jeudi, août 06, 2020

CHILI: L'AVORTEMENT RENDU PLUS DIFFICILE ET PLUS DANGEREUX PAR LA PANDÉMIE DE COVID-19

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PHOTO ELVIS GONZALEZ. EFE. ABACAPRESS
 
Au Chili, l'interruption de grossesse n'est autorisée que dans trois cas : viol, danger pour la vie de la mère ou quand le fœtus n'est pas viable. Hors de ces cas de figure, les femmes qui y ont recours risquent jusqu'à cinq ans de prison. On compte entre 60 000 et 200 000 avortements clandestins par an au Chili, selon les associations. Mais avec la pandémie de Covid-19 et la fermeture des frontières chiliennes depuis mars, ces avortements sont encore plus dangereux qu'avant.
PHOTO CLAUDIO REYES / AFP
« Contraception pour ne pas avorter », « Avortement légal pour ne pas mourir », ou encore « Avortement légal et à l'hôpital », voici quelques-uns des slogans entendus ces dernières années dans les gigantesques manifestations féministes qui ont secoué le Chili. Dans ce pays de tradition catholique, l'avortement, qui était complètement interdit jusqu'en 2017, n'est possible aujourd'hui qu'en cas de viol, de danger pour la vie de la mère ou si le fœtus n'a aucune chance de survivre.

Trinidad, trente ans, est mère célibataire. Quand elle est tombée enceinte il y a quelques semaines, elle a décidé d'avorter. « Ce qui s'est passé dans mon cas, c'est que je n'avais pas assez d'argent pour acheter ma pilule contraceptive, explique-t-elle. Je n'ai pas de travail stable. Je vis chez ma mère, qui est dépressive et je m'occupe d'elle. Et puis j'ai déjà une fille. Ce n'était pas le moment de m'accorder ce luxe ».

Elle n'a pas le droit d'interrompre sa grossesse légalement. Alors, elle a cherché sur Internet des médicaments pour avorter clandestinement, chez elle. « Cela a été très difficile. Je me suis fait arnaquer une fois, poursuit Trinidad. Il y a quelques années, il était beaucoup plus facile de trouver ces comprimés, et beaucoup moins cher. Mais aujourd'hui, dans le contexte de la pandémie de Covid-19, tout est plus compliqué, et les prix sont extrêmement élevés ».

Les frontières étant fermées depuis mars, les personnes qui se fournissaient à l'étranger ont beaucoup plus de mal à obtenir les médicaments utilisés pour les avortements clandestins, ce qui a entraîné par moments des pénuries sur le marché noir. Pour douze comprimés de misoprostol, le médicament considéré au Chili le plus sûr pour avorter chez soi, il faut maintenant débourser jusqu'à 300 000 pesos, pas loin de 400 dollars, soit presque un salaire minimum au Chili, environ trois fois plus qu'avant la pandémie.

« La mortalité pourrait augmenter »


Tamara, 28 ans, a avorté clandestinement le mois dernier. Mais pour elle, il était impossible de payer une somme aussi élevée. « La dose devrait être de douze comprimés pour être sûre que l'avortement se produise correctement, raconte-t-elle. Mais les douze comprimés étaient très chers. Je n'avais pas cet argent donc j'ai dû le faire avec huit seulement ».

Trinidad et Tamara ont avorté seules, chez elles, sans le dire à leurs proches. Toutes deux ont eu peur d'avoir des complications et de devoir aller à l'hôpital, d'être dénoncées si quelqu'un se rendait compte qu'elles avaient essayé d'avorter illégalement.

Maria Ignacia Veas coordonne le département de santé psycho-sociale de la fondation Miles, qui propose notamment des informations sur la santé sexuelle, et un accompagnement psychologique aux femmes. Elle voit depuis le début de la pandémie davantage de personnes se rapprocher de l'association car elles n'ont pas eu accès à leur contraception ni à l'avortement légal, mais souhaitent interrompre leur grossesse. « La majorité des femmes sont sûres de leur décision et elles vont chercher un moyen d'arriver à leur but, explique-t-elle. Et en ce sens, elles peuvent en arriver à des méthodes qui peuvent mettre en danger leur vie, ou provoquer des infections par exemple. Il y a de nombreux risques différents. Et donc la mortalité due à des avortements pourrait augmenter ».

Elle souligne que les difficultés d'accès à des avortements sûrs risquent aussi d'avoir des conséquences psychologiques, sociales, et économiques pour les femmes concernées. L'association milite par ailleurs pour la légalisation de l'IVG au Chili. En Amérique latine, l'avortement n'est autorisé qu'en Uruguay, à Cuba et au Guyana.



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