mardi, septembre 06, 2022

CHILI : « LE REJET DE LA CONSTITUTION EST UNE DÉFAITE POUR L’ÉCOLOGIE »

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62 % des Chiliens ont voté, le 4 septembre, contre une nouvelle Constitution progressiste, féministe, écologique et sociale. Ce rejet s’explique en partie par les préoccupations économiques de la population, selon la géographe Cécile Faliès.

Par Hortense Chauvin

cécile Faliès est géographe, maîtresse de conférences à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et spécialiste du Chili. Elle dirige un programme de recherche analysant la Constitution chilienne au prisme de la géographie, de l’environnement et du droit.


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DESSIN NESTOR

Le projet de nouvelle Constitution chilienne prévoyait de nombreuses avancées en matière écologique. Notamment de classer l’eau comme un bien commun ou d’octroyer des droits à la nature. S’agit-il d’une des raisons pour lesquelles le « Non » l’a emporté ?

Cécile Faliès — Les mesures environnementales et leurs retombées économiques ont été parmi les plus débattues dans le travail de l’Assemblée constituante. Elles ont vraisemblablement joué un rôle tout à fait important dans le rejet de la Constitution.

Malgré tout, il y a une prise en compte globale de l’urgence climatique au Chili. Bien sûr, il y a encore des climatosceptiques, mais ils sont heureusement de moins en moins nombreux. Les débats se sont surtout cristallisés sur l’interdiction de certaines pratiques qui bénéficient aux grands groupes économiques chiliens, en particulier dans le secteur minier, le secteur agricole d’exportation et le secteur de la construction. Eux voyaient évidemment d’un très mauvais œil de ne plus avoir un accès direct à l’eau, comme c’était le cas jusqu’alors.

Ils s’estimaient les seuls secteurs à pouvoir financer les réformes sociales prévues dans la nouvelle Constitution, comme le remplacement des fonds de pension par des retraites, ou encore la gratuité de l’éducation. Il a été compliqué de ménager le secteur économique et les avancées sociales prévues par ce texte.

Des débats ont également eu lieu sur les difficultés liées à la mise en place concrète des mesures environnementales proposées, à la fois dans le secteur économique et dans les textes de loi. Mais si cette Constitution avait été adoptée le 4 septembre, le Chili ne serait pas magiquement entré dans une nouvelle ère. Il aurait fallu du temps pour la mettre en place, et faire en sorte qu’elle infuse les textes de loi.

Comment expliquer que les questions environnementales n’aient pas davantage mobilisé la population ?

Les Chiliens ont d’autres priorités très concrètes. Il y a deux graves crises au Chili en ce moment : une crise environnementale, certes, mais surtout une crise inflationniste, dans le contexte de la guerre en Ukraine. La vie quotidienne est très compliquée, particulièrement pour les urbains et les périurbains. Un grand nombre d’entre eux utilisent la voiture comme moyen de transport individuel. Leur travail est parfois très loin de leur domicile, et le carburant est très cher. Beaucoup n’arrivent plus à faire le plein. Même si les transports publics se sont améliorés en six mois, cette évolution reste récente. Cela a fait revoir à la baisse les ambitions écologistes de la population. Les agriculteurs, qui alertent sur la sécheresse depuis plus de cinq ans, ont été moins entendus.

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« Qui ne saute pas est un communiste » : les célébrations après les résultats au Chili.

Il y a aussi la question migratoire, qui agite le pays depuis plusieurs années, avec une grande pauvreté urbaine qui n’a pas été résolue par le président Gabriel Boric, et qui était peu présente dans la Constitution. Le Chili, qui est à un niveau de développement relativement important dans la région, a accueilli beaucoup de migrants vénézuéliens et haïtiens au cours des dix dernières années, notamment dans la capitale, Santiago, et dans le nord du pays. Beaucoup habitent dans des tentes dans les rues des villes. Peu de solutions leur ont été trouvées. Il y a un sentiment d’insécurité chez certains Chiliens. D’autres sont préoccupés par la précarité de ces populations. Les gens ont certainement eu ces préoccupations quotidiennes à l’esprit en allant voter.

La Constitution prévoyait également des avancées en ce qui concerne les droits des peuples autochtones, par exemple en leur restituant leurs terres traditionnelles. Ces propositions expliquent-elles pourquoi certains Chiliens ont voté non ?

Je ne dirais pas ça. Les droits des peuples autochtones, les droits des femmes et les droits environnementaux sont les trois piliers autour desquels a voulu s’appuyer la nouvelle Constitution. Parmi ces piliers, la question autochtone a été très symbolique au début. 17 des 155 sièges de l’Assemblée constituante leur ont été réservés, particulièrement aux Indiens Mapuche. Sa présidence a également été attribuée à Elisa Loncón Antileo, une femme autochtone, classée par le Time Magazine parmi les 100 personnes les plus importantes de l’année 2021.

« Certains trouvaient qu’il y avait un peu trop de lignes consacrées aux femmes, aux autochtones, aux minorités »

Des avancées pour les peuples autochtones ont été proposées dans la Constitution, mais cet axe, très emblématique au début, a perdu en poids et en force tout au long du processus d’élaboration de la Constitution, pour ne rester que symbolique au moment de la campagne de cet été.

Y a-t-il un espoir de voir la cause écologique avancer au Chili, malgré le rejet de la Constitution ?

Ce rejet est très clairement une défaite pour l’écologie. Cela aurait été un vrai beau coup de pouce que cette nouvelle Constitution verte et solidaire soit adoptée.

Cela dit, les militants écologistes, qui étaient les plus nombreux au sein de cette Assemblée constituante, vont poursuivre leur lutte. Un groupe de constituants s’est formé autour de militants d’un mouvement, « Modatima », qui lutte depuis des années pour le droit à l’eau dans la moitié nord du Chili. Une figure importante de ce mouvement est Rodrigo Mundaca, qui a beaucoup lutté pour le droit à l’eau des agriculteurs familiaux. Eux sont et seront toujours en lutte. Mundaca a d’ailleurs été élu député.

Pour le moment, l’ancienne Constitution reste en vigueur. Elle a été rédigée en 1980, au temps de la dictature [d’Augusto Pinochet (1973-1990)], et permet surtout le développement d’une économie néolibérale. Si elle reste dans son état actuel, on peut imaginer que le « business as usual » continue.

J’imagine qu’aujourd’hui, le président Boric va essayer de rassembler ceux qu’il peut autour d’un projet de nouvelle Constitution. Les Chiliens, qui s’étaient prononcés pour un changement de Constitution en 2020, continuent d’y être favorables. Ce dont ils n’ont pas voulu, c’est de ce texte-là. Pour les raisons évoquées plus haut, mais également pour des symboles : certains trouvaient qu’il y avait un peu trop de lignes consacrées aux femmes, aux autochtones, aux minorités. Malgré tout, le travail réalisé n’est pas perdu. Les discussions engagées depuis un an vont certainement servir à une autre version de la Constitution.


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