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Par Martine Valo PubliéL’enseignant-chercheur sur les cultures bio à l’université Saint-Thomas de Santiago a reçu, mercredi 20 novembre à Paris, un prix de la Fondation Danielle-Mitterrand pour son combat.
RODRIGO MUNDACA
ILLUSTRATION REBECCA HENDIN
PHOTO ARIEL MARINKOVIC
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Sur une photographie, un cheval mort gît dans une rivière à sec, dans une autre une barque posée sur le sol aride. Le centre du Chili connaît une grave sécheresse depuis une dizaine d’années. En octobre, le ministère de l’agriculture dénombrait la perte de plus de 100 000 chèvres, bovins et ovins, dans cette région de Petorca où des dizaines de milliers de personnes sont alimentées en eau par camion.
Cependant, au-dessus du rio au sol craquelé et du cadavre de l’animal, le cliché dévoile des flancs de collines restés d’un vert éclatant et un vaste réservoir: ce sont des plantations d’avocatiers, irrigués et en pleine santé. Certains accusent cette monoculture en plein boom d’aggraver la pénurie.
Rodrigo Eduardo Mundaca Cabrera, lui, dénonce un autre phénomène : la captation de la ressource entre quelques mains. L’homme, âgé de 58 ans, père de cinq filles et deux garçons qui le soutiennent dans sa mobilisation, est le porte-parole et secrétaire général du Mouvement pour la défense et pour l’accès à l’eau, à la terre et la protection de l’environnement, le Motadima, une organisation de résistance fondée il y a dix ans contre « le vol de l’eau ».
Mercredi 20 novembre, à Paris, cet ingénieur agronome de formation, enseignant et chercheur sur les cultures bio à l’université Saint-Thomas, à Santiago, s’est vu délivrer une récompense honorifique de la part de la Fondation Danielle Mitterrand pour son « combat essentiel » en faveur du droit à la ressource.
Agressions et menaces de mort
CYBERHARCÈLEMENT ET MENACES DE MORT CAPTURE D'ÉCRAN TWITTER |
Ce n’est pas la première fois que le militant, dont le travail a retenu l’attention de plusieurs médias étrangers ces dernières années, est distingué. En octobre, il a obtenu le prix international des droits de l’homme de Nuremberg, en Allemagne. Cette reconnaissance a décuplé la colère de ses détracteurs : le militant reçoit souvent des menaces de mort et a été roué de coups dans la rue en 2015. Depuis quelques semaines, un dessin de son visage circule sur les réseaux sociaux chiliens, avec une balle en plein front. En 2017 déjà, Amnesty International avait mené une campagne pour le soutenir, 55 000 personnes avaient signé une pétition en sa faveur.
« Sous la dictature de Pinochet, l’eau est devenue un bien économique » – Rodrigo Mundaca
Rodrigo Mundaca a d’autres photos à montrer : on y voit des paysans démunis au milieu des bidons dans lesquels ils stockent le peu de pluie qui tombe sur Petorca (au nord de Santiago). « Le Chili est le seul pays du monde à être allé aussi loin dans la privatisation de la ressource », assure-t-il. Lui qui est l’un des auteurs du livre Les Luttes pour l’eau dans notre Amérique assure que 90 % de la ressource est prélevée par l’agrobusiness et le secteur minier, tandis que le reste va, pour une part, à l’industrie et qu’il reste entre 3 % et 5 % pour la consommation des populations.
Cette appropriation découle directement de la loi, et de l’article 19, paragraphe 24, de la Constitution de 1980 précisément. « Sous la dictature d’Augusto Pinochet, l’eau est devenue un bien économique. Elle se vend, s’achète, s’échange comme n’importe quelle marchandise : encore aujourd’hui trente-huit rivières sont mises aux enchères. Et certains propriétaires raflent tout dans le sous-sol avec de longues canalisations qui puisent profondément au-delà de leurs propres terrains, laissant la petite agriculture au bord du gouffre », assure le militant.
Après les sources, en 1981, les services de distribution ont été privatisés à leur tour en 1998. Les droits de quelques-uns sur la ressource hydrique n’ont pas été remis en question depuis. Sur les dix villes d’Amérique latine où l’eau coûte le plus cher, sept sont situées au Chili, selon M. Mundaca.
Vingt-quatre fois devant un juge, de 2012 à 2014
RODRIGO MUNDACA PHOTO GABRIELA BRAVO |
Une délégation a apporté l’amende de 200 euros au tribunal en pièces de 1 peso, dans des bouteilles d’eau
Mais c’est lorsqu’il dénonce la mainmise sur de grands volumes d’eau d’un ancien ministre de l’intérieur de Michelle Bachelet (présidente de la République de 2014 à 2018) que les vrais ennuis commencent. Accusé de diffamation, Rodrigo Mundaca passe vingt-quatre fois devant un juge, de 2012 à 2014 ; il est condamné à 540 jours de prison, ramenés ultérieurement à 61 jours, puis à un pointage mensuel accompagné d’une amende de 200 euros – qu’une délégation a apportée au tribunal en pièces de 1 peso, dans des bouteilles d’eau.
Dimanche 10 novembre, en réponse aux mouvements sociaux, le gouvernement du président Sebastian Piñera s’est dit d’accord pour ouvrir la voie à une nouvelle Constitution. Dans un Chili secoué par des manifestations rudement réprimées, l’Institut national des droits humains recense les blessés graves et les disparus.
Tous les faits et gestes des ONG, comme des syndicats et d’autres organisations sociales et environnementales, sont surveillés de très près par le gouvernement. C’est ce qu’indiquent des milliers de documents rendus publics par des pirates informatiques : le « PacoLeaks » suscite un nouveau scandale dans le pays. Le nom de Rodrigo Mundaca y figure.
Celui-ci continue pourtant de se battre, montrant du doigt notamment les « 29 000 litres par seconde dont l’actuel ministre de l’agriculture – qui possède des vergers irrigués – est propriétaire. De quoi alimenter 12,5 millions de personnes en un an ! » Rodrigo Mundaca a-t-il peur de s’exposer autant ? « La peur, des tas de gens l’éprouvent dans le monde. Nous ne sommes pas des héros, dit-il en soupirant après un silence. Paradoxalement, c’est ce qui nous pousse à continuer la lutte jusqu’au bout. »
Martine Valo
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