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Au Chili, la «fracture» de santé dans le viseur du mouvement social. Privés de manifestations par l’épidémie de coronavirus, les contestataires chiliens restent malgré tout mobilisés, particulièrement sur la réforme du système de santé, profondément inégalitaire : 78 % de la population - les plus pauvres et les plus âgés notamment - sont affiliés au système de santé public, sous-financé.Par Justine Fontaine
« PANDÉMIE / NÉOLIBÉRALISME » |
PHOTO RODRIGO GARRIDO |
Au Chili, il existe «une santé pour les riches, et une santé pour les pauvres», abonde Alejandra Fuentes-Garcia, professeure en santé publique à l’Université du Chili, à Santiago. 78% de la population – les plus pauvres et les plus âgés notamment – sont affiliés au système de santé public. Les autres, plutôt «jeunes et en bonne santé», sont affiliés à des assurances santé privées. Cette «fracture» remonte à l’époque de Pinochet et sa série de réformes néolibérales, imposées dans un pays bâillonné par la répression. Depuis, explique la chercheuse, «le système de santé public est sous-financé», malgré quelques réformes engagées après le retour à la démocratie.
Loteries solidaires
Attendre dans le public, ou payer une clinique privée. À Recoleta, commune populaire du nord de la capitale, Leticia Pardo a été confrontée à ce dilemme quand elle a dû emmener son mari Richard aux urgences, il y a quelques mois. «Il s’évanouissait, faisait de la tachycardie, se souvient cette petite femme d’une cinquantaine d’années. Mais à l’hôpital, ils nous ont dit de l’emmener à la clinique privée, car ils n’avaient pas assez de lits disponibles pour pouvoir l’hospitaliser.»Pour deux jours passés à la clinique, Richard, atteint d’une rare maladie auto-immune, doit débourser plus de 3,5 millions de pesos chiliens (3 700 euros environ), alors qu’il a dû cesser de travailler et que sa femme est mère au foyer. «C’est ça, le Chili, résume Leticia. Alors on a organisé une loterie pour payer la facture.» Le 13 mars, avant le début du confinement décrété dans quelques communes du pays, la loterie solidaire a réuni une cinquantaine de voisins et de proches de la famille, comme Paula, amie d’enfance de Leticia qui, il y a quelques semaines, organisait elle aussi sa propre loterie, à cause de son cancer.
Cristian Weibel, conseiller municipal communiste de Recoleta, reçoit régulièrement des invitations à participer à ces événements. «Pour financer des frais de santé, il y a jusqu’à dix loteries solidaires le même jour dans cette commune, en fin de mois, car c’est à ce moment-là que les gens ont un peu d’argent», témoigne-t-il.
Alors que le pic de la contagion de Covid-19 est attendu au Chili en mai ou juin (d’après le gouvernement chilien), les inégalités d’accès à la santé «seront manifestes aussi pendant l’épidémie, estime José Miguel Bernucci, secrétaire national du principal syndicat de médecins. Car le système santé chilien dispose de moitié moins de lits de soins intensifs que l’Italie, proportionnellement à sa population, et les chiffres sont encore moins bons si l’on prend en compte uniquement les hôpitaux publics.»
«Changer de constitution»
Confinée chez elle dans l’ouest de Santiago, Gloria Zavala, 42 ans, craint que «ceux qui ont les revenus les plus élevés puissent accéder à des respirateurs», mais pas les autres. «Il devrait y avoir un système unique de santé pour tous, auquel tout le monde cotise», estime cette assistante de direction, qui a manifesté de nombreuses fois depuis octobre.
Une réforme «impossible sous la constitution actuelle [héritée de la dictature], qui établit qu’une personne a le droit de choisir auprès de quel système de santé [public ou privé] elle veut s’assurer», explique la chercheuse Alejandra Fuentes-Garcia. Pour que les cotisations santé obligatoires aillent uniquement au système public, «il faudrait changer de constitution. Et le Covid-19 pourrait donner des arguments supplémentaires en ce sens», estime-t-elle.
Gloria Zavala est pour sa part déjà convaincue que «les gens vont approuver massivement un changement de constitution» lors du référendum du 25 octobre prochain. Le scrutin, qui devait avoir lieu le 26 avril, a dû être décalé à cause du coronavirus.