jeudi, septembre 10, 2020

LE BOUILLONNANT CINÉMA CHILIEN S’AFFICHE À BEAUBOURG

LE BOUILLONNANT CINÉMA CHILIEN S’AFFICHE À BEAUBOURG
Du 11 septembre au 18 décembre, le Centre Pompidou, à Paris, accueille “Chili, cinéma obstiné”, un cycle de la Cinémathèque du documentaire réunissant une cinquantaine de films d’hier et d’aujourd’hui. À voir, pour mesurer la richesse du cinéma chilien et sa vitalité.

 
BANDE-ANNONCE DU FILM DOCUMENTAIRE « CHILI, CINÉMA OBSTINÉ »
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    François Ekchajzer

    AFFICHE DU CYCLE
    « CHILI, CINÉMA OBSTINÉ »

    C’est en voyant des films chiliens dans le cadre du cycle consacré aux 40 ans des Films d’Ici, que Harry Bos, programmateur à la Cinémathèque du documentaire, a eu l’idée de celui qui s’ouvre le 11 septembre au Centre Pompidou. À travers une cinquantaine de titres projetés jusqu’au 18 décembre, « Chili, cinéma obstiné » propose aux Parisiens de découvrir la variété d’une production trop souvent réduite aux réalisations de Patricio Guzmán et Carmen Castillo, figures de proue évidemment présentes dans cette programmation avec des focus auxquels tous deux participeront (du 12 au 16 septembre pour le premier et du 16 au 19 pour la seconde). Un troisième focus (du 4 au 7 décembre) sortira de l’ombre Ignacio Aguëro, cinéaste de 68 ans qui tourne essentiellement dans son quartier de Santiago – Providencia. « C’est la première fois que sera présenté en France un florilège de ses documentaires », explique Harry Bos, qui le compare à Alain Cavalier dans sa propension à filmer le monde qui l’entoure, faisant preuve d’une attention particulière aux petites choses, qu’il capte avec beaucoup d’humanité et une grande économie de moyens.

    PHOTO  CARLOS ARAYA DIAZ

    « Aguëro a commencé sa carrière sous la dictature. Sa conscience politique et sociale l’a notamment amené à coréaliser en 1988 un clip de la campagne référendaire du non à Pinochet. Comme Cavalier, il est curieux de tout ce qui se tourne aujourd’hui dans son pays et soutient activement les jeunes cinéastes, travaillés comme lui par des questions politiques et sociales. »


    Carlos Araya Díaz, Caroline Adriazola, José Luis Sepúlveda et les autres


    PHOTO IGNACIO AGUËRO.

    C’est notamment le cas de Carlos Araya Díaz, dont Le Voyage dans l’espace a été choisi pour inaugurer cette programmation (vendredi 11 septembre, à 20h). Un portrait composite et critique du Chili d’aujourd’hui, composé de plans fixes par ce membre du collectif Mafi (Mapa fílmico de un país), dont l’un des principes de réalisation consiste à établir un cadre et à laisser tourner jusqu’à ce que quelque chose se passe… ou pas. La succession de situations quotidiennes ainsi captées à travers le pays jette sur la société chilienne un éclairage humoristique ou touchant qui, peu à peu, révèle sa force politique. La projection du Voyage dans l’espace sera précédée de séquences inédites, tournées par des collectifs chiliens depuis les premières manifestations d’octobre 2019.


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    D’une esthétique beaucoup plus brute, Harley Queen, de Caroline Adriazola et José Luis Sepúlveda, fera l’objet d’une séance spéciale présentée par Carmen Castillo (jeudi 17 septembre, à 20h). « Ignacio Aguëro déclame son admiration pour ce documentaire, relève Harry Bos. C’est pour moi une véritable bombe, portrait baroque d’une femme fascinante, mère, médium et stripteaseuse, qui se bat pour survivre à Bajos de Mena, ghetto des plus déshérités de la banlieue de Santiago. »


    Un documentaire d’horreur à l’honneur


    PHOTO RENÉ BALLESTEROS

    Vendredi 18 septembre à 20h, Carmen Castillo présentera un autre film qu’elle affectionne : Les Rêves du château de René Ballesteros, que seront invités à découvrir au Centre Pompidou les premiers d’entre vous à m’en demander une invitation (ekchajzer.f@telerama.fr). « Un documentaire d’horreur », selon ce cinéaste qui, comme elle, vit en France. Né en 1975, il a grandi sous la dictature et s’est forgé une cinéphilie à travers les productions horrifiques diffusées à la télévision chilienne « à l’heure du goûter ». « Les documentaires de Patricio Guzmán et ceux de Carmen Castillo étaient alors invisibles. Je les ai découverts bien plus tard. »


    Les « rêves » de son film sont ceux que lui ont confiés des mineurs déliquants détenus dans un centre pénitentiaire, comme lui-même en a fréquentés au début des années 2000, en tant que psychologue pour enfants. « Dans ces lieux où se laisser aller à dévoiler son intimité permet à l’autre de prendre l’ascendant sur soi, l’activité onirique est primordiale. J’avais quitté le Chili pour suivre en France des études de cinéma, quand un ancien collègue m’a parlé de jeunes détenus qui faisaient des cauchemars récurrents dans un centre construit, selon un chamane, sur un cimetière indigène. J’y ai vu la possibilité d’un film qui associerait le cinéma d’horreur à ma pratique documentaire. »

    “Pour les jeunes détenus que j’ai filmés, me raconter leurs rêves a été une façon de se reconnecter avec une part étouffée d’eux-mêmes.” René Ballesteros

    De la région mapuche dont il est originaire, René Ballesteros a hérité l’idée selon laquelle vies diurne et nocturne ne sont en rien dissociées, communiquant même l’une avec l’autre. « Dans la région d’où je viens, 670 kilomètres au sud de Santiago, on se raconte fréquemment ses rêves – ce à quoi m’invitait chaque matin la grand-mère qui m’a élevé. Pour les jeunes détenus que j’ai filmés, me les dire a été une façon de se reconnecter avec une part étouffée d’eux-mêmes. » Tourné en six semaines – le plus souvent la nuit –, Les Rêves du château éclaire l’univers intérieur de ces jeunes délinquants travaillés par des peurs primordiales : oppression, atteintes physiques, mort… Celles-là mêmes qui nourrissent un cinéma d’horreur qui nous captive ou nous effraie parce qu’il renvoie, en vérité, au plus profond de l’existence même.

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