mercredi, septembre 12, 2007

IL Y A 34 ANS, UN 11 SEPTEMBRE, AUGUSTO PINOCHET RENVERSAIT LE PRÉSIDENT SOCIALISTE SALVADOR ALLENDE. POUR LA PREMIÈRE FOIS, LES CHILIENS COMMÉMORENT



11 septembre 1973. Salvador Allende, 65 ans, n’est plus entouré que par une poignée de fidèles. Au petit matin, sur l’ordre du général Augusto Pinochet, les troupes militaires ont investi les rues de Santiago, capitale du Chili. Le palais présidentiel de La Moneda, dans lequel le président Allende est retranché, est en flammes, bombardé par l’aviation et cerné par l’armée. Elu démocratiquement en 1970 grâce à l’appui des communistes, le médecin Salvador Allende, un marxiste, a instauré un régime socialiste (réforme agraire, nationalisations, hausse des salaires). Mais très vite le pays est au bord de la guerre civile. Un grand mouvement populaire soutient le président Allende, tandis que ses opposants de droite au Parlement rencontrent l’adhésion d’une grande partie de la bourgeoisie, de nombreux officiers et, secrètement, des agents de la CIA.

« Je paierai de ma vie la loyauté du peuple »

Le 23 août 1973, alors que le Parlement vote la destitution d’Allende et appelle la population à la désobéissance civile, le président contre-attaque et, pour rétablir l’ordre, nomme général en chef de l’armée chilienne Augusto Pinochet. D’abord loyal à Allende, celui-ci se joint rapidement au complot qui débouche sur un coup d’État. Ce jour de septembre 1973, l’armée propose au président Allende un sauf-conduit pour quitter le Chili sain et sauf avec sa famille, mais ce dernier refuse, convaincu qu’il s’agit d’un piège. Il se serait donné la mort à l’aide, dit-on, d’une arme automatique offerte par Fidel Castro. Quelques heures plus tôt, le président socialiste avait adressé un dernier message radiophonique à ses concitoyens : « Je ne vais pas démissionner (...). Je ne renoncerai pas, je paierai de ma vie la loyauté du peuple. J’ai la certitude que mon sacrifice ne sera pas vain ».

« Un tremblement de terre dans la vie politique chilienne »

La junte militaire place alors officiellement à sa tête le général Pinochet, plus tard proclamé président de la République. Ce dernier cherche aussitôt à consolider son pouvoir : deux jours après le coup d’État, le congrès est dissout, la constitution suspendue et les partis politiques interdits. Le stade national devient une immense prison : 130 000 personnes sont arrêtées en trois ans et les exécutions se multiplient. Pinochet conservera le pouvoir jusqu’au 11 mars 1990. Comme 160 000 autres personnes, Ricardo Parvex a fui l’oppression du régime chilien. Il s’est installé en France en 1976 et préside désormais l’Association d’ex-prisonniers politiques chiliens. Pour lui, ce 11 septembre 1973, représente « un tremblement de terre dans la vie politique chilienne. »

Selon la commission Vérité et réconciliation de 1991, la dictature aurait fait 2279 morts et disparus dont 641 morts dans « des conditions non élucidées » et 957 « détenus disparus ». C’est dans le palais de La Moneda, où Salvador Allende a vécu ses dernières heures, que la socialiste Michelle Bachelet assistera ce mardi à une messe privée. La présidente chilienne a elle même été torturée à la Villa Grimaldi (voir encadré) sous la dictature avant de quitter le Chili en 1975. Son père, un général de l’armée de l’air, a lui succombé aux tortures dans un camp de prisonniers. Michelle Bachelet tente désormais de faire augmenter les réparations attribuées aux victimes du régime, à défaut d’avoir pu faire purger une peine à Augusto Pinochet. Décédé d’une crise cardiaque le 10 décembre 2006 à Santiago, l’ancien homme fort du Chili n’a jamais été condamné, malgré la levée de son immunité. Les poursuites judiciaires engagées contre lui seront périodiquement annulées, au gré de son état de santé. « Pinochet a eu la chance de mourir dans son lit entouré de sa famille, rappelle le réfugié politique Ricardo Parvex, une chance que nos camarades disparus n’ont pas eue. »

Les secrets de la Villa Grimaldi

La Villa Grimaldi est une grande propriété située sur les collines de la commune de Peñalolén, à Santiago du Chili. Cette habitation est tristement célèbre pour avoir été un des plus importants centres de détention et de tortures infligées par la police secrète aux opposants de gauche sous le régime Pinochet. Le site internet de la Villa, depuis détruite et reconstruite sous la forme d’un mémorial en 1997, rappelle les «chocs électriques », les « asphyxies » et autres « passages à tabac » subis par des milliers de détenus entre 1974 et 1976.

Un regret partagé par Isabelle Allende, la nièce de l’ancien président Allende. À l’occasion de ce 34ème anniversaire du coup d’État, la romancière chilienne a choisi de rompre le silence qu’elle observait depuis la mort de l’ancien dictateur. « Maintenant qu’un peu de temps a passé, a-t-elle déclaré lundi, je peux dire que je déplore que Pinochet soit mort en totale impunité, sans avoir payé pour ses crimes et sans avoir rendu l’argent qu’il avait volé au Chili. » D’anciens hauts responsables de la police secrète sous la dictature ont, pour leur part, été condamnés à de très lourdes peines de prison. Le 28 août, la Cour suprême chilienne a pour la première fois condamné un général, l’ancien chef des services secrets sous Pinochet, à la prison à perpétuité. Dans les tribunaux chiliens, quelque 500 procédures pour violations des droits de l’Homme sont en cours, alors que certains milieux militaires font pression en faveur de l’abandon des poursuites. Néanmoins, la présidente du Chili a promis que les crimes commis sous la dictature ne seraient pas prescrits.

L’image du dictateur s’estompe, surtout chez les jeunes

Mais 17 ans après le retrait de Pinochet de la scène politique, les Chiliens restent partagés quant à l’héritage de son régime. Dimanche, environ 5 000 personnes ont manifesté à Santiago à l’appel des organisations des droits de l’Homme en souvenir du coup d’État militaire. Ce mardi, les organisations des droits de l’Homme et de gauche, tout comme les anciens collaborateurs du président mort en 1973, déposeront des gerbes et rendront hommage à Allende devant le monument construit en son honneur près de l’actuel palais présidentiel.

Si Allende fait toujours partie de la mémoire collective, Pinochet, lui, disparaît peu à peu du débat politique. « Il appartient déjà au passé », a lancé la semaine dernière Ricardo Lagos Weber, le porte-parole du gouvernement. Chez les jeunes dont les familles n’ont pas subi les crimes du régime, le souvenir du général s’estompe et a cessé d'être un thême de conversation. « Les mobilisations étudiantes ne sont plus, ni pour ni contre Pinochet, mais contre la politique du gouvernement », avance l’analyste politique Ricardo Israël. Mais le général Augusto Pinochet reste le père du Chili actuel. Pour Ricardo Parvex, il est difficile d’oublier son régime tant il a laissé son empreinte sur le système économique et les institutions politiques du pays.