lundi, septembre 05, 2022

APRÈS LE « NON » AU RÉFÉRENDUM AU CHILI, UN NOUVEAU PROCESSUS CONSTITUTIONNEL COMMENCE POUR LE PRÉSIDENT GABRIEL BORIC

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PHOTO MARTIN BERNETTI / AFP

Plus de six votants sur dix ont rejeté le texte progressiste proposé par l’assemblée constituante mise en place après les protestations de 2019 contre les inégalités.

Par Flora Genoux (Santiago, envoyée spéciale)

Temps de Lecture 4 min.

ALEN LAUZAN

c’est non. Les Chiliens ont largement rejeté, à hauteur de 62 %, dimanche 4 septembre, le projet d’une nouvelle Constitution, progressiste, féministe, écologique et sociale, élaboré pendant un an par une Assemblée paritaire de citoyens, élue démocratiquement. Ce référendum historique, marque la fin d’un grand chapitre, celui ouvert par l’inédite révolte de 2019 contre les inégalités sociales et le modèle néolibéral. Celui-ci était incarné par la Constitution, adoptée en 1980, en pleine dictature (1973-1990), qui demeure donc la feuille de route du pays de 19 millions d’habitants. Les multiples amendements qu’elle a connus ne reviennent pas sur son pilier, celui d’un État dit « subsidiaire », qui n’intervient qu’après le secteur privé.

« Chi-chi-chi, le-le-le ! Viva Chile ! » (« Vive le Chili!»), à Santiago, aux abords du siège des partisans du rechazo (« je rejette » le texte proposé), les manifestants jubilent, agitant des drapeaux chiliens. « Je suis heureux ! Nous sommes une seule nation, les Mapuche [population autochtone] sont chiliens, la plurinationalité n’existe pas », soutient Andrés Ovalle, un ingénieur commercial de 47 ans, en référence à la reconnaissance, dans le texte soumis au vote, des populations indigènes (près de 13 % de la population) et de nouveaux droits les concernant. L’une des propositions les plus décriées par les Chiliens du rechazo.

« Cette Constitution était biaisée, elle apportait trop de droits aux minorités, aux femmes, aux indigènes, aux minorités sexuelles », renchérit Carla Robledo, une avocate de 44 ans. Education, santé, retraite, logement : les nouveaux droits sociaux consacrés par la proposition allaient assurément, selon José Venegas, un entrepreneur de 55 ans, entraîner le pays sur un chemin périlleux. « Je suis soulagé. Sinon, on risquait de devenir l’Argentine ou le Venezuela ! On voit comment la gauche détruit d’autres pays », dit-il. Dans les rues de ce quartier cossu de la capitale, les voitures circulent en klaxonnant, drapeaux chiliens virevoltant aux fenêtres.

Difficulté à tisser un lien de confiance

« Le texte proposé n’a pas pu dépasser l’image d’une Assemblée constituante, polarisée, ternie par le mensonge et la démission de l’un de ses membres », analyse Cecilia Osorio Gonnet, politiste à l’université du Chili. Rodrigo Rojas Vade, icône de la révolte sociale de 2019, assurait en effet souffrir d’un cancer, ce qui nourrissait sa popularité, alors que c’était inventé de toutes pièces. Par ailleurs, le manque de compromis de certains élus de gauche et indépendants avec des propositions jugées trop radicales, peu enclins à négocier avec la droite, a notamment été pointé du doigt.

Un militant soutenant le projet de nouvelle Constitution réagit après avoir pris connaissance des résultats officiels du vote par référendum, à la Plaza Italia de Santiago, le 4 septembre 2022.


PHOTO  JAVIER TORRES / AFP

Les lacunes en matière de communication ont souvent été reprochées à l’Assemblée qui n’a pas su, en dépit des mécanismes participatifs prévus par son règlement, tisser un lien de confiance avec une population parfois rebutée par un texte final de 388 articles. « La campagne de rechazo a aussi pu s’appuyer sur un financement largement plus élevé que celui d’apruebo [« j’approuve »], avec une simplification des idées et le recours à la désinformation », explique Mme Osorio Gonnet.

« C’est horrible », soupire Francisco Araya, 54 ans, depuis le siège du Parti radical (centre gauche), dans le centre de Santiago, où le camp du apruebo s’était en partie installé dans l’attente des résultats, dimanche. Tout était prévu pour acclamer la victoire en cas de surprise, celle qui aurait mis en échec les sondages donnant unanimement rechazo en tête depuis des semaines. La scène restera vide. « C’était une occasion tellement unique, celle d’une Constitution totalement démocratique, écrite par des citoyens. Il y a tellement de nouveaux droits que l’on aurait pu avoir », soupire M. Araya.

« Construire un nouveau processus constitutionnel »

Le refus l’emporte à plus de 73 % en Araucanie, région du sud du pays rongée par le conflit autour de la restitution des terres aux Mapuche, et à 68 % à Tarapaca, dans le Nord, théâtre de la crise migratoire avec l’arrivée de Vénézuéliens ultra-précarisés. Le rejet du texte proposé est donc plus ample dans les zones éloignées des secteurs progressistes de Santiago (où rechazo l’emporte avec 55 % de voix). « J’ai 26 ans et j’ai dû m’endetter pour étudier, je dois encore 30 millions de pesos [plus de 34 000 euros], explique Diego Cabello, avocat et militant de gauche. Avec une éducation gratuite de qualité, la nouvelle Constitution aurait pu éviter ça. On aurait pu avoir un pays plus juste », avance-t-il. « Mais il faut savoir perdre, il faut comprendre quelles erreurs ont été commises », ajoute-t-il.

PHOTO RODRIGO GARRIDO / REUTERS

Un enfant réagit alors que les gens votent lors d’un référendum sur une nouvelle Constitution chilienne à Valparaiso, au Chili, le 4 septembre 2022. 

Dans la foulée du résultat, le président chilien, Gabriel Boric (gauche), qui a pris ses fonctions en mars avec un programme très proche du texte rejeté, s’est exprimé lors d’une allocution télévisée, depuis le palais de la Moneda, le palais présidentiel : « La démocratie chilienne sort renforcée » du référendum, a-t-il tenu à saluer, prenant acte du « message » envoyé par « la voix du peuple ». Surtout, il a de nouveau affirmé : « Je m’engage à faire tout ce qui est en mon pouvoir pour construire un nouveau processus constitutionnel.»

Le chef d’État s’appuie sur la légitimité du référendum d’octobre 2020, lors duquel près de 80 % des votants appelaient de leurs vœux l’écriture d’un nouveau texte. Une autre solution en cas de rejet a été annoncée dès le mois de juillet cette année, alors que l’impopularité de la loi fondamentale proposée s’installait dans l’opinion. Gabriel Boric, qui sera contraint de tisser des accords avec la droite et avec l’aile modérée de son propre camp, a lancé « un appel à toutes les forces politiques pour qu’elles fassent passer le Chili avant toute divergence légitime et qu’elles se mettent d’accord le plus rapidement possible sur les délais et sur les contours » de ce nouveau processus « dans lequel, bien sûr, le Parlement devra être le grand protagoniste ».

Le président du Chili, Gabriel Boric, s’adresse aux médias après avoir voté lors d’un référendum sur une nouvelle Constitution chilienne, à Punta Arenas, au Chili, le 4 septembre 2022.

PHOTO STRINGER / REUTERS

Nouvelle étape pour le gouvernement

Est-ce techniquement possible ? « Oui. Mais il faut l’accord du Congrès. Or, le gouvernement n’y dispose pas de majorité. La droite modérée va jouer un rôle-clé dans ces négociations », estime Tomas Jordan, politiste et professeur de droit constitutionnel à l’université Alberto Hurtado. Le président a appelé à une réunion, lundi 5 septembre, « à la première heure», avec les présidents des deux chambres du Congrès.

« Il faut retenir des éléments essentiels qui sont [dans le texte proposé] : l’État social et démocratique fondé sur le droit, la protection de l’environnement, la parité, plus de pouvoir donné aux régions », a demandé Ximena Rincon, sénatrice du parti démocrate chrétien (centre) en faveur de rechazo, dans des propos relayés par le site d’actualités El Mostrador. Javier Macaya, président du parti de droite UDI, a assuré dimanche souhaiter également « poursuivre le processus constitutionnel ». Il s’agit de l’argument-phare de campagne des partisans du rejet : refuser la proposition pour élaborer un texte plus modéré.

Lire aussi : « Nous soutenons l’adoption de la nouvelle Constitution du Chili »

« Il ne peut pas y avoir de changement structurel au Chili sans une nouvelle Constitution, résume Tomas Jordan. Le résultat du référendum gêne le programme de Gabriel Boric, car ses réformes en matière de retraites, de système de soins étaient liées à un modèle de société qui vient d’être rejeté. » Après quasiment six mois au pouvoir, c’est une nouvelle étape qui s’ouvre pour le gouvernement. Lors de son allocution, dimanche soir, le président a évoqué un remaniement ministériel afin « de faire face à cette nouvelle période avec une énergie renouvelée ».

Par Flora Genoux (Santiago, envoyée spéciale)

 

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