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COUVERTURE D'HÉRITAGE |
Du Jura de 1873 au Chili d’Allende, Miguel Bonnefoy propose, nourrie d’éléments autobiographiques, la saga généreuse et complexe d’une famille française.
PHOTO JOËL SAGET/AFP |
C’est ce que nous promet le titre, et c’est ce que tient le roman de Miguel Bonnefoy. Le romancier français et vénézuélien, depuis son premier roman, le Voyage d’Octavio, aime faire arpenter par son lecteur les chemins de terre et d’encre de ce continent. Et quand il n’y a pas de chemin, il en trace un à travers la forêt, comme dans Jungle, et en invente d’autres. Le roman dynastique a ses codes : fondateurs travailleurs et chanceux, héritiers prodigues, descendants en mal de mémoires, de secrets. Miguel Bonnefoy les effleure, sans céder aux clichés. Ici, l’héritage n’est que le départ d’un itinéraire où chacun affrontera, avec ses seules forces et sans l’aide des aïeux, une épreuve vitale.
Un récit d’une grande liberté
Ainsi le père fondateur abandonnant son corps européen pour renaître en touchant terre. Le fils Lazare au nom de ressuscité, faisant le voyage à l’envers en 1914 pour laisser dans les tranchées ses deux frères et un de ses poumons, devra de surcroît subir l’épreuve de l’errance, de la solitude andine et de la confrontation avec l’animal pour accéder à l’amour et à la paix. De génération en génération, ce qui se transmet, c’est une manière paradoxale de cultiver une certaine idée endogamique de la France et d’être plus américain que nature, proche des Indiens et parlant la langue mapuche. Se transmettent aussi comme des maladies des culpabilités secrètes, des ancêtres introuvables. Et plus glorieusement une passion pour les oiseaux qui peut faire des cantatrices, des aviatrices, des libertaires. Ces déterminations complexes tissent un récit d’une grande liberté, la force narrative se relançant de personnage en personnage avec une énergie neuve qu’on croirait empruntée au plus efficace des serials. Miguel Bonnefoy monte sa machine avec délectation, tout en disposant les grains de sable qui la font grincer sans se bloquer, jusqu’à un final très maîtrisé. L’auteur se montre au sommet de ses moyens avec un roman ample et dense, mêlant aventure et malaise avec autant de finesse que les Lonsonier acclimatent le cépage jurassien sous la Croix du Sud.