dimanche, décembre 10, 2006

« CULTURE HACKER »



















Notre correspondant à Amsterdam fait le point sur la mise en place partielle d’un revenu garanti aux Pays-bas. Les mesures généreuses prises au moment où le Welfare était florissant et aboutissant à un quasi revenu garantise sont trouvées remises en cause avec la montée du chômage de masse, par diverses forme de contrôle social articulées autour de la rhétorique de » l’employabilité ». Le débat s’est focalisé sur la question des chômeurs diplômais qui avaient le loisir de s’investir dans divers mouvements sociaux sous le statut du « volontariat sans perte d’allocation » La réaction politique fût de chercher à contrôler les chômeurs et les invalides dans des programmes de formation et des parcours de qualification obligatoires.

« Die Theorie von Freier Software als Keimform einer nachkapitalistische Gesellschaft macht dann Sinn, wenn man sie versteht als Aufdeckung eben solchen Widerspruchs der Produktivkraftenentwicklung, an dem ein emanzipatorisches Interesse ansetzen kann. Sie macht jedoch nicht Sinn als die Entdeckung einer Form deren Entfaltung aus sich heraus schon für eine besseres Gesellschaft stehen würde. Sie macht auch nicht Sinn als Anfangstadium eines Prozesses dem man schematisch folgen müsste »(Thèse 8 de « 8 Thesen ueber Befreiung » - sur la liste Oekonux, 2001)
Quelques réflexions sur le concept de « culture hacker »
par Patrice Riemens


À mesure que s’est étendue l’emprise des nouvelles technologies de l’information et de la communication sur nos vies et nos activités quotidiennes, se sont également disséminés les savoirs faire, les coutumes et les modes de pensée qui antérieurement étaient du domaine des experts et des techniciens en informatique. Bien que la grande majorité des utilisateurs des NTIC, d’Internet en particulier, soient des consommateurs passifs, une certaine culture technologique est de plus en plus partagée, et désormais artistes, intellectuels, et activistes politiques y participent largement, en tant qu’amateurs avertis et innovants dans ce qu’il est devenu commun d’appeler le domaine public du cyberespace.


Les « hackers », souvent, mais inexactement dénommés « pirates informatiques », constituèrent sans doute le premier mouvement social propre à la technologie informatique qui donna naissance à notre société en réseaux. Qu’ils soient admirés comme porteurs d’une maîtrise de la technologie autonome et indépendante des pouvoirs établis, ou décriés comme cyber-terroristes en puissance, les hackers par leur savoir-faire et leur façon de faire ont défrayé la chronique et frappé l’imagination dès le début de l’ère de la communication électronique. Plus récemment, ils furent salués par des cercles intellectuels alternatifs comme un contre-pouvoir à la domination, de plus en plus marquée et pesante, des grandes firmes informatiques, des gouvernements et de leurs experts.

Pionniers, au Sud, de l’ouverture des réseaux de communication électroniques au grand public, les hackers butèrent longtemps, au Nord, sur l’incompréhension des activistes politiques. Ceux-ci hésitèrent longtemps avant de s’engager dans les nouveaux médias qu’ils tendaient à associer totalement au complexe techno-capitaliste abhorré. Néanmoins, à partir de la deuxième moitié des années quatre-vingt-dix, l’on vit « l’activisme en ligne » prendre dans le monde entier un essor extrêmement rapide. Les coûts de plus en plus bas, la facilité d’utilisation, la fiabilité et les multiples possibilités offertes par les nouvelles technologies ravirent tout autant les militants qu’elles surprirent très désagréablement les instances économiques et politiques dirigeantes. Celles-ci virent, dans un très court laps de temps, leur contrôle, voire leur monopole de l’information et de la communication battu en brèche sur plusieurs fronts à la fois. Soudain, la mise à égalité entre dominants et dominés, dans le domaine de l’information et de la communication, parut être à portée de main.


Le net devint ainsi non seulement un des vecteurs principaux de l’activisme politique, mais bien souvent son lieu et son enjeu même. En effet, la réaction des dominants, un premier moment d’étonnement passé, se fit de plus en plus sentir. Défense robuste de la dite propriété intellectuelle, verrouillages des savoirs et des techniques, contrôle et surveillance électronique tout azimuts sont à l’ordre du jour. Mais la résistance à la (re)conquête des réseaux s’organise également. De bonne ou de mauvaise grâce, les activistes se convertissent en masse aux nouveaux médias. L’apprentissage alors nécessaire au maniement de ces nouvelles technologies, « sur le tas » par l’intermédiaire de militants « mordus » de l’informatique ou bien de mordus (« techies » en anglais) devenus militants, font que la mouvance militante et (les mêmes causes produisant les mêmes effets) certains cercles artistiques et intellectuels ont désormais une composante NTIC, de plus en plus marquée.


Mais c’est également dans le monde de l’informatique lui-même, que l’intensification exponentielle de la diffusion et de la capacité de l’Internet, les développements tout aussi effrénés des technologies afférentes, le tout dans un contexte de commercialisation particulièrement agressif (rattrapant un désintérêt initial plus que surprenant des milieux d’affaire pour les nouveaux médias) donnèrent lieu à des réflexions intensives parmi les experts et poussèrent nombre d’entre eux à reconsidérer leurs méthodes, leurs opinions et même leurs positions dans l’ordre établi. Rejetant les nouvelles « enclosures » au développement du savoir et à sa diffusion imposés par les intérêts marchands et éventuellement étatiques, ils explorèrent de nouvelles avenues non exploitatrices d’élaboration et de rémunération des connaissances, créant le corpus de logiciels et de modes d’utilisation, de diffusion et de développement devenu célèbre sous des vocables et vignettes diverses telles que : « Linux », « Free Software », « Open Source », et « General Public License » (GPL).


Cette convergence de prime abord manifeste entre donne technologique, enjeux socio-politiques, et acteurs concernés, suggéra alors qu’une fusion tout aussi nécessaire que naturelle était en train de s’opérer entre hackers et activistes en tant que porteurs du même message et des mêmes pratiques. Malheureusement cette interprétation pêche autant par hâte que par son optimisme inconsidéré. Dans un effet appellé en hollandais « l’espérance est la mère du raisonnement », on opère une liaison, voire un amalgame, entre des individus et des groupes, entre des questionnements, des motifs, et des méthodes dont les liens et les affinités, même sous la forme des nouveaux mouvements sociaux, sont souvent considérés comme instables parce que conjoncturels, quand ils ne sont pas carrément absents, voire contraires. Dire que mouvement hackers et l’activisme politique sont des jumeaux qui ne se rencontreront jamais est certes exagéré, mais l’idée que leur fusion soit inévitable, mise en avant par certains activistes et intellectuels publics l’est au moins autant. Elle malmène non seulement les sensibilités des hackers « authentiques », elle malmène surtout le réel, donnant lieu ainsi à des hypothèses et des attentes erronées.


Tel est donc bien le problème avec le concept de « culture hacker » que l’on rencontre fréquemment ces temps-ci dans les milieux militants en-ligne. Chez ceux-ci, le concept « Open Source » est devenu un principe porte-manteau/ valise, une méthode quasi-universelle d’approche de questionnements de société très divers (production artistique, droit, recherche, éducation, etc.) [1], et qui souvent n’ont que peu à voir avec le développement des logiciels et les milieux informatiques dont il est issu. Il n’y a là rien de grave en soi - l’imitation étant le meilleur des compliments - sinon qu’il y est fait abstraction d’un problème épineux. En effet entre hackers et activistes il y a souvent une différence d’approche et d’attitude trop marquée pour ne pas être fondamentale. Or, c’est justement cet aspect qui est escamoté par les apôtres du slogan « hackers-activists bhai-bhai » [2]

Le principe en jeu est « l’éthique hacker ». Sa pratique est l’activité usuelle des hackers. Un bon exemple, mais à contrario, de la (non)fusion entre activistes politiques et hackers informatiques dans la réalité concrète, est donné par le soi-disant « hacktivisme ». Ramenée à sa plus simple expression, - et abstraction faite de son contenu - l’éthique hacker a son équivalent dans la formule de « l’art pour l’art ». L’important ici est de saisir que, contrairement à l’activisme politique, l’objet de l’activité hacker, la connaissance et l’exercice de la curiosité, est intérieure à son sujet. Les obligations qui dérivent de l’éthique hacker sont souveraines et non pas instrumentales, elles priment donc toujours sur quelque but que ce soit - s’il y en a un. Ceci a pour conséquence de rendre la mouvance hacker dans son ensemble rétive à l’égard d’une volonté particulière de société, pour alternative qu’elle soit, ou même à des antagonismes particuliers (certains hackers - et non des moindres - refusent par exemple d’être les ennemis jurés de la firme Microsoft). L’étendue du spectre des opinions politiques entretenues par les hackers individuels, sans perte aucune de leur appartenance et identité, est surprenante, et totalement inimaginable dans quelque autre « mouvement social ». C’est d’ailleurs le mariage entre l’affection exigeante pour la liberté et le frayage avec des thèses économiques très inégalitaires, qui a surpris plus d’un militant politique approfondissant ses connaissances au sujet de ses « alliés naturels ». Car ce n’est ni un hasard, ni une aberration, si une transmutation californienne du libertarisme est aussi répandue parmi eux.


L’existence d’une telle position idéologique se reflète dans l’activité usuelle des hackers, se caractérisant en général par une large absence de prises de positions et d’opinions préconçues. Malgré la fin proclamée des « grands récits » ceci n’est pas le cas chez les activistes politiques, pour la bonne raison qu’eux ont des buts et des objectifs qui anticipent leur action. Les hackers, en général, se « contentent » d’être infinis dans la poursuite libre de la connaissance, ce qui fait que leur programme politique, s’il en est un, semblerait se réduire à la liberté de la connaissance, ce qui semble très en deçà des exigences de justice, d’équité, d’égalité, d’émancipation, etc. formulées par les militants. Cela semble pourtant leur suffire, et il y de bons arguments pour penser qu’un tel programme est essentiel, et non pas subséquent à la réalisation d’un monde meilleur auxquels nous aspirons tous.

Néanmoins il y a beaucoup de points où hackers et activistes/militants se rejoignent, ne serait-ce que parce que, et de plus en plus, ils doivent faire face aux mêmes menaces et aux mêmes adversaires. Le fait que la connaissance des technologies, en particulier des NTIC, soit démonisée dès qu’elle échappe au contrôle du pouvoir ou du marché, devenant la source de phantasmes « cyber-terroristes », et qu’elle soit de plus en plus employée par les opposants à la pensée unique néo-libérale, crée entre hackers et activistes des liens et des alliances solides, même si elles sont de circonstance. Comme ces alliances vont perdurer et s’approfondir, à la mesure de l’augmentation des risques que les deux groupes courent, il est bon de distinguer ce qui les rapproche et ce qui les sépare.


Les activités « hacktivistes », largement relayées par les médias, constituent un bon exemple du fossé qui sépare encore militants et hackers. Les premiers (en général) voient dans l’« hacktivisme », où les (nombreuses) failles et faiblesses des systèmes informatiques sont exploitées pour déstabiliser les supports électroniques d’organisations que l’on considère « ennemies », une forme spectaculaire de résistance et de sabotage. Les hackers (en général) tendent à considérer ces activités comme ineffectives, et la plupart du temps techniquement ineptes [3], portant atteinte à l’intégrité du réseau qu’ils estiment être aussi le leur. Or le « Denial of Service » , quelle qu’en soit la victime ou le but, porte selon eux atteinte à la liberté d’expression, à laquelle ils semblent attachés de façon plus absolue que la plupart des activistes politiques. Le fait qu’en s’adonnant à l’ « hacktivisme », les activistes politiques admettent implicitement que le réseau soit devenu un simple vecteur, par rapport auquel ils disposeraient d’un accès quasi-clandestin, et non pas d’une position d’ayant droits, et donc de responsabilité, obère leurs relation avec les hackers.


Les activistes politiques sont également, et presque par définition, enclins au maximum possible d’impact médiatique de leurs actions. Leurs activités ont ainsi tendance à être publiques dans tous les sens du terme. La multiplicité de leurs buts et des moyens d’y parvenir crée la nécessité d’une organisation complexe, et souvent hiérarchique. Même dans les milieux les plus alternatifs, un appareil et des leaders, plus ou moins informels, apparaissent. Cela sied mal à la pratique et à l’éthique hacker, que Pekka Himanen à très bien décrite comme « monastique ». Monastique dans son habitus surtout, mais dans le comportement la comparaison avec l’ancienne noblesse polonaise est peut-être la plus appropriée. Ici aussi, il s’agit d’un désir d’égalité - entre égaux reconnus comme tels - un principe qui s’accommode mal d’un certain opportunisme quant à la composition des alliances et des associations que l’on rencontre souvent dans les milieux politiques alternatifs.


La « culture hacker » est-elle donc un concept productif dans la description et la définition des courants activistes politiques contemporains, surtout quand ceux-ci sont largement tributaires des NTIC ? Dans la plupart des cas où il est utilisé actuellement, je ne le pense pas. Il s’agit alors plus d’une translation abusive et inappropriée, motivée par le désir de faire, que d’une compréhension, pour ne pas parler d’une adoption, des principes et des méthodes qui sous-tendent le fait hacker . Cela ne veut évidemment pas dire qu’il y ait un antagonisme absolu et irréductible entre les deux. Mais il vaudrait mieux alors utiliser un terme qui prête moins à confusion et tend moins vers l’amalgame. Peut-être que la réhabilitation, en Français, du terme « activiste » ferait déjà largement l’affaire.


Delhi, 4 janvier 2002.

[1] Voire même de la monnaie fiduciaire. Plus remarquable encore, le concept de la « GeneralPublic License » a donne lieu à un projet de refondation économico-politique, la « société GPL ». Il ne s’agit d’ailleurs pas la d’une idée farfelue, bien au contraire, et mon but n’est pas ici d’interdire de façon dogmatique toute translation entre les mondes de l’informatique et ceux de la société politique, mais de prévenir contre les désavantages de l’engouement hâtif et inconsidéré tel que je le perçois chez certains.[2] Allusion à la formule célèbre « Hindi-Chini Bhai-Bhai » (La Chine et L’Inde sont sœurs jumelles) proclamant l’amitié éternelle entre Chine et Inde lors de la rencontre Nehru - Chou En Lai. Neuf ans plus tard les deux pays étaient en guerre...[3] Cela semble une critique mesquine, mais le hands on hands et le devoir de respecter les techniques (et plus généralement les savoir-faire) pour et en eux-mêmes est tellement impérieux chez les hackers que ceux-ci sont vite dégoûtés par l’amateurisme et l’approche instrumentaliste souvent présentée par les « hacktivistes ».