jeudi, février 21, 2013

ÉTATS-UNIS. BHASKAR SUNKARA : L’HOMME QUI REMET MARX À LA UNE

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CUVERTURE DE « JACOBIN »

Enfant, Bhaskar Sunkara rêvait de devenir joueur de basket professionnel, mais ni sa taille ni les dieux ne le lui ont permis. En 2009, alors qu’il était étudiant à l’université George Washington, il profita d’un congé de maladie pour se consacrer à son plan B : créer un magazine ayant pour mission de diffuser sans jargon la pensée néomarxiste.


Jennifer Schuessler

DESSIN AJUBEL

Le succès du magazine Jacobin (dont le neuvième numéro vient de paraître) n’était donc pas prévu et tient en partie aux activités d’Occupy [le mouvement de protestation sociale lancé à l’automne 2011] et à son style à la fois sérieux, satirique et mordant. Depuis sa création, en septembre 2010, le magazine a séduit près de 2 000 abonnés (papier et numérique), il est régulièrement cité par des blogueurs réputés et a déjà obtenu des contrats avec deux éditeurs new-yorkais. Il a également valu à son créateur, jeune homme chevronné aujourd’hui âgé de 23 ans, des éloges dithyrambiques de la part d’une vieille garde pour qui le succès de Sunkara est la preuve que le “socialisme” n’a pas encore complètement disparu sous les assauts du Tea Party.

“Bhaskar est un jeune homme vraiment remarquable”, déclare Chris Hayes, présentateur de la chaîne MSNBC, qui a parlé de Jacobin dans [le mensuel] Rolling Stone en juin dernier et a invité Sunkara dans son émission. “Il a la fois la compétence et l’assurance insolente d’un jeune prodige du rap.”

Et les compliments ne viennent pas seulement de la gauche. Le blogueur et critique [conservateur] Reihan Salam a relayé de nombreux articles de Jacobin et parle de Sunkara comme d’un “personnage à la sagacité presque hilarante, qui sait utiliser la moquerie et la flatterie avec talent”. Le magazine apporte au débat une contribution essentielle, “à la gauche de la gauche du centre”, et c’est “très amusant à regarder”, ajoute-t-il.

Dans ses écrits, Sunkara est comme une mitraillette à balles caustiques, faisant feu sur des têtes de Turc comme Ezra Klein (blogueur du Washington Post dépeint comme “un jeune de gauche obnubilé par les rapports politiques respectueux des règles de la ponctuation”) ou sur l’hydre capitaliste elle-même.

PHOTO ERIN BAIANO
En réalité, l’intéressé est toutefois plus posé et n’hésite pas à souligner que le magazine qu’il a créé dans son dortoir d’université est aujourd’hui une entreprise collective. Pour lui, le succès de Jacobin tient avant tout à la cohérence politique des quatre coéditeurs qu’il a recrutés et à leur volonté partagée de promouvoir une critique du libéralisme débarrassée de toute théorie académique et obscurantiste.

Fils d’immigrés d’Asie du Sud-Est ayant grandi dans l’Etat de New York, Sunkara avait été désigné au lycée comme “l’élève ayant le plus de chances de réussir”. Son engagement politique tient toutefois moins à ses expériences qu’à ses lectures, explique-t-il. En cinquième, il tombe par hasard sur La Ferme des animaux [de George Orwell], qui le conduit droit à Trotski. En première année à l’université, il anime un blog pour les Socialistes démocrates d’Amérique et écrit pour le trimestriel [de gauche] Dissent.

Son appétit de travail ne semble pas se démentir en 2013. Outre ses chroniques pour le mensuel progressiste In These Times, Sunkara travaille sur un projet de collection d’essais pour Metropolitan Books (édités avec Sarah Leonard, de Dissent) à paraître en septembre et une série de livres sélectionnés par Jacobin et publiés par Verso.

Jennifer Schuessler