mercredi, novembre 25, 2020

PHOTO / AU CHILI, LES MAPUCHES EN PREMIÈRE LIGNE DES VIOLENCES POLICIÈRES

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PHOTO CRISTÓBAL OLIVARES

V.C., 12 ans et son frère F.C., 6 ans, à Ercilla. Leur père et leurs frères ont été accusés à tort de meurtre et ils ont vécu une violente descente de police chez eux.

Ces peuples autochtones, spoliés de leurs terres, tentent actuellement d'obtenir des sièges réservés dans l’Assemblée constituante en gestation, afin de faire valoir leurs droits. Le photographe Cristóbal Olivares a documenté le lourd vécu des jeunes mapuches, régulièrement confrontés aux bavures policières.
PHOTO CRISTÓBAL OLIVARES

Lors du rite «Ngillatun», qui renforce les liens au sein de la communauté.


PHOTO CRISTÓBAL OLIVARES

L'Araucaria est l'arbre symbole de la région, essentiel à la vie économique. Il n'est trouvé quasiment qu'en Auracanie, territoire anciennement mapuche et dont seule une partie a été récupérée.

PHOTO CRISTÓBAL OLIVARES

Les Mapuches considèrent la nature comme sacrée.

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T. H., 9 ans, a assisté à plusieurs arrestations et à l'emprisonnement de son père
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PHOTO CRISTÓBAL OLIVARES

La récupération du territoire ancestral est une revendication majeure des Mapuches, et dans leur lutte pour l'obtenir, les militants vivent une violente répression, permise par une loi antiterroriste héritée de la dictature. F.H a 21 ans et vit sur des terres récupérées en Araucanie. Avec sa famille, ils sont harcelés par la police.


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Israel Hernandez Huentecol tient une grenade lacrymogène, utilisée par la police antiémeute et retrouvée près de sa maison à Curaco. Son frère Brandon a été tué par la police.

PHOTO CRISTÓBAL OLIVARES

Brandon Hernandez Huentecol a reçu des tirs dans le dos. Le sergent Christian Rivera, auteur de la bavure, a écopé de trois ans de prison avec sursis. Brandon a encore 80 billes de plomb dans le corps, il en a reçu plus de 130.

PHOTO CRISTÓBAL OLIVARES

Près de Collipulli, en Araucanie. Cette région a été labelisée «zone rouge» en raison des conflits entre l'État, les propriétaires terriens et les communautés mapuches.


PHOTO CRISTÓBAL OLIVARES

Lors d'une cérémonie traditionnelle, appelée «Ngillatun», dans laquelle est demandée le renforcement de l'unité de la communauté.

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La police antiémeute dans les rues de Santiago, en 2019. C'est ce corps de police qui est mis en cause dans de nombreuses violences contre les Mapuches.

PHOTO CRISTÓBAL OLIVARES

Paysage d'Araucanie, terre sacrée des Mapuches.

PHOTO CRISTÓBAL OLIVARES

Différentes compagnies forestières brûlent les forêts pour renouveler la production dans la région du Biobio. Souvent ils perdent le contrôle et les feus s'étendent, causant des dommages environnementaux et affectant les villages proches.

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Des arbres coupés et empilés près de Queule. Les compagnies forestières exploitent les terres Mapuches depuis des décennies, et certaines espèces de la faune et la flore locale sont maintenant en danger.
PHOTO CRISTÓBAL OLIVARES

Teresa Marín tient une photo de son fils Camilo Catrillanca, tué par la police en novembre 2018, alors qu'il avait 24 ans. Camilo était un leader politique, à la tête du mouvement étudiant dans sa région. Il a été tué alors qu'il était sur un tracteur, en compagnie d'un mineur. Il avait une fille de 6 ans et sa femme était enceinte.


PHOTO CRISTÓBAL OLIVARES


À gauche : S. T., 14 ans, a reçu des tirs lors d'une descente de police chez elle à Pidima. Depuis avril 2017, elle vit avec 5 balles dans sa jambe gauche. A droite : Belén Curamil, fille du leader mapuche Alberto Curamil, sorti de prison récemment, porte un kultrun, un instrument traditionnel.


PHOTO CRISTÓBAL OLIVARES

Fabiola Antiqueo, 20 ans, a reçu un tir de grenade lacrymogène dans son oeil droit par la police antiémeute en mai 2017. Elle a perdu son oeil.


PHOTO CRISTÓBAL OLIVARES

 À gauche, des impacts de balles tirées par la police à un arrêt de bus, à Temucuicui. A droite, le frère de F.T., 7 ans, a été touché à la jambe lors d'une descente de police chez eux, à Temucuicui. Chaque fois que sa mère entend la police, elle cache ses enfants dans la salle de bain.

Cristóbal Olivares

Bio :
Cristóbal Olivares (Santiago, Chili 1988) est un photographe documentaire avec un intérêt particulier pour les affaires sociales. Il est le co-fondateur de Buen Lugar Ediciones , une initiative éditoriale indépendante qui publie des livres et des zines de photographie. *

EN MARCHE FORCÉE

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EMMANUEL MACRON ANNONCE UN ASSOUPLISSEMENT DU CONFINEMENT 

mardi, novembre 24, 2020

IL Y A DEUX CENTS ANS, FRIEDRICH ENGELS

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PORTRAIT DE FRIEDRICH ENGELS 
AFFICHE DES ANNÉES 1940

1820 - 28 novembre - 2020 
Le nom de Friedrich Engels est généralement associé à celui de Karl Marx dont il fut toute la vie l'ami et le collaborateur comme fondateur de la doctrine marxiste et comme dirigeant des luttes de la classe ouvrière au sein des deux premières Internationales.



 «FRIEDRICH ENGELS - DANS L'OMBRE DE MARX»

 

Étienne BALIBAR et Pierre MACHEREY 

FRIEDRICH ENGELS JEUNE

Non seulement la vie bien que longue, active et même non dénuée d'épisodes héroïques, peut ici s'effacer tout entière devant l'œuvre théorique et politique, mais celle-ci est, pour l'essentiel, inséparable d'un travail collectif.

Insistant sur ce point dans l'article qu'il rédigea, en 1896, pour le Rabotnik, Lénine comparait l'amitié de Marx et d'Engels à celles que rapportent les légendes antiques. Il n'y aurait là qu'un attendrissement oiseux si cette amitié n'avait été la forme dans laquelle ils vécurent un commun dévouement à la cause historique du prolétariat, d'où procédèrent un style de travail théorique et un mode de production intellectuelle profondément inédits, à la mesure du caractère révolutionnaire de leur science. 

L'important n'est donc pas tant d'attribuer à Engels une « originalité » personnelle qu'il a explicitement refusée, non plus évidemment que de la lui contester pour rendre à Marx ce qui serait « purement sien », en opérant en fait dans le marxisme une sélection mécanique ; il convient de montrer, à propos des interventions d'Engels, le lieu d'une série de problèmes philosophiques, scientifiques et politiques restés en bonne partie ouverts, voire contradictoires, mais essentiels à la constitution d'un matérialisme historique comme problématique d'ensemble.

1. Le jeune révolutionnaire

Engels naquit à Barmen, en Rhénanie, dans une famille d'industriels filateurs qui étaient installés également à Manchester, en Angleterre. Pendant sa jeunesse, il étudia notamment la philosophie et fut membre actif de cercles « hégéliens de gauche » qui, « à l'aide d'armes philosophiques », menaient la lutte démocratique pour la « destruction de la religion traditionnelle et de l'État existant », celui de la réaction féodale prussienne. En 1842, il fut une première fois, à Manchester, l'employé de la maison Ermen et Engels, et put mener une enquête approfondie sur le développement du capitalisme en Angleterre, sur la situation du prolétariat industriel anglais et ses tendances politiques. En même temps, il entra en relations avec des militants du mouvement ouvrier anglais et, d'intellectuel démocrate radical, commença ainsi de se transformer en révolutionnaire socialiste.

Dans La Situation de la classe laborieuse en Angleterre (1845), Engels définit le concept de « révolution industrielle », montre que le développement du capitalisme anglais est un système dont l'exploitation et la misère du prolétariat font partie. Aussi le problème historique posé n'est-il pas d'atténuer cette exploitation en secourant la misère du prolétariat. Inversement, le prolétariat n'est pas seulement une classe qui souffre, mais une classe qui, inévitablement, entre dans une lutte politique inconciliable avec le système social de production existant. Il ne doit attendre sa libération que de lui-même ; mais, dans cette lutte, il tend à la suppression des antagonismes de classe eux-mêmes, et il est donc le représentant de l'humanité tout entière, il réalise dans la pratique ce que la philosophie allemande n'avait su concevoir qu'en idée.

Engels rencontra Marx à Paris en 1844. Entre 1845 et 1847, ils acquirent un rôle important dans les organisations ouvrières, parfois secrètes, qui travaillaient à Paris et à Bruxelles. Ils rédigèrent, pour le congrès de la Ligue des communistes, le Manifeste du Parti communiste, publié en 1848. Pendant la révolution de 1848, Engels prit part à l'insurrection armée des républicains allemands dont il conduisit la retraite jusqu'en Suisse, d'où son surnom de « Général », et dont il explique l'échec dans Révolution et contre-révolution en Allemagne (1851-1852) d'abord publié sous le nom de Marx.

2. Le théoricien du matérialisme historique

PORTRAIT DE FRIEDRICH ENGELS 
AFFICHE DES ANNÉES 1940
Tandis que Marx, en émigré poursuivi par toutes les polices, se fixe à Londres, Engels est (jusqu'en 1870) associé à la direction de la succursale de Manchester de la maison Ermen & Engels. Il subvient alors aux besoins de plusieurs émigrés socialistes allemands, à commencer par Marx et sa famille qui vivaient dans une profonde misère. Mais, dans le même temps, il partage la vie d'une ouvrière « immigrée » irlandaise (Mary Burns). Son activité industrielle et commerciale lui permit de conduire une enquête permanente sur le fonctionnement du mode de production capitaliste, notamment en ce qui concerne la révolution industrielle ininterrompue, les formes de la rotation du capital, les cycles de sa reproduction élargie (sur l'exemple alors privilégié de l'industrie cotonnière), la circulation du capital financier. Les résultats de cette enquête, continûment transmis à Marx, sont passés dans Le Capital.

Outre cette collaboration décisive à l'investigation de Marx, Le Capital doit une autre part essentielle aux travaux d'Engels. Il s'agit de l'édition de ses livres II et III, publiés après la mort de Marx, en 1885 et 1894 respectivement. Cette édition ne représente pas seulement un énorme travail de déchiffrage et de montage des manuscrits de Marx : comme il s'agissait d'exposition, et qu'une science n'est pas ailleurs que dans son exposition rigoureuse, il s'agissait en fait d'un véritable travail de connaissance auquel Engels usa entièrement les dernières années de sa vie. Enfin, dans les préfaces rédigées pour les livres II et III, Engels fit œuvre de théoricien de l'histoire des sciences. Appliquant à Marx les concepts épistémologiques qui permettent, par exemple, de comprendre la place de Lavoisier dans l'histoire de la chimie, il étudie le mécanisme de la révolution théorique opérée par Marx en économie politique par la définition du concept de survaleur (ou plus-value), et ses conditions de possibilité.

En même temps, l'activité théorique d'Engels s'étendit à une série de domaines que l'actualité ou les nécessités de la lutte politique mirent au premier plan, mais qui requéraient chaque fois une science éprouvée. D'où de très nombreux articles et plusieurs livres.

On citera notamment une série d'ouvrages historiques, étudiant principalement les origines de la question paysanne en Europe. Un aspect aussi remarquable de l'œuvre concerne les problèmes de la guerre et du fonctionnement des appareils militaires (voir sur ce point les articles de la New American Cyclopaedia, et la suite des comptes rendus des guerres européennes et coloniales contemporaines). Engels apparaît ici comme le successeur de Clausewitz et, dans la tradition marxiste, le prédécesseur de Lénine, de Trotski et de Mao Zedong.

Dans Monsieur Eugène Dühring bouleverse la science (1878), plus connu sous le nom d'Anti-Dühring, écrit contre la philosophie éclectique d'un privatdozent à l'université de Berlin qui avait acquis une grande influence dans la social-démocratie allemande, Engels expose systématiquement les principes du matérialisme historique et l'histoire du passage du socialisme utopique au socialisme scientifique, donc de la fusion du mouvement ouvrier et de la théorie marxiste. Devenu (surtout par sa réédition partielle, d'abord parue en français sous le titre Socialisme utopique et socialisme scientifique, 1880) le texte le plus lu du marxisme classique avec le Manifeste communiste, cet ouvrage polémique devait suggérer à beaucoup de théoriciens et de militants une lecture évolutionniste, bien que très éloignée de l'évolutionnisme spencérien (les chapitres sur Darwin, remarquables de précision, conduisent précisément Engels à critiquer toute extrapolation sociologique des concepts biologiques, a fortiori tout « social-darwinisme »). Définissant l'économie politique comme « science des conditions et des formes dans lesquelles les diverses sociétés humaines ont produit et échangé, et dans lesquelles en conséquence les produits se sont chaque fois répartis », il assigne au matérialisme historique comme objet l'étude des lois d'évolution internes à chaque mode de production. Mais celles-ci, à leur tour, apparaissent comme autant d'étapes du développement de la contradiction entre forces productives et rapports de production, contradiction qui se traduit alors en antagonismes de classes. Particulièrement opposé aux thèses anarchistes sur l'« abolition de l'État » (bien qu'il adopte la formule saint-simonienne du « passage du gouvernement des hommes à l'administration des choses »), Engels définit alors la dialectique de la transition au communisme comme un « dépérissement » progressif de l'État, qui interviendra lorsque celui-ci aura assumé, par suite de la concentration du capital et des luttes de classes, l'ensemble des fonctions économiques et sociales « générales », sous la direction du prolétariat.

L'Origine de la famille, de la propriété privée et de l'État (1884) fut inspirée par la lecture de l'ethnologue américain Lewis H. Morgan qui, « en Amérique, avait redécouvert à sa façon », et sur un objet nouveau, le matérialisme historique. Engels prend comme fil conducteur la thèse matérialiste que « le facteur déterminant, en dernier ressort, dans l'histoire, c'est la production et la reproduction de la vie immédiate », selon la double articulation définie dans Le Capital : production des moyens de production, production des moyens de consommation. Il montre que les formes de la famille sont historiquement relatives à la nature des rapports de production dominants, que le fonctionnement des rapports de parenté communautaires est incompatible avec l'exploitation de classe qui engendre au contraire l'État comme forme institutionnalisée de répression des classes exploitées par la classe dominante.

Beaucoup plus nettement que Marx dans ses manuscrits de 1857-1858 (dont il remanie les énoncés en supprimant de sa périodisation de l'histoire universelle le concept du « mode de production asiatique » et en fixant la série esclavage-servage-travail salarié comme types fondamentaux d'exploitation), Engels devait contribuer ainsi à fonder la possibilité d'une anthropologie historique (à la fois économique et politique), tout à fait distincte de l'anthropologie philosophique telle qu'elle avait régné de Locke à Rousseau, à Kant et aux propres œuvres de jeunesse de Marx et Engels. Notons qu'elle comporte en même temps les rares indications du marxisme classique quant à la domination des femmes par les hommes, indications qui doivent beaucoup non seulement au « féminisme » pratique d'Engels, mais à sa lecture de Fourier dont il reprend largement la critique du « mariage bourgeois ». On peut faire la même remarque en ce qui concerne l'ouverture du matérialisme historique aux problèmes ethniques et linguistiques, pratiquement ignorés de Marx.

3. Politique dans la philosophie


PORTRAIT DE FRIEDRICH ENGELS
Comme toute révolution ouvrant à la connaissance scientifique un nouveau « continent », l'œuvre de Marx devait nécessairement produire une rupture en philosophie. Lorsque cette science est celle de l'histoire, elle comporte à terme la possibilité d'une histoire scientifique des sciences et de la philosophie, et la reconnaissance du caractère essentiellement politique de toute philosophie. D'où l'œuvre philosophique d'Engels (l'Anti-Dühring, les manuscrits de la Dialectique de la nature, et Ludwig Feuerbach et la fin de la philosophie classique allemande, 1888) qui pose ces problèmes en fonction d'un thème privilégié : l'histoire de la catégorie de dialectique et des rapports entre la dialectique idéaliste (hégélienne) et la dialectique matérialiste (marxiste). On retiendra surtout, dans ce domaine où les questions sont plutôt posées que véritablement résolues, l'insistance sur l'idée d'une dialectique de la nature, fortement contestée par les interprétations existentielles du marxisme : elle trace une ligne de démarcation entre la théorie marxiste de l'histoire elle-même et l'ensemble des philosophies humanistes de l'histoire (identifiant dialectique et subjectivité). En fait, si elle a pu servir à la constitution d'une ontologie dogmatique (le Diamat, qui fut la philosophie officielle de l'U.R.S.S.), cette dialectique inachevée et probablement inachevable n'importe pas tant par son « application » aux sciences de la nature que par son rapport à l'histoire et à la politique. Plus que la « négation de la négation», ses catégories centrales sont l'« unité des contraires » et l'« action en retour ». Le lien est immédiat avec les tentatives du dernier Engels pour constituer une théorie des idéologies et de l'État, une histoire des « conceptions du monde » (religieuse, juridique, prolétarienne), et par là pour développer une analyse des mouvements de masses (et non simplement des antagonismes de classes) qui constituent les « forces motrices » concrètes du procès historique.

L'activité politique d'Engels fut très importante. On peut le considérer comme le premier dirigeant effectif du prolétariat international. En 1864, il participe à la fondation de l'Association internationale des travailleurs. Puis, conseiller des socialistes marxistes de tous les pays, il intervient notamment de très près dans la constitution des partis socialistes allemand et français, dans le développement du socialisme russe et italien. Jusqu'à sa mort à Londres, son rôle fut d'orientation et de rectification politique (notamment sur la question décisive de la dictature du prolétariat), d'éducation (la plupart des dirigeants de la IIème Internationale furent ses élèves directs), enfin de centralisation des luttes et des programmes.

Dans ses derniers textes (notamment la Critique du Programme d'Erfurt, 1891, où il est dit que « la République démocratique est la forme spécifique de la dictature du prolétariat », et la Préface à la réédition des Luttes de classes en France de Marx, en 1895, baptisée le « Testament d'Engels » par la social-démocratie allemande, qui l'édita avec des coupures significatives), Engels avait commencé d'analyser les formes de lutte politique de la classe ouvrière adaptées à une nouvelle époque historique, bien différente de 1848 ou de 1871, caractérisée par de nouveaux développements du capitalisme, mais aussi des syndicats et des partis ouvriers de masse, potentiellement majoritaires, donc capables d'accéder au pouvoir par la voie du suffrage universel, quitte à le préserver ensuite par la force. Ces formulations, même rétablies dans leur intégralité, laissaient place à différentes interprétations ; elles débouchent directement sur le conflit des différents « marxismes » de la IIème Internationale : le « révisionnisme » de Bernstein, l'« orthodoxie » de Kautsky, les «communismes » de Rosa Luxemburg et Lénine.

Étienne BALIBAR et Pierre MACHEREY

Notes :

Marx-Engels-Gesamtausgabe (M.E.G.A.), G. Heyden et A. Jegorow éd., Moscou-Berlin, 1975 sqq. F. ENGELS, Œuvres complètes, éd. Bracke, 13 vol., Paris, 1930-1947 ; Correspondance avec Paul et Laura Lafargue, 1868-1895, Paris, 1956-1959 ; F. Engels' Briefwechsel mit K. Kautsky, Vienne, 1955 

K. MARX & F. ENGELS, Werke, 36 vol., Berlin, rééd. 1961 ; Correspondance, éd. sous la dir. de G. Badia et J. Mortier, Paris, 1971 sqq.

Études

C. ANDLER, « Frédéric Engels - Fragment d'une étude sur la décomposition du marxisme », in Revue socialiste, Paris, 1913-1914 

G. BECKER, Karl Marx und Friedrich Engels in Köln, Berlin, 1963 

E. BERNSTEIN, Eduard Bernsteins Briefwechsel mit Friedrich Engels, H. Hirsch éd., 1970 ; Die Voraussetzungen des Sozialismus und die Aufgaben der Sozialdemokratie, 1899 (trad. fr., Les Présupposés du socialisme, Paris, 1974) 

CENTRE D'ÉTUDES ET DE RECHERCHES MARXISTES, Sur la dialectique, Paris, 1977 

G. D. H. COLE, A History of Socialist Thought, Londres, 1953-1956 

A. CORNU, Karl Marx et Friedrich Engels. Leur vie et leur œuvre, 3 vol., Paris, 1957-1962 

V. GERRATANA, Ricerche di storia del marxismo, Rome, 1972 

M. GODELIER, Horizons, trajets marxistes en anthropologie, nouv. éd., Paris, 1977 

W. HENDERSON, Frederick Engels, Londres, 1976 

E. HOBSBAWM et al., Storia del marxismo, t. I : Il marxismo ai tempi di Marx, Turin, 1979 

K. KAUTSKY, Friedrich Engels. Sein Leben, sein Wirken, seine Schriften, Berlin, 1908 

G. LABICA dir., Dictionnaire critique du marxisme, Paris, 1982, rééd. augm. 1985 

V. I. LÉNINE, « Friedrich Engels », in Œuvres complètes, t. II, Paris-Moscou, 1956 

N. LEVINE, The Tragic Deception, Marx contra Engels, 1975 

S. E. LIEDMAN, Motsatsernas Spel. Friedrich Engels' filosofi och 1800-talets vetenskap (sommaire en anglais : « The Game of Contradictions. The Philosophy of Fr. Engels and the Sciences of the 19th Century »), Lund, 1977 

S. MARCUS, Engels, Manchester and the Working Class, Londres, 1974 

G. MAYER, Friedrich Engels. Eine Biographie, Cologne, 1969 

F. MEHRING, Geschichte der deutschen Sozial-Demokratie, Berlin, 1960 

C. MEILLASSOUX, Femmes, Greniers et Capitaux, Paris, 1975, réimpr. L'Harmattan 1992 

K. MILLETT, La Politique du mâle, Paris, 1971, rééd. Seuil 1983 

O. NEGT, Der späte Engels, Francfort, 1975 

H. PELGER dir., Friedrich Engels, 1820-1970 : Referate, Diskussionen, Dokumente, Hanovre, 1971 

R. ROSDOLSKY, « Engels und das Problem der « geschichtslosen » Völker (Die Nationalitätenfrage in der Revolution 1848-1849 im Lichte der « Neuen Rheinischen Zeitung ») », in Archiv für Sozialgeschichte, vol. IV, Amsterdam, 1964 

J.-P. SARTRE, « Matérialisme et Révolution », in Situation, t. III, Paris, 1949 

P. SCHOETTLER, « Friedrich Engels und Karl Kautsky als Kritiker des « Juristen-Sozialismus », in Demokratie und Recht, 8e ann., no 1, Cologne, 1980 

G. STEDMAN-JONES, « Engels and the Genesis of Marxism », in New Left Review, 106, Londres, 1977 

E. TERRAY, Le Marxisme devant les sociétés « primitives », Paris, 1969 

A. TOSEL, « Le Développement du marxisme en Europe occidentale depuis 1917 », in t. III de Histoire de la philosophie, Y. Belaval dir., Encyclopédie de la Pléiade, Paris, 1974 

H. ULLRICH, Der junge Engels. Eine historisch-biographische Studie seiner weltanschaulichen Entwicklung in den Jahren 1834-1845, 2 vol., Berlin, 1961-1966 

G. WETTER, Der dialektische Materialismus, Fribourg-en-Brisgau, 1952

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              CHILI : UN SÉISME DE MAGNITUDE 6,1 RESSENTI À 99KM AU NORD-OUEST DE CONSTITUCION

              [ Cliquez sur l'image pour l'agrandir ]
              CARTE D'INTENSITÉ
              CAPTURE D'ÉCRAN USGS

              NEW YORK, 22 novembre 2020. Un tremblement de terre de magnitude 6,1 s'est produit ce samedi à 21H54 heure locale (dimanche à 00H54 GMT) à 99km au nord-ouest de Constitucion, au centre du Chili, selon l'Institut américain d'études géologiques (USGS).

              Xinhua

              Avec une profondeur de 20,14km, l'épicentre du séisme a été initialement localisé à 34,6194 degrés de latitude sud et 73,0759 degrés de longitude ouest.

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              DÉTAIL D’UNE CARTE D’ORTELIUS REPRÉSENTANT LA NAO VICTORIA
              Nous fêtons ce samedi 21 novembre les 500 ans du passage par Magellan du détroit éponyme. Une étape décisive dans le premier tour du monde de l’histoire en bateau, initié par l’explorateur portugais et achevé par son second, le basque Juan Sebastiàn Elcano .

              Par Cathy Lafon²

              CARTE ORIGINALE DE ORTELIUS

              Nous sommes au début du XVIème siècle, à l’époque des Grandes découvertes. Le navigateur et explorateur portugais Fernand de Magellan, nourrit le projet d’atteindre, pour le compte de l’Espagne, l’archipel des Moluques – aujourd’hui l’Indonésie-, les célèbres îles aux épices d’où proviennent le safran, la cannelle et les clous de girofle. Avec d’autres, ces précieux produits faisaient l’objet d’un commerce en plein essor, monopolisé d’abord par les Chinois, puis les Italiens et les Arabes, et dont les Portugais s’étaient finalement emparés. Et bien sûr, la couronne de Castille veut aussi sa part du gâteau.

              Atteindre l’Asie en passant par Nouveau Monde

              Après avoir obtenu l’accord et le soutien royal du nouveau roi d’Espagne, le jeune Charles Ier, futur Charles Quint, à la condition expresse d’accéder aux épices sans passer par l’océan Indien, alors sous le contrôle du Portugal, l’aventurier lève une flotte de 237 hommes et cinq navires : le Victoria, le Trinidad, le Concepcion, le Santiago et le San Antonio. Quand l’équipage quitte Séville, le 10 août 1519, il n’est pas question  de faire le tour du monde…

              Magellan est convaincu que ce paradis peut se rejoindre par l’Ouest. La question est d’atteindre l’Asie en passant par le nouveau monde – l’actuelle Amérique du Sud, quasiment inexplorée à l’époque  - et de trouver le passage qui relie l’Atlantique au grand Océan, appelé alors la Mer du Sud, qui sera appelé par la suite Pacifique. Et puis de faire demi-tour, direction l’Espagne.

              À la recherche d’un passage entre l’Atlantique et le Pacifique

              PHOTO FRÉDÉRIC OBLIN

              L’expédition ne se passe pas comme prévu. Après une traversée de plus de 70 jours, la flotte arrive en baie de Guanabara, à Rio de Janeiro, le 13 décembre 1519. De là, les navigateurs explorent chaque repli de la côte, espérant qu’il révèle le fameux passage entre les deux océans. En vain. Poursuivant plus au sud, le 12 janvier 1520, ils entrent dans le Rio de Solis, véritable mer d’eau douce (aujourd’hui Rio de la Plata). Les navigateurs font encore chou blanc.

              La flotte est contrainte de descendre encore plus au sud, vers la zone polaire, alors même que l’automne et l’hiver s’annoncent. À ces revers s’ajoutent le froid et des conditions météorologiques de plus en plus difficiles, ainsi que des mutineries répétées de l’équipage. Après plus de trois mois de cette navigation pénible, ils arrivent en baie de San Julian, dans ce qui est aujourd’hui la Patagonie Argentine. Magellan ordonne l’hivernage : la flotte attendra la fin de l’hiver austral dans une baie protégée.entre avril et août 1520. Durant cette période, l’un des navires, Le Santiago, fait naufrage. 

              La découverte du détroit de Magellan…

              1èr eCARTE DU DÉTROIT EN 1520 P
              AR ANTONIO PIGAFETTA.
              Le détroit de Magellan entre le Chili et la Terre de Feu. En août 1520, les quatre nefs poursuivent leur route vers le sud mais sont contraintes à un arrêt forcé de 53 jours, en raison des intempéries. Le 18 octobre, les marins lèvent à nouveau l’ancre et deux jours après, ils aperçoivent un cap, qu’ils vont appeler le cap Vierge, à l’entrée d’une large baie qui laisse penser qu’il s’agit du passage tant désiré. C’est la découverte du détroit de Magellan (baptisé à l’époque Victoria), un canal naturel aux eaux tumultueuses, au sud du Chili, le 20 octobre.

              et l’arrivée sur l’océan Pacifique

              Au terme d’une traversée particulièrement éprouvante, où ils affrontent des  conditions météorologiques terribles et de forts courants marins, sous des falaises hostiles et menaçantes, un mois plus tard, le 21 novembre 1520, les marins atteignent enfin un nouvel océan aux eaux paisibles, qui les conduira vers l’Asie. Baptisé par Magellan le  « Pacifique », cet océan ne le sera pourtant pas vraiment. De nouvelles épreuves attendent encore la flotte qui ne compte plus que trois navires : le San Antonio a déserté lors d’une reconnaissance et navigué jusqu’à Séville où ses officiers seront jugés et condamnés. Longue et périlleuse, la traversée de cette mer va durer jusqu’en mars 1521. 

              Après la mort de Magellan, c’est un Basque, Juan Sebastiàn Elcano, qui boucle la première circumnavigation de l’histoire

              CIRCUMNAVIGATION DE FERNAND DE MAGELLAN
               ET DE JUAN SEBASTIÁN ELCANO
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              Pour Magellan, la fin du voyage est proche. L’aventurier qui veut aussi évangéliser les peuples indigènes, y compris par la force, trouve la mort sur l’île de Matcan, dans les Philippines. Il est tué avec six autres marins dans un affrontement avec les Indiens, en avril 1521. L’un des trois navires restants est brûlé. C’est une flotte en piètre état et réduite à deux bateaux, le Victoria et le Trinidad, qui parvient finalement aux Moluques, en novembre 1521. 

              Le 11 février 1522, les cales pleines de précieux clous de girofle, le Victoria, qui a pour nouveau capitaine le second de Magellan, l’officier basque Juan Sebastiàn Elcano, remet le cap sur l’Espagne. Les instructions de Charles Quint sont claires : il faut faire demi-tour. Mais Elcano qui prend le relais de Magellan, va transformer cet aller-retour commercial en circumnavigation. Il fait le pari de poursuivre par l’ouest et de rejoindre l’Espagne par l’océan Indien – autrefois appelé océan Oriental ou mer des Indes -, sur les eaux contrôlées par les Portugais. 

              Avec Elcano, les hommes de Magellan passent le cap de Bonne-Espérance. Plus de trois ans après son départ, le 6 septembre 1522, le Victoria arrive en Espagne. Sur les 237 membres qui le composaient, l’équipage, décimé entre autres par la maladie du scorbut, est réduit à 18 hommes, qui rejoignent Séville à bord du seul bateau rescapé. 86.000 kilomètres en 1080 jours auront été nécessaires pour boucler le premier tour du monde en bateau.

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              vendredi, novembre 20, 2020

              GUSTAVO GATICA, AVEUGLE POUR AVOIR EXIGÉ LA DIGNITÉ ET L'ÉGALITÉ

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              PHOTO DAVID HUNTER /  AMNESTY INTERNATIONAL

              Ce jeune homme de 21 ans a besoin de votre aide pour que les responsables soient présentés devant la justice.

              Cet article a été écrit en partenariat avec Amnistie internationale. Cliquez ici pour participer à la campagne Écrire, ça libère d'Amnistie internationale ou ici si vous êtes au Canada. Votre contribution pourrait changer la vie de quelqu’un. 

              Par Ben Charlie Smoke

              PHOTO EDGARDO GARRIDO

              Le 8 novembre 2019, les rues du centre-ville de Santiago grouillaient de manifestants. Sur une petite route secondaire au large de Vicuña Mackenna, l'une des principales artères traversant la capitale chilienne, un groupe s'était rassemblé. Ils scandaient des slogans contre les Carabineros, la police du pays, tandis que certains d'entre eux auraient jeté des pierres sur des véhicules tactiques garés sur la route.

              Selon le procureur de la République, Claudio Crespo Guzmán, un policier et commandant tactique s'est caché contre un mur, hors de la vue de la foule. Alors que les manifestants se rapprochaient, il a mis en joue le fusil qu'il tenait et a tiré directement sur la partie supérieure du corps de Gustavo Gatica, 21 ans. Deux des douze munitions contenues dans la cartouche du fusil de chasse ont pénétré dans les yeux de Gatica, le laissant aveugle pour toujours.

              Les protestations avaient commencé le 18 octobre, en réaction à une hausse de trente pesos du prix du métro. Elles ont ensuite pris de l'ampleur pour devenir un vaste mouvement antigouvernemental.

              « Des milliers de personnes, dont moi-même, ont protesté contre le modèle néolibéral qui a été imposé au Chili pendant la dictature civilo-militaire de Pinochet », explique Gatica. Selon lui, « c'est un modèle qui a privatisé tous les services essentiels au bien-être des gens, tels que la santé, l'éducation, et même l'eau et d'autres ressources naturelles. »

              Dès les premiers jours de l'agitation qui a secoué le Chili, le réseau de transport en commun de Santiago a été en grande partie fermé à cause de la violence et des protestations. Des émeutes et des manifestations généralisées ont suivi. En réponse, les Carabineros ont réprimé les manifestants, le gouvernement ayant déclaré une urgence nationale et instauré un couvre-feu. Des centaines de milliers de personnes sont descendues dans la rue, faisant 36 morts (en février 2020) et 11 564 blessés. Environ 28 000 personnes ont été placées en détention. Des centaines de personnes ont été blessées aux yeux par des armes de la police. Deux d'entre elles, Gustavo Gatica et Fabiola Campillai, sont devenues aveugles pour le reste de leur vie.

              Fabiola est une femme de la classe ouvrière qui a quitté son domicile pour aller travailler de nuit dans une usine. Selon elle, un incident survenu dans la rue a conduit un policier à lui lancer une bombe lacrymogène directement sur le visage, lui faisant perdre trois de ses cinq sens.

              « La police chilienne a toujours violemment réprimé des manifestations même pacifiques, déclare Ana Piquer, directrice exécutive d'Amnesty international au Chili. Même après la fin du régime de Pinochet, la police a continué à agir de façon agressive lors des manifestations. Elle jouit d'une impunité historique en ce qui concerne les violations des droits de l'homme commises à la suite de ses actions. Ces violations des droits de l'homme par la police sont également courantes contre les peuples autochtones du sud du Chili [les Mapuches]. »

              « Avec la vague de protestations sociales qui a débuté le 18 octobre 2019, ces violations se sont étendues à toute la population qui est descendue dans la rue pour réclamer égalité et dignité, engendrant la pire crise des droits de l'homme que nous ayons connue depuis la fin du régime militaire. Amnesty international a conclu qu'il y avait eu des violations généralisées du droit à l'intégrité personnelle et que la responsabilité de la chaîne de commandement, jusqu'au plus haut niveau, devait faire l'objet d'une enquête. »

              Au cours de l'année qui a suivi l'éclatement des manifestations, le Chili et le reste du monde ont changé de manière irréversible. Au fur et à mesure que les manifestations prenaient de l'ampleur, des revendications essentielles sont apparues, notamment la nécessité de réécrire la Constitution du pays. Les critiques font valoir que le document, élaboré et mis en œuvre sous l'ancien chef d'État du pays, le général Augusto Pinochet, a entériné dans la loi une grande partie de l'inégalité structurelle qui a conduit aux manifestations.

              « La Constitution chilienne dispose que les forces armées et les Carabineros au Chili ont le monopole de l’usage de la force dans le pays, déclare Piquer. Les Carabineros sont une institution militarisée et n'ont fait l'objet d'aucune réforme de leur structure après le retour de la démocratie dans le pays. L'histoire de l'impunité concernant leurs actions a permis les violations généralisées des droits de l'homme dont nous avons malheureusement été témoins depuis octobre de l'année dernière jusqu'à ce jour. »

              Ces violations des droits de l'homme ont une fois de plus attiré l'attention du monde entier au cours du second semestre de cette année, lorsqu'une vidéo montrant un officier de police en train de pousser un manifestant de 16 ans d'un pont à Santiago a fait la une des journaux. L'adolescent, qui a atterri face contre terre dans le lit de la rivière en contrebas, a été abandonné par les Carabineros et a subi un traumatisme crânien et une fracture du poignet.

              Les blessures infligées à Gustavo ont changé sa vie de façon considérable. « Sur le plan physique, la cécité totale observée dès le moment de l'impact m'a contraint à réapprendre à marcher, à développer d'autres sens et, sur le plan psychologique, à apprendre à me sentir différemment », explique-t-il.

              Le scandale provoqué par les blessures de Gustavo l'a propulsé sous les feux de la rampe, faisant de lui un héros pour le mouvement, ce qui n'est pas normal. «Pour ma part, j'admire énormément les gens qui ont continué à se battre pendant tous ces mois, ce qui a été assez épuisant, dit-il. Un an a passé et les gens sont toujours dans les rues, malgré le fait que la police et l'armée leur ont tiré dessus, faisant des morts. Les policiers et les militaires ont écrasé et jeté des gens dans la rivière. On recense plus de 400 traumatismes oculaires, des brûlures, des viols et des tortures. Je suppose que c’est le sentiment généré par ce qui m’est arrivé, à moi et à beaucoup d’autres personnes — une grande colère. »

              Cette colère s'est traduite par un référendum sur la Constitution le 25 octobre de cette année. Le peuple chilien a voté à une écrasante majorité en faveur de la révocation du document de l'ère Pinochet et de l'ouverture d'une nouvelle voie pour le pays.

              Malgré la victoire, pour Gustavo et les milliers d'autres personnes tuées ou blessées lors des manifestations, justice n'a pas encore été rendue. Crespo Guzmán va certes être poursuivi pour avoir rendu Gustavo aveugle. Mais les organisations de défense des droits de l'homme demandent que tous les responsables de ces commandements soient également traduits en justice.

              « Nous pensons que le cas de Gustavo Gatica pourrait être le fer de lance pour d'autres enquêtes sur la responsabilité de la chaîne de commandement au Chili. Cela créerait un précédent qui ouvrirait la voie à des centaines d'affaires réclamant justice pour les violations des droits de l'homme lors des manifestations de 2019, déclare Ana Piquer. Avec la campagne Écrire ça libère, nous demandons que les policiers, les commandants et autres supérieurs hiérarchiques soupçonnés de responsabilité pénale fassent l'objet d'enquêtes et, s'il existe suffisamment de preuves recevables, soient poursuivis dans le cadre de procès équitables devant des tribunaux civils ordinaires. »

              « Nous attirons déjà l'attention du public sur les violations des droits de l'homme causées par les brutalités policières au Chili. Il y a également une certaine couverture médiatique internationale, et une plus grande attention servirait donc probablement à faire pression sur l'action du procureur national, des tribunaux de justice et des Carabineros concernant leur enquête interne. »

              Pour Gustavo, ce soutien est crucial : pas seulement pour lui, mais aussi pour des milliers de personnes en quête de justice au Chili. « L'État chilien a toujours été plus préoccupé par ce qui se dit ailleurs sur le Chili que par les sentiments du peuple lui-même, c'est pourquoi je pense qu'il est extrêmement nécessaire de faire pression sur le gouvernement, explique-t-il. C'est pourquoi nous avons voulu présenter cette affaire : il est nécessaire que justice soit faite, non seulement pour mon cas, mais aussi pour les milliers de violations des droits humains qui ont eu lieu depuis le 18 octobre. »

              Cliquez ici pour participer à la campagne Écrire, ça libère d'Amnistie internationale ou ici si vous êtes au Canada. Votre action pourrait aider à traduire en justice les personnes soupçonnées d'être responsables des blessures de Gustavo