mercredi, novembre 13, 2019

AU CHILI, EXPLOSION DE PLAINTES CONTRE LES FORCES DE L’ORDRE POUR VIOLENCES SEXUELLES


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 « LE CHILI  ÉVEILLÉBORGNE »
DESSIN ALEN LAUZAN
Les organisations de défense des droits de l’homme et associations féministes et LGBT dénoncent des dizaines de cas commis par la police et l’armée depuis le début du mouvement social, mi-octobre.
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« PLÁ DEHORS ! »
« Tolérance zéro envers les violences faites aux femmes. » En publiant ce message, lundi 11 novembre sur Twitter, Isabel Plá, la ministre chilienne de la femme et de l’égalité de genre, a déclenché sans le vouloir une vague de colère. «Combien de femmes agressées sexuellement par la police avez-vous accompagnées ? », s’indigne une utilisatrice du réseau social. « Rendez-nous service et démissionnez », enjoint une autre.

La ministre, dont le portrait est régulièrement placardé sur les murs de Santiago, la capitale chilienne, accompagné de l’inscription « Plá dehors!», est sous le feu des critiques depuis le début du mouvement social, mi-octobre. La mobilisation des Chiliens ne faiblit pas : ce mardi 12 novembre, de nouvelles manifestations ont été organisées partout à travers le pays, parfois émaillées d’incidents violents. Alors que les accusations de violences policières sont de plus en plus nombreuses et médiatisées, les Chiliens reprochent au gouvernement de Sebastián Piñera – le président de droite au pouvoir depuis début 2018 – son manque de réaction.

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En un mois, cinq personnes auraient été tuées par les forces de l’ordre et plus de 2 300 blessées, dont 200 présentent des lésions oculaires graves. Le dernier bilan présenté par l’Institut national des droits humains (INDH), un organisme public indépendant, est effarant. « La police chilienne a toujours réprimé les mouvements sociaux plus fortement que dans les autres pays de la région, explique Lucia Dammert, sociologue à l’université du Chili spécialisée dans les questions de sécurité, mais le niveau de violation des droits de l’homme auquel on assiste aujourd’hui est sans précédent depuis la dictature militaire [1973-1990]. »


Scènes d’humiliation



Parmi les cas recensés par l’INDH, le nombre de victimes de violences sexuelles a bondi. En quatre semaines, au moins 93 personnes, parmi lesquelles 23 mineures, ont dénoncé auprès de l’organisation des « traitements cruels, inhumains et dégradants avec violence et connotation sexuelle » commis par les carabineros – la police chilienne – et par l’armée, déployée par le gouvernement durant les dix premiers jours du mouvement social. L’INDH a déjà présenté une cinquantaine de plaintes pour violences sexuelles devant la justice.

« Certaines pratiques illégales reviennent régulièrement dans les témoignages, et ce à travers tout le pays. C’est comme si la police les avait institutionnalisées », affirme Danitza Pérez Cáceres, membre de l’Association des avocates féministes (Abofem) qui représente vingt-cinq personnes ayant dénoncé des violences sexuelles. « Les manifestants arrêtés par la police sont souvent forcés de se déshabiller entièrement. C’est quelque chose de complètement interdit, tant au niveau international que national », explique Camila Troncoso, également membre d’Abofem.
« Les forces de l’ordre ont cru qu’elles pouvaient agir en toute impunité. »

Les deux avocates rapportent également des scènes d’humiliation relatées par leurs clientes : des jeunes femmes auxquelles on aurait interdit de remettre leurs sous-vêtements alors qu’elles ont leurs règles, par exemple. « La situation est critique. Nous ne cessons d’actualiser nos chiffres », déplore Mme Pérez Cáceres.

Les femmes et la communauté LGBT – lesbiennes, gays, bisexuels, trans – ont été particulièrement ciblées par ces violences, selon plusieurs associations. Le Mouvement homosexuel d’intégration et de libération (Movilh) dénonce au moins deux viols commis par les forces de l’ordre sur des manifestants homosexuels. Josué Maureira, étudiant en médecine de 23 ans, a dénoncé publiquement, fin octobre, avoir été roué de coups par la police. « J’avais les ongles vernis, alors ils m’ont traité de “pédé”. (…) Ils ont baissé mon pantalon et m’ont agressé sexuellement avec leur matraque », a témoigné le jeune homme auprès du média chilien Cooperativa.

« Nous n’avions jamais reçu d’accusations de ce type auparavant, souligne Oscar Rementería, porte-parole de Movilh, les forces de l’ordre ont cru qu’elles pouvaient agir en toute impunité. » Pour Roberto Morales, porte-parole d’Amnesty International au Chili, « ce niveau de violence, cette volonté d’humilier et de torturer les personnes, rappellent des pratiques de la dictature militaire ».


Attouchements et insultes



La journaliste Erika Montecinos, fondatrice de l’organisation lesbienne Rompiendo el Silencio («Briser le silence »), estime que « dans un contexte de fortes tensions, la violence et la répression envers les femmes et les lesbiennes augmente. Les forces de l’ordre sont associées à des secteurs conservateurs qui voudraient que rien ne change ». Rompiendo el Silencio a mis en place un numéro d’urgence : l’organisation propose notamment une assistance psychologique gratuite aux victimes de violences sexuelles et met en relation avec des avocates d’Abofem les femmes qui souhaitent porter plainte.

Cinq Chiliennes ont dénoncé des faits graves (attouchements, insultes visant leur orientation sexuelle, détention sans fondement…) auprès de Rompiendo el Silencio, explique Erika Montecinos : «Les lesbiennes et bisexuelles sont sans doute bien plus nombreuses que cela à avoir subi des violences. Beaucoup de femmes n’osent pas parler, car elles ont reçu des menaces ». À l’image de cette jeune femme de 24 ans, qui dit avoir été menacée, fin octobre à Santiago, de « viol correctif » – un crime qui vise à «corriger » la sexualité de la victime – par plusieurs carabineros.
« Les policiers disent aux manifestants qu’ils savent où ils habitent, qu’ils peuvent les retrouver, les tuer »

Les associations féministes et LGBT contactées par Le Monde ont tenu à protéger l’anonymat des Chiliens et des Chiliennes ayant sollicité leur aide. « Beaucoup ont peur. Les policiers disent souvent aux manifestants qu’ils savent où ils habitent, qu’ils peuvent les retrouver, les tuer », explique Danitza Pérez Cáceres. L’avocate d’Abofem a recueilli le témoignage de plusieurs femmes, très jeunes : «Elles font des cauchemars, ont besoin d’aide psychologique. Mais elles ne veulent pas que cette situation se reproduise. C’est pour ça qu’elles portent plainte. »

Pour Oscar Rementería, de l’organisation Movilh, « le gouvernement s’est montré totalement immobile » face à la répression dans le pays. Lundi, lors d’une audience spéciale devant la Cour interaméricaine des droits humains (CIDH) à Quito (Equateur), les représentants du gouvernement chilien ont nié toute violation des droits de l’homme et se sont contentés de condamner les dommages matériels causés par les manifestations. Après l’ONU et les organisations Amnesty International et Human Rights Watch, une mission d’observation de la CIDH pourrait arriver au Chili la semaine prochaine.

Aude Villiers-Moriamé (Santiago, envoyée spéciale)
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MANIFESTATION CONTRE LE GOUVERNEMENT, 
LE 11 NOVEMBRE 2019 À SANTIAGO DU CHILI  
PHOTO JAVIER VERGARA
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