMMUNE EL PANAL 2021 » PHOTO MAURICE LEMOINE (ML) |
« Panal », en français : élément aux cellules hexagonales d’une ruche, destiné au stockage du miel. Explication de Robert Longa, « guévariste » notoire, par ailleurs dirigeant de la Force Patriotique Alexis Vive [4] : « On cherchait comment mobiliser le peuple, on a fait une analogie. Quand un “panal” est attaqué, toutes les abeilles sortent pour piquer ! » Très bien. Ensuite ? C’est avec orgueil que l‘un ou l’autre des militants et militantes fait visiter les lieux. « Pendant la IVe République, les gouvernants n’ont jamais rien fait pour le quartier. » Les gens devaient se battre pour l’eau, les égouts, l’entretien des « bloques ». Survient la Commune. Appelée ici Assemblée patriotique, l’assemblée communale se réunit régulièrement. Composée de trois structures – la Banque communale, la Contraloría sociale et l’unité exécutive –, elle mobilise les énergies. Au pied des tours, les ex-« ranchitos » sont devenus des petites maisons proprettes, peintes de couleurs vives. Presque toutes ont des toits de tôle neufs – « Sí, señor, grâce à l’auto-organisation et à la révolution » ! Jadis gris, sales et délabrés, les murs explosent de peintures aussi politiques que bariolées – Che Guevara, Chávez, Maduro, la Palestine. Les escaliers et les allées : nickels, entretenus, balayés.
COMMUNE « EL PANAL 2021 » PHOTO MAURICE LEMOINE (ML) |
Avant, « ici », l’espace était utilisé pour la vente de drogue, la prostitution des adolescentes et la délinquance. À la place, une dizaine de jeunes se défoulent sur un terrain de basket entouré de gradins, bâti par la communauté. La « cancha » de baseball se trouve un peu plus loin. Des enfants jaillissent de nulle part. Un groupe de filles exubérantes se dirige vers le cours de danse que conduit une « comunera ». Dimanche, Robert Longa organisera un tournoi de boxe pour occuper les ados. Commentaire, au passage : « L’État bourgeois n’avait pas les outils pour faire tout ça ! »
Sur le mur extérieur de chacune des habitations, à proximité de la porte, une petite plaque précise la profession de l’occupant : « Ici vit une infirmière », « Ici vit un mécanicien », « Ici vit un maçon », « Ici vit une couturière », « Aqui vive una abuelita » (« Ici vit une mamie » !). « Dans le temps, sourit la « camarada » planificatrice qui nous accompagne, on ne savait même pas ce qui arrivait à nos voisins. On ne se connaissait pas. Maintenant, on est une famille. S’il te manque quelque chose et que je l’ai, c’est à toi. » En véritable tour de contrôle et « le moral bien haut », elle retourne faire un gribouillis sur un tableau mural que noircit un entrelacs d’heures, de dates, de lieux, de noms, d’activités.
Pendant ce temps, « la force de travail qui assure le contrôle ouvrier » s’active dans les entreprises montées par la Commune « pour générer d’autres modes de production » : l’atelier d’emballage du sucre, la briqueterie, la fabrique de pneus, celle de liquide vaisselle, le restaurant, l’entreprise textile ou la laverie…
RECENSEMENT ET PLANIFICATION SOCIALE AU CŒUR DE LA COMMUNE « EL PANAL 2021 » PHOTO MAURICE LEMOINE (ML) |
ENTREPRISE COMMUNALE TEXTILE « LES PETITES ABEILLES » DU PANAL PHOTO MAURICE LEMOINE (ML) |
Dans certains endroits, l’émergence des Communes a été facile, du fait de l’identification très forte avec Chávez. Quelques-unes particulièrement en pointe et ayant lancé des activités productives – « El Maizal », « Che Guevara », « El Panal 2021 », etc. – ont d’emblée franchi les étapes.
La Commune « Negra Hipólita » est née d’un référendum : « La majorité de la communauté a voté pour la création de la “comuna”. On a tout décidé par vote, jusqu’au nom. » Pas à pas, la paperasse, toutes les procédures. « Oh, là, là ! L’émotion qu’on a ressentie quand l’existence de notre Commune a été approuvée par le Conseil fédéral de gouvernement… » Dans ce temps-là, il n’y avait pas autant de Communes que maintenant.
Dans d’autres cas, des difficultés ont surgi. Des divergences entre conseils communaux peu enclins à collaborer : « Ce territoire est le nôtre, ne vous mêlez pas de sa gestion. »
Une fois la Commune créée, « le consensus n’est pas toujours facile, nous précisera la porte-parole de la Commune « Lanceros Atures » (État de Lara), Elisa Peña. Il faut informer, expliquer parce qu’un projet pour un conseil communal n’est pas la même chose qu’un projet pour la Commune. Dans ce dernier cas, il doit bénéficier aux quinze conseils communaux. »
COMMUNE « NEGRA HIPÓLITA » PHOTO MAURICE LEMOINE (ML) |
Mais… En fonction de qui le contrôle, un gouvernement local peut aider ou gêner la progression vers les objectifs communards. Qu’attendre des maires ou gouverneurs d’opposition, à des années lumière de cette volonté d’autogestion ? Ce qui vaut également pour l’appareil politique institutionnel, authentiquement ou supposément « chaviste », pas toujours enchantés d’abandonner une part de ses prérogatives à ces nouveaux venus. Les instances politiques classiques traînent souvent les pieds
« Même du vivant de Chávez, une campagne a été menée au sein de l’État pour discréditer le modèle communard en le qualifiant de dépassé et comme étant voué à l’échec et inefficace », confirme sans langue de bois le ministre Prado. Lui-même dut affronter à El Maizal des édiles issus de son camp politique. En 2018, au plus fort des pénuries provoquées artificiellement par la « guerre économique », il fut détenu pour avoir acheté au nom de la Commune des fertilisants auprès d’accapareurs de ce qu’on appelait alors le « bachaqueo » [5]. Loin d’une quelconque intention de trafiquer, sa priorité était de ne surtout pas interrompre la production.
« Quand tu fais quelque chose de nouveau, tu génères une résistance, commente José Queregan avec un petit rire : la structure de la mairie et des “cabildos” a cinq cents ans et nous, voilà qu’on arrive pour bâtir notre rêve à partir d’un espace qui n’était pas prévu pour ça… »
Ce que Prado traduit à sa manière : « Il y a des contradictions parce que deux modèles se disputent le pouvoir : le modèle communal, socialiste, et le vieux modèle libéral-bourgeois. »
Rien de surprenant, dès lors, que Chávez ait parfois publiquement et durement critiqué le fonctionnement de son gouvernement. « Où est l’esprit de la Commune ? Je vais devoir éliminer le ministère des Communes. J’y ai pensé plusieurs fois. Pourquoi ? Parce que beaucoup de gens croient que les Communes ne concernent que ce ministère. C’est une très grave erreur. Ne la commettons plus. »
Sept octobre 2012 : le « comandante » est réélu pour un troisième mandat. On le sait néanmoins gravement malade quand, le 20 octobre, il convoque un conseil des ministres (qui sera le dernier) télévisé en direct. Très solennellement, il annonce « un coup de gouvernail » et fait reposer ce changement de cap, qu’il veut radical, sur le fameux « Comuna o nada ! ». Le cœur de sa démocratie « participative et protagonique ». Tourné vers son vice-président Nicolás Maduro, il lui lance, on ne peut plus impérativement : « Je te recommande ceci comme je te recommanderais ma vie : les Communes, l’État social de droit et de justice. »
20 OCTOBRE 2012, CHÁVEZ APPELLE À UN « GOLPE DE TIMÓN » (COUP DE GOUVERNAIL) (DR) |
Le cancer emporte Chávez en mars 2013. Un coup très dur pour la révolution et les révolutionnaires. Elu président, Maduro n’a pas encore séché ses larmes d’avoir vu son leader mourir pratiquement dans ses bras que la contre-offensive de la bourgeoisie et de son suzerain américain s’enclenche. Sabotage économique et « guarimbas » insurrectionnelles (45 morts) en 2014 ; perte de l’Assemblée nationale [6] et décret Obama transformant le Venezuela en une supposée menace pour les États-Unis en 2015 ; nouvelles « guarimbas » (125 morts) en 2017 ; avalanche de mesures coercitives unilatérales des États-Unis ; hyperinflation entre 2018 et 2020 ; apparition d’un président auto-proclamé et adoubé par les droites mondiales, Juan Guaido, en 2019… Sans parler de la pandémie…
VIOLENCE INSURRECTIONNELLE DE 2017 | PHOTO MAURICE LEMOINE (ML) |
S’il a suffisamment de forces pour résister, le chavisme n’a plus le capacité offensive permettant de radicaliser le processus. La crise affecte durement la population la plus modeste. Sous Chávez, elle a connu une amélioration spectaculaire de sa situation. Ses conditions de vie se dégradent, le blocus l’attaque à l’estomac. Si le travail collectif a ses mérites, il est en partie impuissant contre l’effondrement des salaires, la gestion épuisante d’un quotidien dégradé. L’épreuve se traduit par un repli sur l’individu et la famille.
Les Communes souffrent, même si certaines s’en tirent sans trop de bobos : « Il y a eu des complications, mais, nous, les paysans, on a toujours quelque chose de semé, on n’a pas les mêmes problèmes qu’en ville, on ne meurt pas de faim », explique avec le recul Luis Vargas (conseil communal Santa Bárbara, Commune « Ezequiel Zamora »). Il n’empêche. « El Maizal », qui semait 1 000 hectares de maïs n’en ensemence plus que 300. Les contributions financières de l’État s’interrompent. Certaines Communes sombrent corps et biens.
Un parfum de défaite ? Au-delà des apparences, non ! Le recul n’est qu’apparent. Car plus nombreuses sont les Communes qui se renforcent, poussées par l’adversité. « On a compris que dans ce contexte de crise, analyse Alexander Gil, dirigeant de l’Union communale, la seule chose qui pouvait permettre la résistance des secteurs populaires était leur organisation. »
Dans son environnement éminemment urbain et à l’ombre de ses tours d’habitation, « El Panal 21 », baptise la période « L’an Zéro ». « Quand ils nous ont bloqués et que les petits commerçants étaient en difficulté, on a créé une monnaie communale. » Ceux qui vendaient des caramels, des bricoles, les n’importe quoi de l’économie informelle et même formelle ont ainsi pu s’en tirer. La Commune disposait (et dispose à nouveau) d’une belle piscine creusée collectivement pour la récréation des gamins : « On l’a transformée en bassin de pisciculture, pour garantir des protéines aux familles les plus vulnérables, aux enfants des écoles et aux anciens. » Au milieu des immeubles et des rues étroites, apparaît soudain un élevage de cent trente porcs, dans une orgie de décibels et de groin-groin. Et la population survit. « Notre résistance, notre résilience à ce moment ont clairement montré qu’il n’y aurait pas de retour en arrière. Tout ce processus de “bloqueo” et de sanctions criminelles nous a permis de nous émanciper. »
À Miraflores, Maduro combat avec la même détermination. Il œuvre pendant tout ce temps pour éviter la famine (en créant les Comités locaux d’approvisionnement et de production ; CLAP), la guerre civile, voire l’intervention militaire US espérées par les secteurs fondamentalistes de l’opposition. Une gigantesque bataille pour la paix et le maintien des institutions [7]. Contre vents et marées, le chef de l’État réussit à maintenir le pays à flots.
Pour Blanca Eekhout, « il n’aurait pas obtenu ça sans une organisation populaire, certes pas encore suffisamment forte pour constituer le nouvel État, mais suffisamment robuste pour résister ».
Pour Angel Prado : « Sans la loyauté du président Nicolás au peuple et à ce projet radical, il n’y aurait pas de révolution. »
Dit autrement : une base sociale déterminée, un président très engagé à ses côtés – un président déterminé, une base sociale très engagée à ses côtés.
Février 2021. En remettant au Parlement, pour ratification, la Loi des cités communales et la Loi du parlement communal, Maduro franchit un nouveau pas : « Je demande le soutien de l’Assemblée nationale pour transférer le pouvoir économique et le pouvoir des services publics concrets au peuple communard et aux conseils communaux (…) L’objectif est d’impulser la nouvelle architecture financière du pouvoir citoyen. La commune est le nouvel État. »
ENTRE TUCANI ET LA COMMUNE « CHE GUEVARA » PHOTO MAURICE LEMOINE (ML) |
Au loin, les Andes, imposantes, de l’État de Mérida.
Une zone rurale, à 770 kilomètres de Caracas.
Tucaní : une agglomération poussiéreuse et sans attrait qu’anime un bal infernal de motocyclettes. La Commune « Che Guevara » se trouve à plusieurs dizaines de kilomètres et bien plus haut, à 900 mètres d’altitude, au bout d’une route étroite de mauvais ciment craquelé, une sorte de toboggan infernal et virevoltant, à la pente parfois si rude que, à l’exception du chauffeur, il faut descendre du vieux combiné de la communauté et accompagner ses gémissements de moteur en le suivant à pied. Fort heureusement pour eux, la majorité des communards se déplacent en moto. Comme qui dirait, à toute allure (si vous êtes passager, sur la partie arrière du siège, serrez les fesses et accrochez-vous).
Les alentours de la Commune : à droite, de la canne à sucre ; à gauche, du cacao ; un peu partout, du café. Petits ou gros, des chiens qui hurlent au moindre passage. Une alternance de pluie et de soleil. Des nuages de moucherons quand surgit l’obscurité. Surplombant le tout, la Montagne El Mirador (1100 mètres au sommet).
Le cœur de la Commune : un bâtiment principal ; trois dortoirs de douze lits superposés un peu plus loin ; un petit « trapiche » pour extraire le jus de la canne à sucre ; une serre pour la reproduction de semences, construite par le gouvernement en coopération avec des techniciens cubains ; un atelier de torréfaction de café. À droite, à gauche, comme il se doit, les motos et les chiens.
Ambiance très détendue dans la grande cuisine-réfectoire. Un côté auberge de jeunesse. Très concentrées, deux jeunes paysannes se font mutuellement les ongles, très longs, très colorés de rouge ou de vert, très raffinés. On ne vit pas ici de façon permanente, on y passe quelques heures ou, pour certains, quelques jours, en vue de se retrouver et d’échanger. Autant de femmes que d’hommes. Jeunes, comme il a été suggéré. Féminisme communal oblige, ils se partagent indistinctement (et trois fois par jour) la préparation des repas, la vaisselle (lorsqu’il s’en accumule plus de sale dans l’évier que de propre sur les étagères) et (chaque fois qu’il le faut) les travaux ménagers. Riz, haricots noirs ou spaghettis et viande à satiété, on ne meurt pas de faim ; beaucoup de café. Des discussions joyeuses, particulièrement animées. Des rires moqueurs quand est évoquée telle ou telle déclaration fulminante de Maria Corina Machado, la « lideresa máxima » de l’opposition. Quelques insultes bien senties à destination des « pitiyankis » [8]. Et de Joe Biden, ce « fils de » ce que vous savez. Quelques chants révolutionnaires ou « made in show-biz » accompagnés d’une guitare, lorsque vient le temps de se reposer
Pas de télé. En revanche, grâce à la Wifi, les téléphones portables débitent en permanence, comme dans le monde entier, un flot de WhatsApp, TikTok, X et, ponctués d’éclats de rire, d’autres robinets à niaiseries. On peut être révolutionnaire et fasciné par la technologie moderne et ses contenus plus ou moins pernicieux. Un défi pour l’avenir, rapport à l’ « hégémonie culturelle » chère à Gramsci. En même temps, tempère Simone Magalhaës, coordinatrice de la brigade du Mouvement des sans terre (MST) brésilien, qui coopère en apportant son savoir et ses compétences aux « comuneros », « cette jeunesse communarde est différente ; elle a une connexion très forte avec la génération chaviste de ses parents et grands-parents ; qu’on le veuille ou non, elle est liée par cet héritage idéologique ». Par ailleurs, c’est à travers WhatsApp que sont reçus et échangés les nouvelles de la vie politique nationale et les consignes de lutte, qu’est organisé le travail et que sont convoquées les réunions.
AU CŒUR DE LA COMMUNE SOCIALISTE « CHE GUEVARA » PHOTO MAURICE LEMOINE (ML) |
Cette lointaine campagne vénézuélienne avait été totalement abandonnée. Rêvant de travailler dans un restaurant ou un hôtel, voire de faire une carrière universitaire, ses habitants se précipitaient vers la ville, attirés par le rêve urbain. Ils revenaient bien en vacances, pour se reposer, mais n’imaginaient nullement, pour cette zone, une quelconque option de développement.
Chávez commence à propager l’idée des conseils communaux. Le thème résonne dans les oreilles d’habitants encore présents, des paysans qui ont parfois une soixantaine d’années et luttent pour un projet de souveraineté alimentaire depuis longtemps. Les deux premiers conseils, « Rio Benito Alto » et « Mata de café », naissent dans la partie haute de la communauté. Sept autres groupes d’habitants suivent ultérieurement l’exemple. La Commune apparaît le 5 mai 2013 lorsque divers leaders sociaux, souvent d’origine colombienne, passent à la vitesse supérieure et franchissent le pas : « Un projet de développement sans intermédiaires, sans ingérence politique, pour nous, paysans, c’était gratifiant. » Comme on ne met pas ici ses convictions politiques dans sa poche, la Commune socialiste s’appellera « Che Guevara ».
La région, on l’a vu, produit du café et du cacao. Compte tenu de l’existence de ces ressources, raconte Lindón Bolaño, et avant même l’apparition de la Commune, avait émergé cette réflexion : « On est travailleurs, on doit être capables de créer des emplois. » La lutte avait donc commencé pour la création d’une entreprise de torréfaction. Le maire s’opposait à l’achat d’un terrain. « On a commencé à se réunir dans la petite école. On a fait ce qu’exigeait la loi et… on a réussi. Ça a été très beau. » Avec la participation technique et financière du ministère des Sciences et de la technologie, leur rêve se concrétisa en 2012 sous la forme d’une Entreprise de production sociale (EPS), « Las Colinas del Mirador ». Dans l’odeur âcre du café que broient les pales d’un moulin, Luis Miguel Guerrero, responsable administratif de la Commune, détaille la nature de l’organisme : alors qu’une coopérative est une forme d’organisation privée répondant à une direction, laquelle prend les décisions les plus importantes, « la direction de l’EPS est constituée par l’assemblée générale de la “comuna”, à raison de deux représentants par conseil communal ; c’est une participation plus protagonique, plus large et plus sociale ».
TORRÉFACTION ET CAFÉ DE LA COOPÉRATIVE LAS COLINAS DEL MIRADOR, COMMUNE « CHE GUEVARA » PHOTO MAURICE LEMOINE (ML) |
« Si tu restes assis sur ton cul, tu n’obtiens rien ! » Chants d’oiseaux, bruissements de feuillages, soleil de plomb. Rugissement d’une tronçonneuse s’acharnant sur des branches et des troncs inopportuns. Une vingtaine de travailleurs. Il y a deux mois qu’ils ont commencé l’entretien des parcelles de cacaoyers. Ils coupent, ils taillent, ils élaguent. Organisés en brigade, ils passent un jour ou deux par parcelle. Un coup pour un producteur, un coup pour un autre et ainsi de suite. De temps en temps une pause, pour boire un coup et se plonger sur les écrans des téléphones portables, quand il y a du réseau. Quinze jours de labeur, une semaine de repos. Chacun est payé et reçoit un petit sac de nourriture à midi. Le technicien qui les accompagne tient un petite branche entre ses doigts, l’examine, la décortique, la montre aux « compañeros ». « Dans certaines parcelles, il y a des maladies, grimace Miguel Parra, la “monilla” ou d’autres saloperies… »
Le gouvernement leur finance le nettoyage des plantations et, quand c’est nécessaire, le traitement des maladies.
BRIGADE DE PAYSANS DANS LES CACAOYERS PHOTO MAURICE LEMOINE (ML) |
Masque hygiénique sur le nez, les travailleurs de service se partagent les différentes tâches de la production. Dans le laboratoire, d’une propreté immaculée, une jeune « compañera » manie à la truelle et à geste précis du chocolat liquide sur lequel la lumière du plafonnier jette des éclats. Une technique extrêmement rigoureuse, apparemment. « Les personnes qui font ça l’ont appris de leurs proches et de leurs anciens, c’est inné », commente Bolaño. Certains apprennent grâce au ministère des Sciences et de la technologie, qui envoie des techniciens pour les former.
De cette entreprise sortent quatorze produits différents, dont les plus commercialisés : le cacao en poudre, le cacao aux fruits secs, les tablettes, le chocolat au lait. En tout, 4 ou 5 tonnes par mois. Comme pour ceux du café, une partie des revenus de l’entreprise est redistribuée à la Commune, qu’intègrent aujourd’hui 1 600 familles et 14 conseils communaux : « On n’est pas là pour s’enrichir, mais pour résoudre les problèmes des communautés ».
ENTREPRISE DE PRODUCTION SOCIALE CHE GUEVARA PHOTO MAURICE LEMOINE (ML) |
Revient l’une des phrases les plus entendues dans l’observation de ce processus collectif de développement endogène : « On a commencé dans les ténèbres, on a appris en chemin. » Francisca Rendón a en charge la partie administrative de l’EPSDC. « Rien de ce que vous voyez ici n’existait, commence-t-elle, il n’y avait rien. “Gracias a Dios”, le ministère des Communes et le Conseil fédéral de gouvernement nous ont financé la construction du bâtiment et des installations, ce qui a permis de démarrer. » C’était il y a huit ans.
Membre de l’un des conseils communaux, Francisca n’avait rien d’une dirigeante. Enseignante, mère de six enfants, dont les ainés faisaient des études supérieures, elle aidait de temps en temps, n’ayant guère de temps pour faire davantage. Néanmoins, eu égard à sa profession, les gens l’appelaient « profesora ». Après vingt-sept ans de bons et loyaux services, voilà qu’elle elle prend sa retraite. En pleine création de l’entreprise, les « compañeros » l’appellent régulièrement : « Profesora, por favor, on a besoin de quelqu’un qui nous aide à rédiger un rapport, c’est pour la gestion… »
« Un jour, je suis allée assister à l’élection du conseil exécutif, et ça m’est tombé dessus ! » Volontaire désignée d’office, elle se retrouve responsable administrative de l’EPSDC. En bonne révolutionnaire, elle ne se défile pas. Avec le recul de plusieurs années, elle constate : « J’aime ça quand il s’agit d’écrire, mais la technologie ne me plaît pas… » Elle soupire : « On a des “muchachos” très jeunes qui ont assumé avec une grande responsabilité la partie production. Mais, en ce qui concerne l’administration, les collègues ne se forment pas. » Elle note qu’elle a 66 ans. Elle rajoute que dans le « municipio », surtout dans sa partie haute, en raison de la crise, et lamentablement, « beaucoup ont émigré ; beaucoup de professionnels, c’est préoccupant ».
« Rien n’est facile, nous avait déjà affirmé Miguel Parra, dans les cacaoyers, mais il n’empêche : avec la centaine de cultivateurs impliqués dans la production, on vit beaucoup mieux qu’auparavant. »
FRANCISCA RENDÓN PHOTO MAURICE LEMOINE (ML) |
L’une des grandes différences entre les conseils communaux et les Communes est donc que les secondes sont prévues pour se transformer éventuellement en entités économiques possédant des moyens de production sous contrôle collectif. Chaque jour plus nombreux, les passages à l’acte se multiplient. « El Maizal » en incontestable précurseur : douze unités de production parmi lesquelles la culture à grande échelle de maïs (EPSDC Ezequiel Zamora), l’élevage de bovins et de vaches laitières (EPSDC Argimiro Gabaldón), l’élevage de porcs (Porcinos El Maizal) et la transformation d’aliments (EPSDC Camilo Torres). À travers la Banque communale [9] sont octroyés des crédits à des petits producteurs indépendants (les Unités de production familiale ; UPF) auxquels est favorisé l’accès aux semences, au matériel, aux herbicides et même à du bétail vacciné. Depuis 2020, la Commune finance 315 UPF. En échange, celles-ci lui laissent un pourcentage de leur production.
À Barcelona (État d’Anzoátegui), « Luisa Cáceres de Arismendi » a monté une entreprise de recyclage. Les Communes de l’État de Barinas sont connues pour leur farine de maïs « Ticoporo ». « Lanceros de la Vitoria », à Caracas, non seulement produit pour les habitants des alentours, mais « exporte » vers d’autres villes et États. À « Cinco Fortalezas », de Cumanacoa, des femmes révolutionnaires, après avoir occupé les terres d’une « finca » de canne à sucre, ont mis en œuvre les moyens nécessaires pour produire le sucre en question.
« Nacidos Para Vencer con Chávez » (« Nés pour vaincre avec Chávez ») ? Sept conseils communaux, 2 500 personnes, 14 000 hectares de terres productives, un élevage de bovins produisant viande et lait, des cultures de céréales, de « topocho » (petit plantain), de légumineuses, de tubercules, de canne à sucre, de cacao, d’onoto (colorant naturel pour les aliments) et de curcuma ! Avec six autres Communes voisines – « Los Herederos de Chávez », « Los Hijos de Chávez », « Los Guerreros de la Patria », « Las Colonias del Viento », « Hermandad Moritense » et « La Revolución en Progreso » – « Nacidos Para Vencer con Chávez » a mis en place un circuit économique communal particulièrement performant [10].
Une multitude d’expériences se développent ainsi dans tout le pays, même si elles sont superbement ignorées par ceux qui, supposés informateurs, s’expriment doctement sur le Venezuela.
Pour peu qu’on s’intéresse au phénomène, il est impressionnant. Même si le réel demeure semé d’embûches – il ne s’agit nullement de fantasmer. « Aucun commerce n’est facile, nous a confié Londón Bolaño, dans sa chocolaterie de la Commune « Che Guevara », et le nôtre moins que les autres ». Si la production ne pose pas de difficultés insurmontables, la commercialisation est ardue. Il existe beaucoup d’offres sur le marché. « Nos produits sont si riches et si naturels que le coût de production est élevé. » Par ailleurs, le marché en question, par définition capitaliste, voit avec beaucoup de défiance, pour ne pas dire d’hostilité, un produit « hecho en comuna » (« élaboré dans une Commune »). Synonyme de chavisme et de socialisme, l’économie sociale est diabolisée. On préférerait lui planter un couteau dans le dos que lui acheter la moindre chose. S’il commercialise une partie de son cacao et de ses dérivés à Mérida ainsi qu’à travers un programme d’échange avec d’autres Communes, l’EPSDC Che Guevara vend 70 % de sa production – 2,5 tonnes de chocolat en poudre par mois – au… ministère des Communes, qui l’appuie à travers ses achats.
Dans un autre registre, les communards paysans n’ont pas encore pu rompre avec la logique dominante. Ils produisent certes de plus en plus. Mais le fruit de leurs efforts est encore capté par les intermédiaires du secteur privé, qui s’octroie le transport dans les « barrios » des grandes villes et revend en faisant la culbute sur les prix. De leur côté, les sanctions des États-Unis n’ont rien arrangé, qui ont eu des conséquences directes en affectant la logistique et les infrastructures de circulation. Tout le système de transport communal a été affecté par l’impossibilité d’avoir accès à l’essence [11] et aux pièces de rechange permettant d’entretenir les tracteurs et les véhicules. Pour Washington, la paralysie de l’agriculture et du transport de la production avait pour but de provoquer la famine afin que la population se révolte. En mettant hors circuit l’État par la chute des revenus pétroliers, l’agression a mécaniquement généré une ouverture au développement de l’économie entre les mains du privé.
« C’est le grand défi qu’a le mouvement populaire, admet le ministre Prado. Obtenir que notre économie communale contrôle tout le cycle producteur-consommateur. J’ai parlé avec beaucoup de gens des villes et des “barrios”, où il y a une grande demande d’aliments. En s’appuyant sur leurs capacités pour la distribution, on va commencer à organiser cette jonction. »
Le cap est fixé. Le 20 octobre 2023, dans le cadre d’une commémoration du onzième anniversaire du « changement de cap » cher à feu Chávez, Maduro et ses ministres ont rencontré 13 000 communards. A cette occasion, le président a ordonné : « Le Conseil des vice-présidents disposera de 72 heures pour établir un mécanisme efficace permettant d’intégrer la production des Communes dans le programme national de marchés publics. Il y a des problèmes à résoudre et nous devons les résoudre à partir des propositions qui viennent de la base du peuple organisé. » Par la même occasion il a ordonné de relancer l’ « auto-construction » populaire comme méthode pour faire avancer la grande « Missión Vivienda » (« Mission logement »), le genre d’initiative qui donne lieu à des résultats parfois particulièrement étonnants [12].
Fort du soutien très affirmé du chef de l’État, Angel Prado fait feu de tout bois et multiplie les déplacements tant sur le terrain que dans les bureaux de ses « collègues ». Le 8 août 2024, il se réunissait ainsi avec le ministre de la Pêche et de l’agriculture Juan Carlos Loyo afin de créer, en articulation avec les Communes, une route de distribution de poisson depuis le sud du Lac de Maracaibo jusqu’aux quartiers populaires de Barquisimeto (Lara). Fin 2023, il existait déjà 83 circuits communaux et huit Zones économiques impliquant 379 Communes et 5 968 producteurs, les unes et les autres bénéficiant à plus de 155 000 familles.
VEILLE DE L’ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE DU 28 JUILLET 2024 À CARACAS PHOTO MAURICE LEMOINE (ML) |
À Caracas, du troisième étage de l’ « Edificio La Francia » qui surplombe l’agréable place Bolivar, Blanca Eekhout nous fait remarquer, d’une voix où perce un soupçon d’agacement : « Beaucoup savent ce qui s’est produit le 28-J, mais très peu ont eu vent de ce qui s’est passé le 25 août ! »
Le 28 juillet 2024 – le 28-J –, nul n’en ignore effectivement, a eu lieu l’élection présidentielle qui a donné la victoire (contestée par l’opposition [13]) à Nicolás Maduro. Mais, le 25 août a vu une autre consultation nationale : les habitants de 4 500 Communes ont voté pour déterminer lequel de leurs besoins prioritaires devrait être financé immédiatement par l’État. Il s’agissait d’ailleurs de la deuxième consultation de ce type, la première ayant eu lieu le 21 avril précédent.
Explication : l’amélioration de la situation économique depuis 2022 a rendu possible une augmentation des transferts de l’État vers les conseils communaux et les Communes. A tel point que, le 20 octobre 2023, le président Maduro a annoncé : « A mesure que nous récupérerons le revenu national avec la levée partielle des sanctions par les États-Unis, toute rentrée d’argent dans les caisses de l’État ira directement aux circuits économiques communaux, à ceux qui existent et à ceux que nous allons créer. » Depuis, il a précisé que, pour sélectionner les projets des autogouvernements populaires à financer, quatre consultations seront organisées chaque année.
Traduction de Carlos Torres (Commune « Negra Hipólita ») : « Avant, on dépendait du maire, du gouverneur, du président pour pouvoir investir, pas vrai ? Maintenant, non ! C’est le peuple, le collectif, le véritable pouvoir qui décide où sont ses priorités. »
Commune « Ezequiel Zamora » (Lara). « Quand Chávez est arrivé, on s’est organisés. Maintenant, avec Maduro, on a appris encore plus. »
Des coqs chantent, bien que la matinée soit très avancée. Ils ne parviennent pas à couvrir les coups de marteaux et le chuintement d’un fer à souder. Des hommes s’entraident pour monter une charpente métallique. Plusieurs femmes en tee-shirt rouge s’activent à des tâches diverses et variées. Le 21 avril, la population des sept conseils communaux a décidé : la priorité des priorités, pour la Commune, c’est un « ambulatorio ». Le Centre de diagnostique intégral (CDI) [14] et l’hôpital sont très loin. Ce dispensaire est indispensable pour les urgences. Surtout la nuit. « Ici, on a beaucoup d’anciens ou de gens mordus par des serpents, expose d’un ton posé Luis Vargas, du conseil communal Santa Bárbara. Quand il y a un problème avec l’essence, on doit se déplacer en bicyclette ou appeler la mairie pour qu’elle nous aide avec un véhicule. »
Carmen Vásquez observe l’avancée des travaux. Elle est l’une des deux infirmières qui vivent dans la communauté. « Je vais pour la première fois exercer ma profession. Ça fait longtemps que je suis diplômée, mais je n’en avais pas encore eu l’opportunité. Quand le “consultorio” » sera ouvert, un médecin pourra venir régulièrement. »
Une question. Pas de réponse très précise. Un appel : « Alexis, por’fa ! [15] ». Porte-parole du conseil communal, l’Alexis en question déboule. Il précise : le dispensaire est terminé à 50 %. Il détaille : « Tous ceux qui travaillent ici sont des professionnels. Ils viennent volontairement, on ne les paye pas. On assure la logistique et la nourriture. Le gouvernement nous a versé 10 000 dollars pour l’achat du matériel. On le remercie vivement ! »
D’humeur joyeuse, les femmes se regroupent. Dans un grand éclat de rire, l’une lève le poing et lance un spontané : « Mon ministre, c’est Prado ! »
CONSTRUCTION DU DISPENSAIRE DE LA COMMUNE « EZEQUIEL ZAMORA » PHOTO MAURICE LEMOINE (ML) |
Commune « Milagro » (Lara) : « On est des gens responsables. Une communauté très organisée. On n’est pas parfaits, mais on veut avancer. »
Le choix du parlement de la Commune s’est finalement porté par consensus sur la construction d’un trottoir en dur à proximité du centre éducatif. La rue elle-même n’étant pas encore asphaltée, quand il pleut, c’est un vrai marécage pour les enfants des cinq conseils communaux qui y étudient.
La mairie ? Pas de problème : « C’est le pouvoir populaire qui décide, on sait mieux que quiconque quels sont nos besoins. »
Une équipe de cinq travailleurs – un par conseil communal – effectue les travaux. « Le conseil “El Esfuerzo” en a deux parce que l’un d’entre eux a les compétences professionnelles pour être le maître d’œuvre. » Tous sont rémunérés.
Cinq femmes ont assuré le suivi. Membre du conseil communal « El Triunfo », Virginia Yepes pouffe, visiblement ravie : « C’est la première fois qu’on a assumé ce genre de tâche et cela a été une grande expérience pour nous. D’habitude, c’est toujours les hommes... Beaucoup de gens doutaient. Ça s’est terminé par des félicitations ! »
La somme allouée par le gouvernement devait permettre d’ériger au total 180 mètres de trottoirs, 90 des deux côtés de la chaussée. C’est ce qu’aurait fait une entreprise privée avec un tel budget. Grâce à sa gestion de mères de familles, le pouvoir populaire en a érigé 215 mètres (soit 430 en tout) ! On y pense en « bolivarien », ce qui donne une conception du monde différente de celle de la loi du marché. Les mêmes causes entraînant les mêmes effets, la Commune « « Negra Hipólita », qui s’est attaquée au creusement d’un réseau d’égouts, fait même le constat : « On nous disait qu’on n’aurait pas assez d’argent pour 80 mètres et on a atteint 150 mètres ! »
Pas très loin du trottoir flambant neuf, l’une des « compañeras » porte sous le bras un livre de comptes soigneusement tenu. Elle précise que, devant le Conseil fédéral, elles sont cinq responsables de la gestion de l’argent alloué par l’État : « Tout dois être transparent et à disposition de n’importe qui. »
GESTION SCRUPULEUSE ET LIVRE DE COMPTES, COMMUNE « MILAGRO » PHOTO MAURICE LEMOINE (ML) |
Il se trouve que, contrairement à ce que pensent beaucoup, le Venezuela n’a rien d’un aimable foutoir reposant sur le clientélisme et l’improvisation. On peut même parler d’un modèle d’avant-garde, très sophistiqué.
Lorsque l’expérience des conseils communaux a débuté, il n’existait aucune référence, aucun précédent. Chávez a juste dit : « On va remettre des ressources au pouvoir populaire. » A partir de 2011, les fonds passent par le Conseil fédéral de gouvernement (CFG), inauguré cette même année. Pour éviter les intermédiaires entre la base et le gouvernement central, pour ôter aux structures locales la possibilité de laisser à l’écart les moins en cour ou les plus isolés, le CFG fait le pari de la communication directe. Les conseils communaux devront présenter leurs projets et leurs demandes de financement par Internet. « On a réussi un truc incroyable, nous confiait en 2018 Guy Vernaez, directeur à l’époque du CFG. On a monté un site Web pour le pouvoir populaire, ce qui n’était pas si simple. Mais c’était ça où faire croître une bureaucratie. » Le SINCO (Système d’intégration communale) était né.
Pour la petite histoire et la beauté du symbole, ce système nerveux électronique a eu un prédécesseur : le Cybersin de… Salvador Allende. Avec les modestes matériels électroniques de l’époque, un réseau novateur de transfert d’information en temps réel destiné à favoriser la participation des travailleurs dans le contexte de la politique de nationalisations et de gestion des entreprises récupérées. Pour ce faire, le « compañero présidente » prit contact avec le britannique Stafford Beer, l’un des pères de la cybernétique, qui dirigea un groupe de Chiliens liés à l’aire de la technologie. Au moyen d’un réseau de Téléx installés dans les usines d’État, et par le biais de l’ordinateur IBM 360 de l’entreprise d’informatique chilienne ECOM pour traiter les données centralisées, ce système révolutionnaire ouvrit une communication directe entre les acteurs de l’économie nationale et le gouvernement central [16].
Dès 2014, pour en revenir au Venezuela, plus de 25 000 conseils communaux transférèrent leurs demandes au CFG, dont 13 000, approuvées, donnèrent lieu à l’octroi de financement. Avec un maximum de transparence et en ne laissant qu’un espace réduit à l’utilisation indue de l’argent ou à la corruption. Aucun leader unique : chaque conseil communal doit désigner cinq responsables. Aucun d’entre eux ne peut réaliser une démarche afférant au projet sans l’accord des quatre autres. Que le CFG contacte régulièrement pour savoir s’ils ont connaissance de telle avancée ou de tel recul des travaux. Lesquels travaux sont suivis en temps réel. Toutes les informations arrivant par le SINCO, les services du CFG peuvent les analyser, ce qui permet de contrôler l’ensemble des entités et à tous les échelons.
On retrouve la même logique et le même fonctionnement pour les Communes.
Un écueil : il n’est pas toujours simple pour qui, habitué à la rude vie du paysan, ne maîtrise pas l’informatique, de se mettre au système SINCO. « Au début, c’est difficile. Après, quand on l’utilise régulièrement, on s’habitue. Mais il faut qu’Internet fonctionne bien… »
Néanmoins, et les difficultés étant faites pour être surmontées…
Pitiguao, bled improbable au cœur d’un massif montagneux boisé du Lara. José, lutteur social de son état, contemple le chantier : une petite école terminée à 50 %. « Il manque encore les portes et les pupitres. » Avant de repartir, sa journée terminée, il s’assied un instant dans le petit appentis qui servira de cantine. Dans les rayons obliques de lumière jaune, volettent des grains de poussière. Résumé de la situation : il y a 54 enfants et ils n’avaient pas d’école. « Ce qui s’est passé c’est que les représentants du “caserio” étaient divisés. Il y avait un petit groupe qui dirigeait et qui ne faisait pas d’assemblées générales. Personne ne comprenait ce qu’est la Commune. » Etape dépassée. Maintenant, la Commune a pris les choses en main. « L’idée c’est que tout le monde participe, le plan de travail est connu de tous. » Les communards ont voté en avril. Grâce « à notre président-ouvrier Nicolas Maduro », le projet d’école, sorti vainqueur, a reçu son financement. « Maintenant, on cherche un instituteur, quelqu’un qui voudrait aider. Ici, on a tout, donc, c’est pas compliqué. Enfin si, c’est difficile… Mais c’est pas impossible, hein, on est d’accord là-dessus. »
PITIGUAO : JOSÉ (ASSIS), LUTTEUR SOCIAL DE SON ÉTAT PHOTO MAURICE LEMOINE (ML) |
Le 21 avril 2024, ce sont 15 617 bureaux de vote répartis dans les 49 000 conseils communaux qui ont permis aux citoyens de donner au ministère des Communes une première liste des projets à financer et à mettre en œuvre. Plus de 27 000 propositions s’affrontaient.
Dans la Commune « Che Guevara », il y en avait sept. L’a emportée la demande d’un petit car pour organiser une ligne de transport communal de et jusqu’à Tucaní. « Il y en avait bien une, mais elle s’est arrêté quand il y a eu le problème de l’essence et n’a jamais repris. » Le deuxième souhait le plus voté a été l’arrangement de la voie principale.
« El Panal 21 » a vu s’affronter trois projets : une ambulance ; une unité de production non spécifiée ; une unité de fabrication de sauce tomate. « À gagné l’ambulance », sourit José Queregan enthousiasmé par cette coopération « entre l’État bourgeois et les nouvelles formes d’organisation qui portent en germe le socialisme ».
UNE AMBULANCE POUR LE COMMUNE « EL PANAL 2021 » (ML) |
À La Miel (Lara), la Commune « Lanceros Atures » réhabilitera un puits aquifère qui va permettre la distribution d’eau potable, déficiente dans certains secteurs, à plus de 8 000 habitants. Pourquoi un problème aussi vital n’a-t-il pas été résolu plus tôt par la « révolution » ? « On a déjà aménagé quatre puits, mais ils sont devenus insuffisants du fait de la croissance de la population. » Commune urbaine, « Lanceros Atures » gère trois entreprises : une boulangerie communale, une unité de production d’eau-de-vie, plusieurs bâtiments pour le développement agricole et l’élevage.
Dehors, le soleil cogne méchamment. Les quinze membres du Parlement communal réunis dans la grande salle n’en apprécient que plus le flux ronronnant de l’air conditionné. En arc de cercle parfait, ils préparent la prochaine consultation populaire, celle du 25 août. Le président de séance prend la parole. Quelques considérations générales, une inévitable citation du « comandante » (Chávez), et la discussion peut démarrer.
Problème : il y a quinze conseils communaux, donc quinze représentants devraient être présents ; certains ne sont pas venus, parce qu’ils vivent un peu loin. Grognements dans l’assemblée : « Il faut créer les conditions pour qu’on puise tous se réunir ! »
Il résulte des interventions suivantes que : dans le cadre de la « consulta » et du percement du puits, qui n’en est qu’à sa première étape, la Commune œuvre avec les institutions de l’État ; elle a l’appui technique de la mairie, du gouvernorat de Lara et du ministère de l’Eau. Parallèlement, « et avec l’appui de notre président Maduro », elle travaille à un « projet spécial », la construction d’un terrain de sport pour le lycée. La Banque communale a reçu les ressources pour l’achat du matériel et l’embauche de la brigade de construction. Certains avancent des noms. Un doigt impératif se lève : « N’oublions pas qu’il faut que la main d’œuvre soit qualifiée. »
En vue du 25 août, on attend les propositions de chaque conseil communal. Le président de séance se hâte de déclarer : « Il faut achever le percement du puits. On ne peut pas lancer un autre projet alors que le premier n’est pas terminé. » L’assemblée évalue rapidement le pour et le contre. Dans ce cas précis, le consensus devrait être obtenu assez facilement : l’eau est vitale pour les habitants de tous les conseils communaux.
Sachant que, attention, le Vénézuélien est un être humain comme les autres… Quelques-uns de ces conseils communaux n’ont pas encore désigné leur porte-parole. S’ils ne le font pas rapidement, impossible d’élire les instances de la Commune, qui doivent être renouvelées. Et dans ce cas, il devient également infaisable de charger un quelconque projet sur le système SINCO. Quelqu’un jette, d’une voie agacée : « Il y a des gens qui aiment parler, parler, parler, et qui n’écoutent pas ! » Un autre rajoute : « Il faut qu’on mette en place une méthodologie de travail. » Ayant fréquenté pendant trois ans l’Ecole de formation politique, idéologique et technique d’El Maizal, Elisa Peña tempèrera, un peu plus tard, lorsque nous la questionnerons : « Ponctuellement, ce n’est pas toujours facile, mais on avance, il y a une dynamique communale. Les plus anciens conseillent les nouveaux. »
La réunion se termine dans la bonne humeur. Tout le monde se dirige vers la porte de sortie avec force tapes dans le dos.
RÉUNION DU PARLEMENT DE LA COMMUNE « LANCEROS ATURES » PHOTO MAURICE LEMOINE (ML) |
« Il peut y avoir une Commune excellente, extraordinaire, mais, si elle est isolée, c’est contre-révolutionnaire, affirmait Chávez. Dès 2019, certaines Communes tendent des ponts et établissent entre elles des contacts très réguliers. En 2020, diverses rencontres régionales ont lieu pour regrouper les forces. Arrive la pandémie : tout s’arrête ! Au milieu du double cataclysme – pandémie plus déstabilisation –, une poignée de « compañeros », préoccupés, décident qu’il faut survivre à cette guerre. « On a décidé de monter dans un camion, là-bas, dans la Commune El Maizal, pour chercher les survivants, raconte Juan Lenzo. Et on a trouvé un peuple résistant avec courage et qui insistait dans la voie communale vers le socialisme, beaucoup de gens, et on s’est rendus compte qu’on avait un étendard de lutte commun, une réalité commune, et ainsi est née l’Union communale, résultat de la recherche des survivants ! » Suit un grand éclat de rire : « Pour pouvoir circuler sur les routes, pendant le Covid, ce qui était interdit du fait des mesures sanitaires, on a dû falsifier pas mal de sauf-conduits ! »
Ainsi débute la construction du système national des Communes : l’ « Union comunera » (UC). Son congrès fondateur se tient le 4 mars 2022 à El Maizal, la dotant de statuts, d’un programme et d’une identité. L’UC regroupe à l’heure actuelle 90 Communes dans tout le pays, dispose d’une direction nationale et de plusieurs commissions de travail. Elle développe les échanges économiques entre Communes rurales et urbaines les plus avancées. Pratique dont, sans surprise, on trouve un exemple vivant à « El Panal 2021 » : « On est en relation avec des Communes de l’intérieur du pays, productrices de légumes et de fruits, décrit José Queregan. On paie le coût réel aux producteurs et, ici, on pratique des prix solidaires pour protéger la poche du travailleur. Cette rupture avec le marché et les intermédiaires ça bénéficie en tout premier lieu au pouvoir populaire organisé. »
Regroupant, articulant, l’Union communale a entrepris de développer l’Ecole de formation des cadres, organise des ateliers de formation en matière de gestion, de féminisme ou de communication. Un thème considéré comme de toute première importance. « Dès le début de la révolution, remarque Blanca Eekhout, on a créé des centaines de médias communautaires, radios, télévisions, etc. Du fait de la crise des dix dernières années, beaucoup ont disparu. On doit faire des efforts pour qu’il y ait des médias alternatifs dans chaque Commune parce que, sans communication, le travail qu’on effectue est incomplet. » Quant aux femmes, puisqu’on les évoquait, la première Rencontre du féminisme communal a eu lieu le 11 novembre 2024, dans la Commune d’El Maizal, à l’initiative des dirigeantes de la région Centre-Occident. « Sans féminisme, il n’y a pas de socialisme », résuma alors l’une des participantes, Margloris Camacho.
PREMIÈRE RENCONTRE DU FÉMINISME COMMUNARD (DR) |
De l’ultra-droite aux ex-sociaux-démocrates, l’opposition ne veut que le bonheur du peuple. Elle conteste donc vigoureusement cette politique dangereusement « clientéliste ». En 2015, lorsqu’elle s’est brièvement emparée de l’Assemblée nationale, sa première priorité a été de déclarer que toutes les lois du pouvoir populaire étaient anticonstitutionnelles et de mener toute une stratégie de disqualification.
En 2021, le président de l’Association vénézuélienne de droit administratif (Aveda), Alfonzo Paradisi, estimait à son tour que les lois en question violent la Constitution en vigueur en établissant « un État parallèle » [17]. Plus proche de nous, l’avocat Allan Brewer Carias prétend que ces lois, loin d’être des instruments de décentralisation, constituent un système de contrôle des communautés par le pouvoir central. En pratique, elles revêtiraient le rôle de courroie de transmission des décisions gouvernementales et de secteurs politiques défendant coûte que coûte le « caudillo » Maduro.
Enfin, et toujours d’après la droite, le gouvernement utilise ce système pour financer ses « sympathisants » au détriment des maires et gouverneurs d’opposition. Sur ce point précis, l’argument tiendrait si les édiles du Parti socialiste uni du Venezuela (PSUV), base politique institutionnelle du pouvoir, n’étaient eux aussi confrontés à la « concurrence », qu’elle ne vit pas toujours très bien, de l’autogestion populaire.
Pour le reste, Juan Lenzo met les points sur les « i ». Tout d’abord : « La logique communautaire ne vise pas le remplacement de la mairie ! » Tout comme les gouverneurs et les élus, le maire garde un champ de prérogatives étendu : infrastructures, travaux d’aménagement, gestion du patrimoine, administration de l’état civil, attributions en matière de police et de sécurité, etc. « Mais, ce qu’on défend ne se résume pas au vote. Le vote c’est l’exigence minimum de la démocratie. La nôtre s’amplifie par des milliers de processus, de consultations, de délibérations, de participation, d’exercice de la politique dans les territoires. Notre modèle, c’est une démocratie élargie. » Avec une particularité (si l’on se réfère au zapatisme, pour qui le pouvoir central est considéré comme un ennemi) : une collaboration étroite et assumée entre base populaire et État. Lenzo, encore : « Il est essentiel d’avoir des expressions communautaires qui disposent de degrés d’autonomie, mais qui permettent également de penser dans une perspective nationale. »
Dans leur lutte inquisitoriale contre les sorciers, les hérétiques et les possédés, les conservateurs ont, de fait, de bonnes raisons de s’inquiéter. Certes, les 4 505 Communes existantes ne constituent pour l’heure qu’une expérience relativement limitée. Tout le Venezuela n’est pas « communard », loin de là. Toutefois, au nombre de 49 000, présents sur tout le territoire, les conseils communaux y sont devenus un référent absolu. Personne ne peut les ignorer, au-delà des idéologies. D’autre part, lorsque, à travers les consultations, en dialogue permanent avec l’État, les Communes améliorent la vie du quotidien, même les opposants locaux en profitent – on ne parle pas là des classes supérieures, mais des citoyens modestes ou même de classe moyenne. Lorsqu’ont lieu les consultations, tous les citoyens, quelle que soit leur orientation politique, sont invités à voter. « Or, si les gens s’impliquent dans l’aménagement de leur territoire, ils vont défendre ce qu’ils ont conquis ou même simplement acquis », avance Blanca Eeckhrout.
Sur ce point précis, on objectera que, malgré les fantastiques programmes sociaux dont ils ont bénéficié dans un premier temps, nombre de Vénézuéliens, oubliant les acquis, se sont détournés de la révolution lorsque leurs conditions de vie se sont dégradées du fait de la crise économique provoquée par l’agression des États-Unis. Ce à quoi Windely Matos, porte-parole principal de la Commune « Lanceros de Atures », rétorque : « Si, au Venezuela, il y avait 3 000 Communes actives ayant, comme nous, 600 têtes de bétail, des porcs et 30 hectares de maïs, en plus de notre production de farine et de café, l’impact des sanctions [étatsuniennes] serait infiniment moins fort. » Sachant par ailleurs que, maillant le territoire, là où existent des conseils communaux actifs et une Commune consolidée, l’opposition a moins de possibilités de l’emporter (pour celle qui accepte le jeu démocratique) ou de déstabiliser le pays (là où elle a décidé de semer le chaos). « On est des gens de paix, mais on est aussi des guerriers, confirme à sa manière Daniel Suarez, représentant légal de la Commune « Lanceros Atures » et conseiller municipal de Simon Planas. On ne se laisse intimider par personne. »
Il se trouve que le processus bolivarien se radicalise et s’infléchit délibérément dans cette direction. « Nous allons ébranler les bases de l’État bourgeois et construire un État communal, démocratique et appartenant au peuple », a réaffirmé fin 2024 le président Maduro. Parallèlement aux consultations prévues, il envisage que l’État finance plus de 4 600 « projets exclusivement productifs », ainsi que des initiatives concernant spécifiquement la culture et les jeunes. Il souhaite de plus que, à terme plus ou moins bref, le pays compte 6 000 Communes.
Le 15 décembre, organisé par le ministère des Communes avec l’appui technique du Conseil national électoral (CNE), un nouveau volet de cette politique inclusive s’est ajouté aux précédents lors de l’élection inédite (mais prévue dans l’article 68 de la Constitution) de 15 000 juges de paix communaux et d’autant de suppléants, au scrutin direct et secret. Plus de 52 000 candidats s’étaient présentés. Dans leurs communautés respectives, les élus serviront de médiateurs, arbitreront et éventuellement dicteront des sentences en cas de différends mineurs, de conflits entre voisins, de manière à traiter et résoudre ces affaires rapidement en désengorgeant les tribunaux [18].
La Commune ou rien ! « La droite vénézuélienne a peur que soit adopté un modèle qui s’appuie sur la participation populaire, conclut le ministre Angel Prado. L’impérialisme et la bourgeoisie latino-américaine craignent que ce type d’expérience communale ne commence à être exigé par le peuple dans d’autres pays. »
L’approuvant implicitement, bien qu’à distance, la coordinatrice de la brigade du Mouvement des sans terre brésiliens, Simone Magalhaes, nous déclare : « Les Communes sont une expérience incroyable. Je suis impressionnée par la capacité de conscience politique et de protagonisme du peuple vénézuélien. Cet héritage de Chávez ne peut pas rester uniquement au Venezuela, il a beaucoup à dire et à nous enseigner. »
« C’est une démocratie qu’on construit avec un supplément d’âme », abonde Blanca Eekhout. Elle s’écarte des standards de la démocratie libérale-bourgeoise, c’est probablement à cause de ça qu’on est tant attaqués. »
Dirigeant de l’Union communale, Alexander Gil se risque à aborder le thème de ceux qui, véritable insulte au bon sens et à la logique, détournent ostensiblement les yeux dès qu’on leur parle de la révolution bolivarienne : « Je crois qu’il y a de nombreux secteurs de gauche très, très influencés par les campagnes de l’impérialisme et tout ce réseau de propagande qui a été tissé, et qui ne comprennent pas qu’au Venezuela se construit une démocratie de base participative et protagonique, c’est-à-dire qui transcende les formes classiques de la démocratie [19]. »
À Sarare, en pleine réunion d’un conseil communal tenu en pleine nature, dans la fraicheur relative de la fin de journée, Carmen León ne s’embarrasse pas de périphrases et jette dans un élan d’enthousiasme bouillant : « Ce qui se passe ici ne se passe nulle part ailleurs. Le Venezuela est unique en tout ! »
Notes :
[1] A l’origine, terme insultant pour désigner les communistes et les militants d’extrême gauche.
[2] Premier penseur marxiste important en Amérique latine, José Carlos Mariategui (1895-1930) fut en 1928 le fondateur du Parti socialiste péruvien. Evoquant une « création héroïque », il prônait un « socialisme indo-américain » reposant sur l’alliance de l’intelligence, du travail ouvrier et du paysan indien.
[3] Document de l’EZLN, « Democracia y Justicia », (dialogues de) San Andrés, Chiapas, 16 juillet 1996.
[4] Le collectif a pris ce nom en 2002 en hommage à Alexis González Revette, un « compañero » assassiné par la police durant le coup d’État du 11 avril.
[5] Nom populaire donné au pillage des produits subventionnés pour provoquer des pénuries et les revendre à prix majoré.
[6] Devenue majoritaire à l’Assemblée, l’opposition de droite ne devra qu’à son arrogance de ne pouvoir exercer ses prérogatives : ayant par pure provocation fait prêter serment à trois députés convaincus de fraude, elle est déclarée « en desacato » (outrage à l’autorité) par le Tribunal suprême de justice (TSJ) et, sans être formellement dissoute, voit dès lors toutes ses décisions invalidées.
[7] C’est dans ces conditions que, en 2017, après une vague de violence insurrectionnelle, il a convoqué et fait élire une Assemblée constituante non destinée à réformer la Constitution mais à remplacer et tenir le rôle de l’Assemblée nationale, toujours dans l’illégalité.
[8] Opposants considérés servilement inféodés aux États-Unis.
[9] Figure créée par l’Assemblée nationale au sein du vaste éventail des lois du pouvoir populaire.
[10] https://venezuelainfos.wordpress.com/2024/07/22/femmes-communardes-parmi-tant-dautres-au-venezuela/
[11] Le Venezuela produit un pétrole « lourd » qui doit être traité avec des additifs. Le blocus des États-Unis ayant fait obstacle à l’importation de ces produits, des pénuries d’essence ont paralysé le pays.
[12] L’exemple le plus spectaculaire d’« autoconstruction » d’un immeuble par un groupe de femmes a fait l’objet d’un documentaire de Thierry Deronne, « Nostalgiques du futur », qu’il est possible de visionner sur le site des Mutins de Pangée : https://www.cinemutins.com/nostalgiques-du-futur
[13] Lire « Les influenceurs politico-médiatiques du Grand Venezuela Circus », 10 octobre 2024 – https://www.medelu.org/Les-influenceurs-politico-mediatiques-du-Grand-Venezuela-Circus
[14] Centre médical gratuit doté de personnel, de technologie permettant les examens et de médicaments.
[15] Abréviation très populaire de « por favor ».
[16] In Maurice Lemoine, Venezuela, chronique d’une déstabilisation, Le Temps des Cerises, Montreuil, 2019.
[17] https://elestimulo.com/politica/2024-11-25/ahi-viene-el-estado-comunal-otra-vez/
[18] Les élus bénéficieront d’une formation assurée par le Tribunal suprême de justice (TSJ).
[19] https://www.colombiainforma.info/venezuela-desde-la-comuna/