vendredi, décembre 15, 2006

Pinochet, symbole d’une époque

Avec son uniforme et ses lunettes noires, Pinochet incarnait parfaitement la figure du dictateur latino-américain .
Augusto Pinochet en 1973
DR
Non content de porter sur ses épaules la responsabilité de l’un des chapitres les plus terribles de l’histoire politique et sociale de l’Amérique latine, Augusto Pinochet est, pour cette raison même et par sa propre volonté, une sorte de symbole tragique de notre temps. Pour tous ceux qui ont lutté pour la vie, pour les droits de l’homme, pour la liberté, l’image de Pinochet (uniforme militaire, lunettes noires et attitude toujours pleine d’orgueil) est la représentation même de l’ennemi, de l’objet de répugnance. L’homme ne s’est jamais rien refusé (tuer, voler, escroquer, mentir…), s’abritant toujours derrière son idéologie fasciste et sa conviction d’être l’envoyé de Dieu. Il fut l’émissaire d’un sinistre projet lancé par l’Empire [les Etats-Unis] dans cette région du monde. Pour ceux qui furent ses victimes directes et, plus largement, pour tous ceux qui ont été torturés par le terrorisme d’Etat dans la région, Pinochet est l’incarnation symbolique de tous les dictateurs latino-américains contemporains. Peu importe que ses “mérites” soient ou non équivalents à ceux des autres, y compris à ceux de la junte militaire argentine de Videla, Agosti et Massera. Pinochet est l’“incarnation du mal”. Par ses déclarations, ses gestes, ses attitudes, il s’est lui-même attaché à construire et alimenter cette image. D’une certaine manière, le dictateur chilien s’est “approprié” l’image du mal pour la représenter et en jouir. Son ego, dit-on, se nourrissait même des insultes. Pour les mêmes raisons, Pinochet est également un symbole pour la droite. Au Chili et à l’étranger, le dictateur compte encore de nombreux adeptes et admirateurs, certains continuant à l’applaudir tandis que d’autres préfèrent adopter un profil bas depuis que le vent politique a tourné dans la région. Pour tous, le despote chilien reste une sorte d’“ange exterminateur du communisme” et de ceux qui, bien qu’ils soient des défenseurs de la vie et des droits de l’homme, “méritent” le qualificatif de “terroristes”.
Au-delà des considérations politiques, Augusto Pinochet a été et restera à jamais un objet de haine et de vénération, le symbole tragique d’une époque. Incarnation du mal pour les uns, ange exterminateur pour les autres, l’image de Pinochet transcende les analyses et les capacités de la raison. C’est une image qui touche aux sentiments, aux émotions, une image propre à susciter toutes sortes de répugnances et d’adhésions inconditionnelles. Voilà sans doute pourquoi il est resté au cœur de la polémique, pourquoi ses indéfectibles courtisans l’ont défendu et protégé comme un étendard. Augusto Pinochet restera le symbole tragique d’une époque pour laquelle s’exerce un devoir de mémoire permanent, mais qui, heureusement – n’en déplaise à quelques nostalgiques –, appartient désormais au passé.
Washington Uranga Página 12