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Le 4 septembre 1970, une coalition (allant des communistes aux socio-démocrates) porte Salvador Allende à la présidence du Chili avec un peu plus de 36 % des voix, contre 35 % pour le [candidat de la droite] Jorge Alessandri.
par Renaud Lambert, 11 septembre 2013
Dans son discours de victoire, le nouveau président promet : « Nous abolirons les monopoles qui accordent le contrôle de l’économie à quelques dizaines de familles. Nous abolirons un système fiscal (…) qui accable les pauvres et épargne les riches. Nous abolirons la grande propriété qui condamne des milliers de paysans à la servitude. Nous abolirons la mainmise étrangère sur notre industrie. » Il ajoute, ouvrant une voie encore peu fréquentée vers la transformation sociale : « Le socialisme passe par la démocratie, le pluralisme et la liberté ».
Le vent d’espoir qui souffle le long de la cordillère des Andes galvanise jusqu’aux rangs du parti socialiste français, qui a élu en 1971 un nouveau premier secrétaire : François Mitterrand. Celui-ci, particulièrement séduit par cette expérience de «Révolution dans la légalité» (1), réserve son premier voyage officiel au Chili.
À l’époque, « le fond de l’air est rouge » (2). Washington s’en émeut. Dès le 6 novembre 1970, le président américain Richard Nixon déclare devant le Conseil national de sécurité : « Notre principale préoccupation avec le Chili, c’est le fait qu’il [Allende] puisse consolider son pouvoir et que le monde ait l’impression qu’il en train de réussir. (…) Nous ne devons pas laisser l’Amérique latine penser qu’elle peut prendre ce chemin sans en subir les conséquences. » Allende a pris ses fonctions l’avant-veille.
Les jeux sont déjà faits. Le 7 octobre 1970, Richard Helms, directeur de la CIA, envoie une directive « urgente » à ses agents sur place : « Nous souhaitons que vous souteniez une action militaire qui aura lieu, dans la mesure du possible, dans un climat d’incertitude économique et politique. » Moins technique, le conseiller à la sécurité nationale, Henry Kissinger, résume : « Je ne vois pas pourquoi nous devrions laisser un pays devenir marxiste simplement parce que sa population est irresponsable. » (3) Le 11 septembre 1973, l’armée chilienne – soutenue par la presse, l’organisation fasciste Patrie et Liberté, le Parti national et les États-Unis – remet le peuple « dans le droit chemin ».
Trois ans, presque jour pour jour, après sa première allocution en tant que président du Chili, Allende prend la parole pour la dernière fois. La Moneda (le palais présidentiel) est sous les bombes : « Nos ennemis sont forts ; ils sont capables d’asservir le peuple. Mais ni les actes criminels ni la force des armes ne sauront contenir ce processus social. L’histoire nous appartient ; c’est le peuple qui fait l’histoire. »
En 1973 débute l’une des dictatures les plus violentes d’Amérique latine, qui fauche l’utopie de la « Révolution dans la légalité » et transforme le Chili en laboratoire planétaire du néolibéralisme. La même année, Henry Kissinger reçoit le Prix Nobel de la paix.
Renaud Lambert
Notes :
(1) Lire Claire Lepage, « Le parti socialiste français face à l’expérience de l’Unité Populaire chilienne », Institut François Mitterrand, 4 mars 2008.
(2) Comme le racontent le documentaire de Chris Maker, en partie consacré au Chili d’Allende, ainsi que notre hors-série « grands reportages », « Quand le fond de l’air était rouge ».
(3) Cités par Grace Livingstone dans America’s backyard : The United States and Latin America from the Monroe doctrine to the war on terror, Zed Books, New York, 2009.
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