jeudi, mars 19, 2020

CHILI: LE POUVOIR EMPÊTRÉ DANS LA CRISE

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SANTIAGO (CHILI). 2 MARS. DES MANIFESTANTS FUIENT LES CANONS À EAU
DE LA POLICE. DES MILLIERS DE PERSONNES SE SONT RASSEMBLÉES CE
JOUR-LÀ DANS LA CAPITALE CHILIENNE POUR LA PREMIÈRE MANIFESTATION
DE LA RENTRÉE, À LA FIN DES VACANCES DE L’ÉTÉ AUSTRAL. ELLES ONT
DÉNONCÉ LA POLITIQUE DU GOUVERNEMENT ET LE COÛT DE LA VIE.
PHOTO IVAN ALVARADO / REUTERS 
La défiance vis-à-vis du gouvernement va compliquer la réforme constitutionnelle réclamée par la population. 
DES MANIFESTANTS ESCALADENT DEUX BUS VANDALISÉS
LORS D’UN RASSEMBLEMENT CONTRE
LE GOUVERNEMENT, LE 13 MARS, À SANTIAGO.
PHOTO LUIS HIDALGO / AP
Le Chili vit une situation explosive depuis octobre 2019. À l’époque, l’augmentation du prix du ticket de métro avait entraîné une vague de protestations et de violences causant un séisme dans l’ensemble du pays. Si la mobilisation sociale est désormais moins forte, les manifestations quotidiennes à Santiago, la capitale, se poursuivent avec toujours les mêmes revendications: un système de santé juste et accessible à tous, une éducation gratuite avec la fin d’un dispositif contraignant la plupart à s’endetter pour des années, et des retraites décentes qui ne servent pas seulement à enrichir les compagnies d’assurances.

La réponse des politiques en général, et du gouvernement en particulier, n’a pas convaincu. Très vite ont été décidées une retraite minimale et des mesures d’aides aux plus faibles, mais cela a été jugé largement insuffisant face à l’ampleur de la demande sociale. C’est en fait l’ensemble du système politique hérité du général Pinochet qui est contesté. Le dictateur avait été le pionnier des politiques néolibérales ensuite copiées dans le monde entier. Avec les économistes de l’école de Chicago, les «Chicago Boys», Augusto Pinochet a démantelé l’ensemble du système social chilien et confié aux sociétés privées la gestion des besoins sociaux, de la santé à la retraite en passant par l’éducation.

Ce «modèle chilien» a longtemps été loué dans le monde pour sa réussite. À la fin de la dictature en 1990, décidée par un référendum, les responsables politiques avaient choisi de ne pas modifier en profondeur le système, à la fois parce qu’ils ne voulaient pas rompre la dynamique de consensus qui avait prévalu à la transition démocratique et parce que la Constitution, rédigée sous Pinochet mettait des obstacles à tout changement structurel profond.

Les gouvernements successifs, la plupart se revendiquant de gauche, se sont finalement accommodés de ce système. Mais aujourd’hui, la société chilienne est fatiguée et demande de profondes réformes. L’ensemble des forces politiques, le gouvernement de droite de Sebastian Pinera et l’opposition de gauche, se sont accordées en novembre pour organiser un référendum constitutionnel, même si aujourd’hui, certains partis soutenant le président et héritiers de la dictature, estiment que cette consultation populaire ne doit pas avoir lieu. Et compte tenu de l’épidémie de coronavirus, il est peu probable que le 23 avril, le pays soit capable d’organiser le scrutin dans de bonnes conditions.

Pour le président de la Commission chilienne des droits de l’homme, Carlos Margotta, la façon dont les forces de l’ordre répriment les manifestations depuis octobre révèle que la transition démocratique de 1990 est incomplète. «Même en février, les manifestations ont continué et la répression violente injustifiée aussi. Le 1er janvier, il y avait 405 cas de traumatismes oculaires après des tirs des carabiniers. Le 29 février, nous en comptions 445, alors qu’il s’agit d’une période de vacances», recense-t-il.

Le président Pinera ne dispose plus que de 6% de soutien parmi ses compatriotes.


La haute commissaire à l’ONU pour les Droits de l’homme et ancienne présidente chilienne Michelle Bachelet a publié un rapport accablant pour les forces de l’ordre en décembre, faisant de nombreuses préconisations. «Le gouvernement n’a tenu aucun compte des recommandations de l’ONU, déplore Carlos Margotta.Les méthodes des carabiniers n’ont pas changé et font donc toujours plus de victimes. Nous avons relevé plus de 400 cas de violation des droits de l’homme par les autorités et déposé 30 plaintes.»

Le militant des droits de l’homme estime que les faits reprochés à la police ne sont pas le fait d’erreurs individuelles mais le résultat d’une politique d’État héritée du pinochétisme. «En 1990, la Commission de vérité a fait des recommandations. L’armée et les carabiniers étaient formés selon la doctrine de la Sécurité intérieure et donc de la lutte contre l’ennemi intérieur. La Commission de vérité a préconisé une formation pour que les forces de l’ordre exercent leur travail dans le cadre de la défense des droits de l’homme, rappelle Carlos Margotta.Pour la justice, la problématique est la même. Entre 1973 et 1990, l’appareil judiciaire a été au service de la dictature. La fin de cette dernière n’a rien changé et les serviteurs zélés du régime sont restés en place, transmettant la doctrine de la Sécurité nationale à leur successeur aujourd’hui en poste.»

Pour Carlos Margotta, le problème est que la classe politique chilienne qui s’est succédé depuis 1990 a perdu toute crédibilité. Le président Pinera ne dispose plus que de 6% de soutien parmi ses compatriotes. Selon le Centre d’études publiques (CEP) seuls 2% des Chiliens font confiance aux partis, 3% au Parlement, 5% au gouvernement. Comment dans ces conditions mener la réforme profonde du système social hérité du pinochétisme que réclament les manifestants?
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