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LES COMMÉMORATIONS DE LA LIBÉRATION DU CAMP D’AUSCHWITZ
SERONT LES DERNIÈRES EN PRÉSENCE DES DERNIERS SURVIVANTS.
PHOTO BEATA ZAWRZEL
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L'HUMANITÉ80ème anniversaire de la libération d’Auschwitz : Les commémorations sous le signe des derniers survivants / Il y a quatre-vingts ans, l’Armée rouge libérait le camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau. Ce 27 janvier, le monde se recueillera en mémoire des 6 millions de juifs mais aussi des Tziganes, homosexuels et résistants, assassinés par le régime nazi. Des cérémonies marquées par la montée de l’extrême droite et de l’antisémitisme, sur fond de vives tensions diplomatiques. / Société [Il y a 80 ans, l'Armée rouge libérait le camp de concentration de Auschwitz.]
LE 27 JANVIER 1945, LE CAMP DE CONCENTRATION ET D’EXTERMINATION D’AUSCHWITZ-BIRKENAU EST LIBÉRÉ PAR LES TROUPES DE L’ARMÉE ROUGE. ILLUSTRATION L'ECHIQUIER SOCIAL |
80ème ANNIVERSAIRE DE LA LIBÉRATION D’AUSCHWITZ
1945 - 27 janvier - 2025
7 min
Publié le 26 janvier 2025
Ce sont leurs voix, et elles seules, qui vont résonner aux portes du camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau, en ce 80ème anniversaire de sa libération, quand le 27 janvier 1945, les soldats de l’Armée rouge découvraient l’horreur concentrationnaire nazie et sa machine de mise à mort industrielle.
ENTRÉE DE BIRKENAU (AUSCHWITZ II), VUE DEPUIS L'INTÉRIEUR DU CAMP PHOTO ANGELO CELEDON AKA |
► À penser en dessin : FENÊTRE SUR COUR
Malgré la présence attendue de nombreux chefs d’État et de gouvernement, « il n’y aura aucun discours politique, a indiqué l’historien Piotr Cywinski, directeur du Mémorial et du Musée du camp. Nous voulons nous concentrer sur les derniers survivants à être encore parmi nous et sur leurs histoires, leurs douleurs, leurs traumatismes et les obligations morales difficiles qu’ils nous confient pour le présent. »
LA MÊME ENTRÉE LE 27 JANVIER 1945. PHOTO STANISLAW MUCHA |
« Nous sommes à la croisée des générations »
Si la voix des rescapés d’Auschwitz est aussi cruciale, c’est d’abord pour ce que représente ce camp. Il « est devenu le symbole du mal absolu dans la culture contemporaine. Il incarne de façon métonymique le génocide des juifs, et même l’ensemble de la criminalité nazie », résumait au Monde l’historienne Annette Wieviorka, qui y a consacré plusieurs ouvrages.
Ensemble concentrationnaire le plus étendu du IIIème Reich, il est à la fois un camp de travail et, à partir de 1942, un centre de mise à mort. Au total, près de 1 million de juifs, 70 000 Polonais, 25 000 Tziganes et près de 20 000 prisonniers de guerre, en majorité originaires d’URSS, ainsi que des résistants communistes, y seront assassinés.
La volonté de mettre les rescapés au centre des cérémonies officielles tient aussi pour beaucoup à leur disparition imminente. En janvier 2024, une étude de la Claims Conference, qui travaille pour l’obtention de réparations pour les victimes, avait décompté 245 000 survivants de la Shoah à travers le monde, âgés en moyenne de 86 ans. « Nous sommes à la croisée des générations. Écouter un survivant de la Shoah raconter son histoire ne sera plus possible dans quelques années », résume Dani Dayan, président du mémorial Yad Vashem de Jérusalem, qui sera présent à la cérémonie.
VUE AÉRIENNE DU CAMP D'EXTERMINATION D'AUSCHWITZ-BIRKENAU |
Une ambiance diplomatique tendue
Les commémorations se déroulent également dans une ambiance diplomatique tendue. Parmi les polémiques : la possible présence aux cérémonies du premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou. Ce dernier avait finalement été autorisé à se rendre à Auschwitz, malgré le mandat d’arrêt émis à son encontre en novembre dernier par la Cour pénale internationale pour « crimes de guerre » et « crimes contre l’humanité », notions dont l’existence même est enracinée dans la condamnation du génocide perpétré par les nazis.
Dans un premier temps, le ministre polonais des Affaires étrangères avait laissé entendre que Varsovie, signataire du traité de Rome, serait à ce titre dans l’obligation d’arrêter le dirigeant israélien s’il se rendait sur place. Mais après une prise de position contraire du président conservateur, Andrzej Duda, le premier ministre a rectifié le tir. Mi-janvier, un communiqué de son cabinet précisait : « Le gouvernement polonais considère que la participation en toute sécurité des dirigeants d’Israël aux commémorations du 27 janvier 2025 fait partie de l’hommage rendu à la nation juive, dont des millions de filles et de fils ont été victimes de l’Holocauste perpétré par le IIIème Reich. »
Finalement, Benyamin Netanyahou ne sera pas présent à Auschwitz. Tel-Aviv sera représenté par son ministre de l’Éducation, Yoav Kisch, un membre du Likoud. Il n’empêche, l’autorisation accordée par la Pologne a suscité de nombreuses contestations, alors qu’un « risque plausible de génocide » de la population palestinienne de Gaza par l’armée israélienne a été reconnu par la Cour internationale de justice.
Signe de la difficulté à dissocier les commémorations de la libération du camp et la politique d’Israël dans les territoires occupés, la présence du président irlandais, dont le pays a pris la tête du soutien européen aux Palestiniens, a été jugée indésirable par l’organisation Holocaust Awareness Ireland.
La Russie a été désignée persona non grata
L’autre sujet de tension concerne l’absence d’invitations envoyées à la Russie. Représenté tous les ans depuis 1945, le pays, dont les troupes ont pourtant libéré Auschwitz, n’est plus le bienvenu depuis qu’il a attaqué l’Ukraine en février 2022. « C’est un anniversaire de la libération du camp. Nous nous souvenons des victimes, mais nous y célébrons aussi la liberté. Il est difficile d’imaginer la présence de la Russie, qui ne comprend manifestement pas la valeur de la liberté », avait justifié dès septembre Piotr Cywinski.
Son argument – de nombreux Ukrainiens composaient les troupes de l’Armée rouge qui ont découvert Auschwitz – s’inscrit dans ce courant confusionniste qui tend à minimiser le rôle de l’URSS dans la victoire des Alliés en 1945. Les principes semblent d’ailleurs à géométrie variable, le salut nazi d’Elon Musk, un des membres les plus importants de la nouvelle administration Trump, n’a pas remis en cause l’invitation d’une délégation américaine.
«APOLITIQUE, LE GESTE D'ELON MUSK ? SELON L'HISTORIOGRAPHIE, RIEN N'ATTESTE L'EXISTENCE D'UN SALUT ROMAIN DÉCORRÉLÉ DU SALUT FASCISTE.» ILLUSTRATION RADIO FRANCE |
La France, elle, sera représentée par son président, qui participera également dans la matinée à un dépôt de gerbe au Mémorial de la Shoah. Il devrait être accompagné, entre autres, du président du Crif, du grand rabbin de France, de la famille Klarsfeld et de la présidente de l’Assemblée nationale.
La force de ces polémiques autour d’un événement censé être fédérateur donne aussi une indication du niveau de remise en cause des valeurs qui ont sous-tendu l’organisation du monde depuis 1945. En témoignent la montée en puissance de l’extrême droite et le retour en force des discours racistes et antisémites, relayés par la puissance des réseaux sociaux. « L’antisémitisme est rampant, dans nos rues et en ligne. Les juifs font face à de plus en plus d’intimidations, de menaces et de violences physiques », a ainsi souligné Volker Türk, haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme.
Même en Allemagne, le parti d’extrême droite AfD est en pleine ascension, soutenu par le patron de X, Elon Musk. En France, rappelle la Ligue des droits de l’homme, « on a pu assister récemment, lors de la mort de Jean-Marie Le Pen, à une opération de minimisation, voire d’enfouissement, de la longue série de déclarations antisémites et négationnistes de celui qui a fondé le FN avec d’anciens Waffen SS et des miliciens ». Porter et transmettre la mémoire d’Auschwitz est un hommage aux victimes. C’est aussi, plus que jamais, une arme contre le retour de la violence et la haine.
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